Chopin (Frédéric) (suite)
Le phénomène Chopin
Si l'on considère maintenant l'extraordinaire postérité de Chopin en regard de la triple revendication de celui-ci choix du piano contre la collectivité orchestrale, choix des petites formes contre l'opéra ou la symphonie, choix enfin d'un cercle restreint de fidèles et d'admirateurs , on ne pourra que s'étonner de l'éclatement de ce cadre volontairement limité et de la diffusion toujours plus grande de l'œuvre. Pas de traversée du désert pour cette dernière, pas de retombée de cet engouement au-delà des images légendaires du musicien agonisant, qu'on peut tenir désormais pour anecdotiques et marginales.
Ce qui frappe aujourd'hui, quand on examine le phénomène Chopin dans le monde, dégagé d'un certain contexte morbide passé à l'arrière-plan, c'est son extrême vitalité. Point tant parce que la Pologne a fait de Chopin un héros national, mais parce qu'il reste, au plus haut niveau, par ses œuvres, une sorte de test, aussi bien pour les jeunes virtuoses au début de leur carrière et voulant se situer sur la scène internationale que pour les gloires confirmées du clavier, lesquelles, d'une génération à l'autre, se sont transmis le flambeau.
De Liszt à Anton Rubinstein et à Paderewski, de Cortot à Horowitz et à Lipatti, Chopin n'a jamais cessé d'être servi, en effet, par les plus grands interprètes. Il reste encore à travers le monde un des musiciens les plus joués en concert. Et, bien entendu, un des plus enregistrés. Au catalogue des grandes gravures historiques, un ensemble d'intégrales monumentales permet non seulement de comparer au plus haut niveau des interprétations remarquables, souvent opposées (Claudio Arrau ou Horowitz), mais également de faire apparaître la diversité, l'énorme pouvoir de renouvellement de l'œuvre.
L'attrait que cette œuvre exerce sur le public et sur les jeunes pianistes apparaît dans l'intérêt international soulevé depuis 1927 par le concours Chopin de Varsovie. Pour l'année 1980, le nombre de demandes d'admission, venant de 21 pays, a dépassé 200 candidats : 171 ont été retenues parmi ces très nombreuses demandes.
Si Bayreuth ou Salzbourg contribuent à maintenir le culte d'une œuvre donnée au niveau de la perfection en recourant pour chaque festival à des interprètes déjà mondialement reconnus et confirmés, le concours de Varsovie, en fixant la limite d'âge à 32 ans, s'emploie à unir le prestige et la défense de l'œuvre de Chopin en révélant de nouveaux talents dans une compétition largement internationale, véritable compétition olympique dans le domaine du piano.
Des noms comme celui de Chostakovitch, d'Uninski, de Malcuzinski, avant-guerre, et, plus récemment, d'Harasiewiecz, d'Ashkenazy, de Pollini, de Marta Argerich et de Zimmermann suffisent à en souligner l'importance et l'impulsion qu'il peut donner à un jeune virtuose. Longtemps la prééminence des Russes et des Polonais a semblé être la règle. La compétition est de plus en plus ouverte, et l'apparition de l'Iran et de la Chine, mais, surtout, la percée des pianistes japonais prouvent à quel point le phénomène Chopin échappe aux limites culturelles du monde occidental. L'écho de cette œuvre et de cette grande voix intérieure a trouvé sa vraie dimension au-delà des limites que peut-être l'artiste a désirées et qu'il jugeait les plus favorables à sa propre survie et à son propre épanouissement.