Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
A

air de cour

Ce genre spécifiquement français existait soit dans une version polyphonique à 4 ou à 5 voix, soit pour une voix seule (généralement le superius), les autres voix de la chanson polyphonique étant souvent simplifiées pour être jouées en accompagnement (réduites en tablature) par un instrument tel que le luth. La coupe de l'air de cour était strophique ; les textes, souvent signés de grands poètes du XVIIe siècle (Th. de Viau, Saint-Amant, Tristan l'Hermite, Malherbe), étaient fondés sur le thème de l'amour languissant. La ligne vocale, parfois sous l'influence de la musique mesurée à l'antique, épousait la longueur des vers, et la mélodie était composée sur le texte de la première strophe. Les autres strophes devaient se chanter sur la même mélodie : on attendait du chanteur qu'il les ornât à son goût, ce qu'il faisait parfois de manière abusive. Le genre fut illustré entre 1571, date de la publication du Livre d'airs de cour mis sur le luth par A. Le Roy, et 1650 environ, d'abord par Guédron (qui l'appelle aussi « récit »), G. Bataille et plus particulièrement A. Boësset, éminent mélodiste. La grande liberté rythmique des origines devint petit à petit prisonnière de la barre de mesure.

   L'air de cour influença le développement de la monodie a voce sola en Italie et celui de la technique vocale ; ensuite l'air de cour du « vieux Boësset » et de ses collègues profita à son tour de la science des Italiens et amena une réforme du chant en France (Nyert) ; avec M. Lambert et la génération suivante, il devint l'air sérieux dont les célèbres doubles étaient souvent d'une extrême virtuosité. La basse continue, tardivement introduite en France, remplaça la tablature ; l'air de cour fut désormais exclusivement monodique et contribua directement et de manière déterminante à la formation de l'opéra français avec Lully.

air de substitution (angl. insertion aria ; all. einlagearie)

Air écrit par un compositeur pour en remplacer un autre lors de la représentation d'un opéra d'un autre compositeur ou plus rarement de lui-même, compte tenu notamment de conditions locales différentes ou d'un changement de distribution.

Cette pratique fut courante dans l'opéra italien jusqu'au début du XIXe siècle. Haydn en composa plusieurs pour les opéras représentés à Eszterhaza, par exemple en 1786 Sono Alcina e sono ancora Hob. XXIVb.9 pour la scène 5 de l'acte I de l'Isola d'Alcina de Gazzaniga, ou en 1790 la Moglie quando è buona Hob. XXIVb.18 pour la scène 10 de l'acte I de Giannina e Bernardone de Cimarosa. En 1783, pour une représentation viennoise d'Il curioso indiscreto d'Anfossi, Mozart composa pour la soprano Aloysia Lange (née Weber) Vorrei spiegarvi, oh Dio K.418 et No, che non sei capace K.419, et pour le ténor Johann Valentin Adamberger (créateur en 1782 du rôle de Belmonte dans l'Enlèvement au sérail) Per pietà, non ricercate K.420. En 1789, il destina à Luisa Villeneuve (créatrice en 1790 du rôle de Dorabella dans Così fan tutte) Alma grande e nobil core K.578 (pour I due baroni di Rocca Azzura de Cimarosa) ainsi que Chi sa, chi sa, qual sia K.582 et Vado, ma dove  ? oh Dei K.583 (pour Il burbero di buon cuore de Martin y Soler). Pour la version viennoise de Don Giovanni (1788), Mozart remplaça l'air d'Ottavio Il mio tesoro par Dalla sua pace. De nos jours, on chante habituellement les deux.

air sérieux

Il s'agit du prolongement de l'air de cour qui prit cette nouvelle appellation avec la génération de M. Lambert (1610-1696), le maître du genre, de S. Le Camus (1610-1677) et de Du Buisson († 1710). La forme de ces airs, toujours strophique, eut tendance à se limiter à deux couplets, la mélodie étant composée sur le premier ; le second couplet (le double) devait se chanter sur la base de cette mélodie, mais avec l'introduction d'une ornementation qui atteignait souvent une extrême virtuosité, dont on doit souligner toutefois que le but était essentiellement expressif ; avec l'apparition de ces difficultés vocales, l'art du chant progressa rapidement en France (Bacilly). Dans les nombreux recueils publiés chez Ballard au XVIIe siècle sous le titre conjoint d'Airs sérieux et à boire, l'air sérieux fut illustré par Lorenzani, Charpentier, Couperin, Campra, etc. Après 1720, avec le développement de l'opéra et le déclin de la maison Ballard, l'air sérieux disparut peu à peu.

Aix-en-Provence (festival d')

Organisé par la ville d'Aix-en-Provence avec le concours de la Société du casino d'Aix-Thermal et de divers organismes et collectivités publics, le « festival international d'art lyrique et de musique d'Aix-en-Provence », le plus célèbre festival de France, naquit du désir de l'imprésario Gabriel Dussurget de créer et d'animer une grande manifestation musicale dans le Midi. Séduit par le calme et les richesses artistiques d'Aix-en-Provence, G. Dussurget jeta son dévolu sur cette cité et reçut immédiatement l'appui de plusieurs personnalités locales. Il fut décidé de consacrer ce nouveau festival essentiellement à Mozart. Le 23 juillet 1948, eut lieu la manifestation inaugurale, un concert Mozart donné par l'orchestre des cadets du Conservatoire de Paris, sous la direction de Hans Rosbaud. Le 28 juillet, ce fut le premier spectacle d'opéra, Così fan tutte, donné par la compagnie Marisa Morel et dirigé par Hans Rosbaud, dans la cour de l'Archevêché, que le peintre Cassandre devait aménager par la suite en théâtre et qui devait devenir le lieu privilégié des spectacles lyriques aixois.

   Les talents conjugués de H. Rosbaud et de l'organisateur et découvreur de talents G. Dussurget donnèrent en peu d'années au festival sa brillante image de marque. Aix-en-Provence put mériter le nom de « Salzbourg français » en se distinguant par une caractéristique très importante : faute de moyens financiers, Aix présente à son public, en particulier dans le domaine du chant, non des vedettes consacrées, mais de jeunes artistes de talent, le plus souvent de futures grandes vedettes. À partir du Don Juan de 1949, et durant quelque vingt années, Aix fit entendre souvent, à de nombreuses reprises, de grands chanteurs, encore inconnus ou peu connus : Renato Capecchi, Léopold Simoneau, Graziella Sciutti, Ernst Haefliger, Leonie Rysanek, Rolando Panerai, Teresa Stich-Randall, Nicolaï Gedda, Teresa Berganza, Luigi Alva, Fritz Wunderlich, Pilar Lorengar, Christiane Eda-Pierre, Gabriel Bacquier, Jane Berbié, Gundula Janowitz, Josephine Veasey, sans parler de nombreux autres artistes tels que le chef d'orchestre Carlo Maria Giulini.

   En dehors des œuvres de Mozart, qui demeurèrent alors le cœur du répertoire aixois, eurent lieu des représentations mémorables : Orfeo et le Couronnement de Poppée de Monteverdi, Didon et Énée de Purcell, et, de même, Platée de Rameau (avec Michel Sénéchal), Orphée et Iphigénie en Tauride de Gluck, Il Mondo della luna de Haydn, le Mariage secret de Cimarosa, le Barbier de Séville de Rossini, Falstaff de Verdi, Ariane à Naxos de Richard Strauss, Pelléas et Mélisande de Debussy. Cette liste est loin d'être limitative, et il convient de mentionner aussi les créations de Lavinia de Barraud (1961), les Malheurs d'Orphée de Milhaud (1962), Beatris de Planissolas de Jacques Charpentier (1971).

   Sur plusieurs plans, le festival d'Aix traça alors des voies nouvelles qui devaient avoir une influence profonde sur la vie lyrique française, innovations qui consistèrent dans l'élargissement du répertoire, le retour aux opéras classique et baroque, la restauration des versions originales d'opéras étrangers, enfin l'appel à des peintres connus qui n'étaient pas forcément décorateurs (Cassandre, Wakhevitch, Lalique, Ganeau, Malclès, Clayette, Derain, Balthus) et, pour la mise en scène, à des hommes de théâtre qui n'avaient pas ou n'avaient guère encore abordé le domaine du lyrique (Meyer, Sorano, Cocteau, etc.). Pour en terminer avec cette ère, précisons que les opéras étaient loin de constituer le seul attrait du festival. L'intérêt des récitals n'était pas moindre et, dans les nombreux concerts, la musique moderne et contemporaine fut à l'honneur. Maintes créations ou premières auditions en France s'y déroulèrent, allant d'Auric, Sauguet, Dutilleux, Rivier et Bondon à Guézec, Jolas et Koering en passant par Webern, Petrassi, Henze, Xenakis et Nono.

   Après une période moins éclatante, Bernard Lefort fut nommé directeur du festival en avril 1973. L'avènement du répertoire préromantique et romantique italien (Cherubini, Rossini, Donizetti, Verdi), l'appel à une nouvelle génération de metteurs en scène (Jorge Lavelli, dont la Traviata en 1976 et Alcina en 1978 ont fait date ; Jean-Pierre Vincent, Jean-Claude Auvray, Jean-Louis Thamin), l'utilisation de la place des Quatre-Dauphins pour certains petits ouvrages (Pergolèse, Cimarosa, etc.) caractérisent cette nouvelle époque du festival où les concerts vocaux et instrumentaux demeurent extrêmement brillants. Des spectacles comme Così fan tutte de Mozart (1977), mis en scène par Jean Mercure, et surtout Alcina de Haendel, mis en scène par Lavelli, avec un plateau de chanteurs d'une qualité exceptionnelle, montrent que le changement s'effectue dans une certaine continuité. Mais c'est une ère très différente qui s'est ouverte avec la direction de Louis Erlo (1982-1996). En 1992, l'association qui gérait le festival a cédé la place, à la demande de l'État, à une société d'économie mixte. Nommé en 1995 alors qu'il était déjà directeur du Châtelet et de l'Orchestre de Paris, le successeur de Louis Erlo, Stéphane Lissner, prendra ses fonctions en 1998.