Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
F

Feld (Jindřich)

Compositeur tchèque (Prague 1925 – id. 2007).

Fils du célèbre professeur de violon Jindřich Feld (1883-1953), il étudie la composition d'abord avec E. Hlobil (1945-1948) au conservatoire de Prague, puis avec J. Rídký à l'académie de Musique et d'Art dramatique (1948-1952). Violoniste, puis altiste, il enseigne la composition au conservatoire de Prague depuis 1972. Il s'est fait connaître par son Divertimento pour cordes, hommage à Bartók dont l'influence s'est fait sentir jusqu'au Concerto pour orchestre (1951). À cette époque, son écriture unit l'élégance du Stravinski néoclassique au lyrisme naturel de l'école française (Concerto pour flûte, 1954 ; Concerto pour violoncelle, 1958). Sa seconde période de création semble dominée par la pénétration spirituelle de l'héritage de Martinů ; ainsi ses Trois Fresques (1963), comparables par leur intensité, leur tension modale aux Trois Paraboles de Martinů. Cette tendance atteint son expression la plus absolue dans son 4e Quatuor (1965) où se joignent le souvenir de Martinů et Bartók et celui de la Suite lyrique de Berg. En 1967, Feld étend à l'orchestre les conquêtes de ce 4e Quatuor en l'orchestrant, réalisant ainsi sa 1re Symphonie. Depuis lors, à la demande de nombreux solistes tchèques, Feld écrit toute une série de pièces concertantes ou solistes dont l'écriture use avec aisance d'un dodécaphonisme élargi, fondé sur une connaissance des ressources expressives de chacun des instruments solistes : Sonate pour piano (1971-72), Concerto pour piano (1973), Concerto pour violon (1976-77). Il a également composé des œuvres pour orchestre, pour diverses formations de chambre, quelques œuvres vocales, des musiques de film et des musiques de pièces radiophoniques, ainsi que de nombreuses œuvres didactiques, proches par l'esprit des partitions équivalentes de Bartók. Feld est désormais l'un des rares exemples, parmi les compositeurs de son pays, à avoir su assumer la tradition occidentale du patrimoine tout en faisant œuvre de novateur.

Feldman (Morton)

Compositeur américain (New York 1926 – Buffalo, N. Y., 1987).

Élève de Riegger (contrepoint) et Stefan Wolpe (composition), il étudie aussi la peinture. Sa rencontre avec Cage (1951) conforte ses idées déjà révolutionnaires. Avec David Tudor, Earle Brown et Christian Wolff, au début des années 50, il cherche les moyens de détruire la continuité musicale traditionnelle, de libérer les sons et s'intéresse aux arts plastiques, en particulier à l'école de New York. Ces jeunes musiciens comprennent que les peintres de cette école jettent les bases d'un art proprement américain, ce qui est aussi leur but. Peut-être la fréquentation du milieu pictural new-yorkais explique-t-elle le désir de Feldman de vivre la composition comme une totale aventure sonore abstraite, et, par voie de conséquence, dans une première période de son évolution, l'emploi de partitions graphiques. Morton Feldman envisage cette aventure, liée pour lui à la libération des sons et à leur projection dans l'horizontalité temporelle, dans le cadre de l'indétermination et du canevas graphique. Aussi, dans Projection I pour violoncelle (1950-51) et Marginal Intersection pour orchestre (1951), exemples types, la hauteur dans chaque registre, les dynamiques, l'expression restent à préciser, la durée étant à peu près indiquée par la longueur des rectangles. Plus que de permettre l'improvisation pour elle-même, Morton Feldman souhaite ainsi créer de nouveaux types de relations sonores. À noter que dans Marginal Intersection, l'utilisation de deux oscillateurs électriques émettant des fréquences très graves ou très aiguës à peine audibles, qui relancent les sons instrumentaux, provoque des échanges temporels sur le plan vertical et horizontal.

   Un usage constant de dynamiques très faibles et l'absence d'un rythme précis contribuent parfois à donner faussement l'impression d'une musique statique. Il faudrait plutôt parler, bien avant les clusters de Ligeti, d'une sorte de nuage sonore en suspension et en mouvement perpétuel (The Swallows of Salagan, « les Hirondelles de Salagan », pour chœur mixte et 23 instruments, 1960). Ainsi, dans Marginal Intersection, les instruments de l'orchestre rentrent ou sortent selon leur libre arbitre à l'intérieur de leur intervention. Même lorsque Feldman abandonne la partition graphique (sauf pour Atlantis pour 17 instruments [1958] et Out of « Last Pieces », « Tiré des Dernières Pièces », pour orchestre [1958]) et cherche, dans les années 1955-1958, une notation plus précise et une plus grande clarté de propos, il expérimente toujours l'indétermination d'un paramètre : dans Piece for 4 pianos, c'est la durée libre d'une séquence identique pour chacun des instruments ; dans Durations (5 pièces instrumentales, 1960-1962), le déphasage obtenu constitue une sorte de réverbération de la séquence de base.

   De plus, il y a chez Morton Feldman la recherche d'une musique d'une extrême simplicité qui, dans ses emplois répétitifs, préfigure peut-être la nouvelle musique américaine des années 70 : on remarque, dans Christian Wolff at Cambridge (1963) pour chœur a cappella, la reprise inlassable de 16 accords pp ; dans Madame Press died last week at the age of ninety (« Mme Press est morte la semaine dernière à quatre-vingt-dix ans », 1971), pour ensemble instrumental, la répétition d'une tierce mineure. Les œuvres plus tardives comme False Relationship and the Extended Ending (« Fausse Relation et fin différée », pour violon, violoncelle, trombone, 3 pianos et carillon, 1968), On Time and Instrumental Factor (« Temps et facteur instrumental », pour orchestre, 1969) ou encore The Viola in my life (« l'Alto dans ma vie », 4 pièces pour alto et divers instruments, 1970) rejettent tout aspect indéterminé. Citons encore Quatuor à cordes no 2 (1983) et Violin and String Quartet (1985).

   L'aventure de Feldman est bien celle du son, parfois celle du silence, jamais celle de la forme qui naît de l'instant. Sa musique se situe entre des catégories (Between Categories, pour 2 pianos, 2 carillons, 2 violons et 2 violoncelles, 1969), « entre temps et espace, entre peinture et musique, entre la construction de la musique et sa surface ». N'ouvre-t-il pas par là la voie à une méditation, à une perception du temps proches des conceptions orientales ? En tout cas, à l'écoute du temps et de l'événement, Feldman exige de l'auditeur une disponibilité totale.