Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
E

Erlo (Louis)

Metteur en scène et directeur de théâtre français (Lyon 1929).

De son véritable nom Camerlo, il se forma avec son oncle Paul Camerlo, directeur de 1949 à 1969 de l'Opéra de Lyon, où lui-même signa en 1952 sa première mise en scène (Lohengrin). Sa première mise en scène à l'Opéra de Paris fut consacrée à Iphigénie en Tauride de Gluck (1965), ce qui lança sa carrière internationale. Il a dirigé l'Opéra de Lyon de 1969 à 1995, date à laquelle lui a succédé Jean-Pierre Brossmann, et le festival d'Aix-en-Provence à partir de 1982. Nommé en 1995, son successeur à ce dernier poste, Stéphane Lissner, doit prendre ses fonctions en 1998.

Eschenbach (Christoph)

Pianiste et chef d'orchestre allemand (Breslau, Silésie, 1940).

Orphelin, il reçoit ses premières leçons de piano de sa mère adoptive, Wallydore Eschenbach, et remporte à dix ans le premier prix au concours Steinway de Hambourg. Il poursuit l'étude de l'instrument avec Hans Otto Schmidt à Cologne, puis Eliza Hansen à Hambourg. À l'université de musique de cette dernière ville, il travaille la direction d'orchestre, le violon et la composition. Il est, en 1962, lauréat d'un prix décerné par l'union des stations de radio allemandes, et obtient en 1965 un premier prix au concours Clara Haskil de Lucerne. Parallèlement à une carrière internationale de pianiste, il entame, en 1973, une carrière de chef d'orchestre. Comme pianiste, il consacre une grande part de son activité à la musique de chambre, où il se révèle un interprète d'exception, à la musique à quatre mains et à deux pianos, ainsi qu'à l'accompagnement de chanteurs de lieder. En soliste, il a un très vaste répertoire, classique (surtout Mozart), romantique (Beethoven, Chopin, Schubert, Schumann, Brahms) et moderne (Henze, etc.). Ses interprétations, au climat expressif très changeant, pleines d'intuitions fulgurantes, sont souvent très personnelles.

Eschig (Max)

Éditeur français (Opava, Tchécoslovaquie, 1872 – Paris 1927).

C'est en 1907 qu'il fonda sa maison de la rue de Rome, qui était à l'origine une filiale de Schott. Interné pendant la Première Guerre mondiale en tant que ressortissant autrichien, il reprit ses activités en 1919, rachetant divers catalogues français, représentant d'importants éditeurs étrangers (Breitkopf, Simrock, Schott, etc.) et se consacrant aussi à une production originale. La maison Eschig a publié quantité d'œuvres françaises contemporaines (Ravel, Satie, Milhaud, Poulenc, Honegger, Françaix, etc.), ainsi que des partitions de Stravinski, Hindemith, M. de Falla, Villa-Lobos et Lehar. À la mort de Max Eschig, elle est devenue une société anonyme.

Escribano (Juan)

Compositeur espagnol (Salamanque ? v. 1480 – Rome 1557).

Venu à Rome en 1502, il y fut chantre à la chapelle pontificale de 1507 à 1539 et doyen du collège des chantres à partir de 1535. On le retrouve plus tard à Salamanque, mais il revint à Rome à la fin de sa vie. Son œuvre fait de lui l'un des grands maîtres de la polyphonie de l'école castillane, tant dans le contrepoint de ses œuvres sacrées (un Magnificat, des motets, des lamentations) que dans le style syllabique de ses canzoni, dont deux nous sont connues par un recueil publié à Rome en 1510. L'Italie l'influença sans faire perdre à son art une certaine sévérité qui est propre à l'Espagne.

Eslava y Elizado (Don Miguel Hilarion)

Compositeur et musicologue espagnol (Burlada, province de Navarre, 1807 – Madrid 1878).

Cet ecclésiastique, issu d'une famille modeste d'origine catalane, fut maître de chapelle de la cathédrale de Séville (1832-1847), maître de la chapelle royale (1847), professeur de composition au conservatoire de Madrid (1854), puis directeur de cet établissement (1866). Son œuvre de compositeur comprend notamment 140 œuvres sacrées et trois opéras « nationaux » dans lesquels des éléments d'histoire et de folklore espagnols sont présentés dans un langage en fait très influencé par le style italien. Il écrivit également plusieurs ouvrages didactiques et fonda en 1855 la Gaceta musical de Madrid, revue qui devait être appelée à jouer un rôle important. Son nom reste enfin attaché à la publication de la Lira sacrohispana (10 vol., Madrid, 1869), importante anthologie (et la première en date) regroupant des œuvres de musique religieuse espagnole du XVIe au XIXe siècle.

Espagne

Peu de nations européennes peuvent se réclamer d'un passé musical aussi prestigieux que celui de l'Espagne. En marge même d'une tradition populaire séculaire où se retrouvent les différents héritages du monde méditerranéen et de l'islam, elle bénéficie, du VIe au VIIIe siècle, de la culture wisigothique, qui y installe rapidement sa liturgie avec une notation neumatique originale dont les différents antiphonaires (Léon et surtout Silos) ne permettent malheureusement pas de déchiffrer la clef en dehors du rythme et parfois de la modalité. On en comprend cependant l'élévation mystique et on a pu, à juste titre, voir dans les prières du VIIe siècle les ancêtres de la « séquence ».

   À l'influence wisigothique succède, après le IXe siècle, celle des musulmans établis dans le sud du pays, principalement sous l'impulsion du célèbre Ziryab, transfuge de la cour de Bagdad, luthiste, théoricien, poète, compositeur et pédagogue, installé à Cordoue en 822. Mais, dans le même temps, et quand le chant roman se substitue au rite mozarabe (auquel se trouve encore lié le Canto de la Sibila provenant de Ripoll ou de Cordoue), l'influence française se manifeste dans l'amorce d'un retour au grégorien et le développement d'une polyphonie inspirée de l'organum. C'est le début des écoles polyphoniques constituées en Catalogne, en Aragon, en Castille et à Valence, et que les monastères entretiendront jusqu'à la Renaissance dans des rapports étroits avec Limoges, Narbonne, Moissac, Cluny et Paris. Des manuscrits précieux en conservent le témoignage, notamment le Codice Calixtino, d'inspiration clunisienne, et le manuscrit de la Huelgas, contenant 186 œuvres datant parfois de la fondation du monastère. On y trouve 18 « conduits » polyphoniques appartenant au répertoire de Notre-Dame de Paris.

   Réciproquement, c'est plusieurs décennies avant l'ère des troubadours que l'Espagne connaît une poésie lyrique raffinée, probablement liée à l'art musulman (et même hébraïque), et qui s'épanouit au fil des siècles grâce aux échanges artistiques avec ses voisins. La monodie de cour évolue notamment après la croisade de 1147 dans le sillage des Provençaux accueillis par les souverains, certains d'entre eux (Alphonse II d'Aragon, Guiraut de Cabrera ou Uc de Mataplana), avant même Alphonse le Sage, allant jusqu'à pratiquer l'art du chant. Et c'est seulement sous le règne d'Alphonse le Magnanime (1416-1458) et de son fils Ferdinand Ier qu'une école polyphonique retrouve, au milieu des productions françaises ou italiennes, un ton typiquement espagnol que les chapelles musicales des Rois Catholiques ne cesseront d'entretenir.

   La période de transition qui s'étend jusqu'au début du XVIe siècle voit s'organiser les différentes expressions de la musique profane et de la musique religieuse grâce à des créateurs de talent dont le Cancionero de Palacio a conservé la mémoire : plus de 450 pièces, composées entre 1450 et 1610, y sont attribuées à Francisco de Peñalosa (v. 1470-1528), auteur de messes, hymnes, motets et ensaladas) Pedro de Escobar (chansons), Juan de Anchieta (messes et chansons), Juan Urreba et surtout Juan de Encina (1468-1529), auteur de romances, villancicos, églogues, autos sacramentales, précurseur du drame espagnol et de l'oratorio.

   La musique y reflète à la fois la fin de la grande aventure nationale qui s'est terminée à la reddition de Grenade et l'esprit qu'en ont acquis les différentes couches de population, du paysan au « grand d'Espagne ». Accueillant l'Ars nova venu d'Italie et ses formes plus simples et plus harmoniques que l'art des Flamands, elle s'anime alors d'un accent qu'elle n'avait jamais connu pour évoquer la vie du pays à l'aube glorieuse du XVIe siècle. Une certaine âpreté tempérée par l'émotion y contrebalance les subtilités du lyrisme chevaleresque, les manifestations d'une piété reconnaissante ou les ébats turbulents des réjouissances populaires, cela dans un souffle épique aux colorations étrangères à cet envoûtement oriental que gardera longtemps l'Andalousie.

   Un tel essor de toutes les formes de la musique trouve son épanouissement dès les premières années du XVIe siècle quand, des différentes provinces d'Espagne, des génies surgissent pour réserver à leur pays une place privilégiée dans l'histoire de l'art.