Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
C

Châtelet (théâtre du)

Théâtre parisien sur la rive droite de la Seine, construit à l'emplacement du Théâtre du Cirque impérial et inauguré en 1862 : il était alors le plus grand théâtre de la capitale.

Il fut longtemps consacré au théâtre parlé et abrita pendant près d'un siècle les Concerts Colonne. En 1909, Diaghilev y installa ses Ballets russes. Strauss y dirigea la création française de Salomé en 1907, et Mahler celle de sa Deuxième Symphonie en 1910. Maurice Lehmann, seul directeur de 1931 à 1966, et son successeur Maurice Marcel Lamy en ont fait un lieu privilégié de l'opérette : triomphent alors Francis Lopez et Luis Mariano. Après un dépôt de bilan (1970), une période transitoire et des travaux considérables, le Châtelet rouvrit ses portes en 1980. Sous la direction de Jean-Albert Cartier puis (à partir de 1988) de Stéphane Lissner, il est devenu un des hauts lieux de la musique et de l'opéra à Paris, consacrant largement ses saisons à un ou plusieurs compositeurs précis (en 1995 à Arnold Schönberg).

Chaumont (Lambert de Saint-Théodore, dit)

Organiste et compositeur wallon (pays de Liège v. 1645 – Huy 1712).

Moine carmélite, il fut curé d'une paroisse proche de Liège où il tint l'orgue. En 1695, il publia un livre de Pièces d'orgue sur les huit tons, augmenté d'un Traité de l'accompagnement, d'une Règle générale pour toucher le contrepoint et d'une Méthode d'accorder le clavecin. Le style des huit suites de douze à quinze pièces qui composent son livre d'orgue se rapproche de celui de Nivers et de Lebègue.

Chausson (Ernest)

Compositeur français (Paris 1855 – Limay, Mantes-la-Jolie, 1899).

Évoluant dans un milieu familial aisé (son père était entrepreneur de travaux publics) mais feutré, Ernest Chausson se vit confié à un précepteur, Brethous-Lafargue, qui suscita en lui le goût de l'étude et de la culture (lecture, dessin, expositions, concerts) et le fit pénétrer dans divers salons littéraires ou musicaux (chez Mme Jobert, Mme de Rayssac). Chausson y côtoya des artistes qui devaient avoir une influence non négligeable sur son esthétique : Fantin-Latour, Odilon Redon, Vincent d'Indy, qui allait le présenter à César Franck. Son caractère grave, méditatif, voire mélancolique, s'en trouva renforcé, comme sa soif d'absolu qui le fit alors hésiter entre la littérature, le dessin, la musique.

   Pour complaire à sa famille, Chausson passa sa licence (1876), puis son doctorat en droit (1897). Reçu avocat à la cour d'appel de Paris, il préféra rejoindre, au Conservatoire, les cours de Massenet (classe d'instrumentation, 1879-1881) et de Franck (auditeur libre). À ce double enseignement qui imprègne les Mélodies de jeunesse, et le Trio ­ de forme franckiste « cyclique » ­, Chausson ajouta l'influence de Wagner découvert à Munich (1879 : le Vaisseau fantôme, Tétralogie ; 1880 : Tristan) et Bayreuth (1882, Parsifal). Dès cette époque, il se montra plus sûr de son langage : Sept Mélodies, op. 2 ; Viviane, poème symphonique, dédié à sa fiancée, Jeanne Escudier qu'il emmena, après son mariage (le 20 juin 1883), en voyage de noces à Bayreuth.

   Désormais, Chausson mena une existence partagée entre la famille et la musique (composition, animation de la Société nationale de musique ­ S. N. M.). Auprès de sa femme et de ses cinq enfants, il trouva équilibre et bonheur réel, qui s'expriment bien dans sa Correspondance et dans des œuvres telles que la Nuit, le Réveil, Apaisement, Cantique à l'épouse. Il entreprit de nombreux voyages, en Touraine, dans les Pyrénées, à Arcachon (1893-94), en Italie (Rome, Fiesole, 1894-95) ou en Suisse (Morgins, 1899), tant pour parfaire la santé de sa fille Annie que pour pouvoir créer librement. À Paris, durant la saison, il recevait, en son salon célèbre du 22 boulevard de Courcelles, toute l'intelligentsia de son temps ­ de Mallarmé à Régnier, de Tourgueniev à Lalo, des franckistes à Debussy et Albéniz, d'Ysaýe à Cortot. Travailleur infatigable (« ne comprenant que l'effort, constant en toutes choses et dirigé vers le même but », écrivait-il à P. Poujaud), Chausson s'acharnait sur ses partitions, à la fois pour réduire à néant son défaitisme latent et pour ne point passer aux yeux du monde musical pour un amateur aisé. Tout ceci explique que, tard venu à la musique et mort prématurément d'un accident de bicyclette, à 44 ans, alors qu'il travaillait au 3e mouvement de son Quatuor à cordes, Chausson ait finalement laissé un œuvre important, en nombre comme en qualité, et où tous les genres se trouvent pratiquement représentés.

   Cet œuvre s'étend sur quelque dix-sept années, de 1882 à 1899. Marquées par sa vaste culture littéraire (Chausson était familier de tous les classiques, anciens et modernes, en particulier allemands) et artistique (beau-frère du peintre Henry Lerolle, il sut réunir une collection de toiles romantiques et impressionnistes remarquables, signées Delacroix, Courbet, Corot, Renoir, Degas, Monet, Redon ou Denis), ses compositions peuvent se grouper en 3 périodes.

1882-1887

Formation du langage, mélodies élégantes, style sobre, mais plus sensible à la joliesse du propos qu'à la profondeur du sentiment (héritage de Massenet, qui se retrouve dans les Papillons, le Charme, Sérénade italienne). Mais bien vite se superposent une recherche harmonique plus poussée, une langue plus dramatique que soulignent des enchaînements hardis et un souci nouveau du timbre orchestral ; apparaît là le double héritage de Franck (mélodies comme Nanny, la Caravane, le Trio) et de Wagner (Viviane, op. 5).

1886-1894

Devenu secrétaire de la S. N. M. (1886), Chausson se trouva étroitement mêlé au milieu musical. D'où un style plus élaboré, plus dramatique aussi. À part quelques œuvres de circonstance (Chant nuptial, 1887 ; Trois Motets, 1888), cette période fut dominée par des œuvres majeures, de très haute inspiration et de nature essentiellement dramatique : Poème de l'amour et de la mer (commencé dès 1882, mais terminé en 1892), la Légende de sainte Cécile (1891), et surtout l'opéra le Roi Arthus auquel Chausson consacra huit longues années (1886-1895), au cours desquelles il écrivit encore sa noble Symphonie en « si » bémol op. 20 (1889-90) et le Concert op. 21 (1889-1891), qui, l'un et l'autre, soulignent son appartenance au franckisme (forme cyclique, modulations nombreuses, intensité de l'expression lyrique).

1894-1899

La mort de son père, la fréquentation des poètes symbolistes, la découverte du roman russe (Tolstoï, Dostoïevski, Tourgueniev), enfin le sentiment confus de sa mort prématurée accentuèrent chez Chausson son pessimisme latent. Il en naît l'admirable cycle des Serres chaudes sur des poèmes de Maeterlinck (1893-1896), le désenchantement de la Chanson perpétuelle sur un texte de Charles Cros (1898), le fantastique et presque morbide Poème op. 25 pour violon et orchestre, qui trahissent un postromantisme exacerbé dont Chausson souhaitait d'ailleurs sortir. Sous l'influence de son ami Debussy, dont il admirait les œuvres ­ sans peut-être toujours les aimer ­, Chausson, devenu pleinement maître de sa technique, éprouvant le désir d'épurer son style et de tendre vers un classicisme fait de clarté et de concision, à la fois dans l'architecture et le discours, retrouva alors les chemins de la musique de chambre : Quatuor avec piano op. 30 (1897), œuvre lumineuse, déridée ; Ballata d'après Dante (1896-97), Quelques Danses et Paysage (1895-96) pour piano, enfin l'ultime Quatuor à cordes, austère, dépouillé, grandiose, commencé en 1897 mais que la mort l'empêcha d'achever.

   De tempérament intimiste (d'où les nombreuses mélodies), formé à l'école de Massenet, Franck et Wagner, de Beethoven et Schumann, Chausson sut se dégager très rapidement des influences reçues pour retrouver le sens de l'architecture classique française et la règle qui corrige l'émotion. D'une grande probité, généreux autant que délicat (témoin son aide discrète à Debussy ou Albéniz), lié d'amitié avec les plus grands artistes de son époque, il apparaît ainsi comme un témoin et un acteur privilégié de la sensibilité française de son temps.