Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Tinctoris (Johannes)

Compositeur et théoricien de la musique (Nivelles v. 1435 – ? 1511).

Sans doute chantre à Cambrai vers 1460, il est de 1474 à 1476 à la cathédrale Saint-Lambert de Liège avant d'entrer (1476) au service de Ferdinand Ier d'Aragon, roi de Naples, comme chantre et chapelain pour plus de quinze ans. De 1481 à 1483, on le trouve néanmoins à Liège et en 1487 il effectue un voyage à la cour de Bourgogne et à celle de Charles VIII afin d'y recruter des chantres pour Ferdinand. Il vit à Rome en 1492 et encore en Italie en 1495, mais on ignore le lieu de sa mort en 1511.

   C'est lors de son séjour à la cour de Naples qu'il rédige ses douze traités dédiés au roi Ferdinand, à sa fille Béatrice et à de grands musiciens contemporains. Ils constituent une sorte de somme des connaissances musicales de son temps. Certes, Tinctoris y apparaît comme un disciple du néopythagorisme (cf. notamment le traité des Proportions, exposé de la méthode d'approche des proportions mathématiques à la notion musicale où il se laisse emporter par un enthousiasme spéculatif et hyperrationnel).

   Mais s'il développe longuement la signification magique et incantatoire de la musique comme sa valeur éthique, il admet cependant que la musique peut avoir pour seul but de divertir et qu'elle peut apporter la gloire à ceux qui sont experts en cet art. Ce sont là des idées neuves.

Tinel (Edgar)

Compositeur et pédagogue belge (Sinay, Flandre-Orientale, 1854 – Bruxelles 1912).

Prix de Rome belge avec la cantate De Klokke Roeland (1877), il succéda à Lemmens comme directeur de l'Institut de musique religieuse de Malines (1881) et fut nommé en 1889 inspecteur général de l'enseignement musical en Belgique. Il prit en 1908 la direction du Conservatoire de Bruxelles, où il enseignait depuis 1896, et devint en 1910 maître de chapelle de la cour. Il composa l'oratorio Franciscus (1888), les opéras Godelieve (1897) et Katharina (1907), de la musique pour orchestre, etc.

Tippett (Michael)

Compositeur anglais (Londres 1905 – id. 1998).

Il a hérité des traits et du tempérament celtiques de son père, natif de Cornouailles. Au Royal College of Music de Londres, il s'imprègne du répertoire classique : Palestrina, la polyphonie de la Renaissance anglaise, qui le marquera particulièrement, Bach, Haendel, et surtout Beethoven, à la musique duquel, selon sa propre expression, « il se soumet entièrement ». Après s'être perfectionné, notamment en contrepoint, il est enfin satisfait de lui avec le beethovenien Premier Quatuor à cordes (1934-35), marqué, comme les suivants, par l'intérêt exclusif qu'il porte aux questions de forme. Après une Première Sonate pour piano (1936-37), remplie d'airs folkloriques anglais, il s'estime arrivé totalement à maturité avec le Concerto pour double orchestre à cordes (1938-39), sa partition instrumentale demeurée la plus jouée, amalgamant des tournures mélodiques et des rythmes caractérisant la musique anglaise depuis Purcell, et certains autres, syncopés, typiquement américains.

   Jusqu'en 1945, deux passions dominent sa vie : l'art de l'éducation et la politique. Il prend la direction de la musique au Morley College, où il crée de nombreuses œuvres, anciennes et contemporaines, inconnues jusqu'alors ; profondément affecté par les ravages de la « Grande Dépression », il dirige un orchestre de musiciens chômeurs. Trotskiste, un moment engagé au sein du parti communiste, il se rend compte qu'il est, avant tout, un individualiste, d'une farouche indépendance. En 1942, objecteur de conscience, il est condamné, malgré le soutien de Vaughan Williams, à trois mois de prison, qu'il jugera positifs, « test » nécessaire à ses croyances. De cette sombre époque, datent le Deuxième Quatuor à cordes (1941-42) [à l'intense andante dont il nota le thème pendant les journées de Munich, en 1938], la Première Symphonie (1944-45), réponse aux souffrances de la guerre, le Troisième Quatuor à cordes (1946), d'un lyrisme passionné, reflétant l'influence directe des six quatuors de Bartók.

   Tippett exprime la compassion qu'il ressent pour les opprimés en un oratorio, qu'il veut « populaire », au vrai sens du terme, A Child of Our Time (1939-1941), dont le texte qu'il a rédigé lui-même sur les conseils de T. S. Eliot (comme il le fera désormais pour la plupart de ses œuvres), est une protestation passionnée contre les conditions qui rendent toute persécution possible, et poussent un être pacifique à commettre un acte de violence. La phrase finale de l'oratorio (« Je connaîtrai mon ombre et ma lumière, ainsi serai-je en mon entier ») résume la conviction fondamentale de Tippett : l'homme n'atteindra la sagesse que par la connaissance du Bien et du Mal dans sa nature, et l'harmonie intérieure que par leur réconciliation.

   Ce concept de recherche personnelle de la plénitude spirituelle, ou processus d'« individuation », décrit par Jung, Tippett l'entreprend précisément à l'époque avec un analyste jungien. Il le voit alors, sur le plan musical, comme relié à une nécessaire redécouverte des valeurs classiques et morales, remarquablement réussie jusqu'alors, culminant dans son visionnaire opéra-comédie The Midsummer Marriage (1946-1952), où son classicisme sonne de façon absolument naturelle, avec un lyrisme plus brillant, dans un resplendissant la majeur.

   L'influence directe du foisonnement contrapuntique, et la lumineuse opulence de cet opéra (et spécialement celle du monde magique des célèbres « Danses rituelles », à l'acte II) se retrouvent dans la stravinskienne Deuxième Symphonie (1956-57), néoclassique (le climat de l'adagio évoque Charles Ives), et surtout dans la complexe Fantaisie concertante sur un thème de Corelli (1953), évoquant le mysticisme de la nature, très représentative de la tradition pastorale dans la musique anglaise, celle de Vaughan Williams, Elgar, Delius, avec laquelle il présente une forte continuité (Tippett restera toujours un homme de la terre ; il vivra, à partir de 1951, retiré à la campagne).

   Au milieu des années 50, Tippett réalise qu'il ne peut aller plus loin dans cette voie sans se répéter, éprouve aussi le besoin d'étendre son vocabulaire musical. Avec King Priam (1958-1961), son deuxième opéra, dont la partition ressemble à une énorme mosaïque, il opère un changement abrupt et complet, une rupture décisive avec le passé : prédominance de l'harmonie sur le contrepoint ; pas de progression tonale claire, la musique ne se développant pas (Tippett ne retournera d'ailleurs plus à la tonalité traditionnelle).

   Les possibilités mosaïques formelles de ce nouveau style sont explorées dans la Deuxième Sonate pour piano (1962), le Concerto pour orchestre (1962-63), et aboutissent aux superpositions étincelantes d'une de ses partitions les plus ambitieuses et les plus profondes, l'oratorio la Vision de saint Augustin (1963-1965), consacré à l'une de ses préoccupations philosophiques majeures : le temps.

   Dans son troisième opéra The Knot Garden (1966-1970), Tippett accomplit une riche synthèse de tous ses styles antérieurs, avec certaines innovations, et surtout, une véritable « américanisation » de sa musique.

   Celle-ci marquera la Troisième Symphonie (1970-1972), dont la « Première Partie » se caractérise par l'opposition entre une musique dynamique (l'obsession de Tippett pour les allégros beethoveniens, qui se retrouve d'ailleurs dans la Troisième Sonate pour piano de 1972-73) et statique, suspendue dans les airs, et dont la « Deuxième Partie » est consacrée à une réflexion sur la signification et l'actualité du message prodigué par l'Hymne à la joie, de Beethoven et Schiller (dont sept mesures sont citées) au siècle des camps de la mort et du goulag ; à sa place, Tippett offre une « ode à la compassion », sous forme d'une série de blues, chantés par la soprano solo, se terminant sur une citation de Martin Luther King : « Nous ressentons un immense pouvoir de compassion, pour guérir, pour aimer », clef de son quatrième opéra The Ice Break, nouvelle œuvre de signification contemporaine où l'on retrouve les allusions au jazz et au blues, les arabesques mélodiques à l'ornementation exubérante, les harmonies de quartes, les appels de cors, les scintillements de célesta et de glockenspiel.

   Avec la Quatrième Symphonie (1976-77), en un seul mouvement, d'une sauvage grandeur, Tippett retourne à une conception abstraite, purement instrumentale : partition virtuose, directement inspirée par les qualités de l'Orchestre symphonique de Chicago, mais avec comme programme le cycle de la vie humaine. Après un Quatrième Quatuor (1977-78) de la même veine, le Triple Concerto pour violon, alto et violoncelle (1980) explore de nouveaux domaines instrumentaux (sons inspirés par la musique de Bali). Tippett a achevé en 1983 une nouvelle partition qui apparaît comme le couronnement de son œuvre, The Mask of Time, pour quatre solistes, chœurs et orchestre, d'après Milton et Shelley (création en 1984) et en 1984 une Quatrième Sonate pour piano. En 1989 a été créé à Houston son cinquième opéra, New Year, et en 1991 composé son Cinquième Quatuor. Suivirent encore Byzantium pour orchestre (1991) et The Rose Lake, chant sans paroles pour orchestre (1993).

   Ayant débuté de façon conservatrice par une recréation de la tonalité classique, Tippett, en une série de contrastes brutaux, a graduellement abandonné le système tonal pour pratiquer une atonalité essentiellement diatonique, et a créé ainsi un monde propre, poétique et passionné, aisément reconnaissable, jamais conventionnel ni superficiel, dont l'individualisme exubérant contraste avec la « dé-personnalisation » sécrétée par le langage international du sérialisme.

   Tippett est, par ailleurs, sûrement le seul compositeur contemporain, avec Zimmermann, qui ait été le plus radicalement influencé par le jazz, et en ait approché l'essence, car il s'est senti concerné par cette musique des opprimés, lui, qui, comme Zimmermann, Hartmann, Chostakovitch, Britten, a consacré sa vie à une conception généreusement humaniste de l'art. Le ton exalté, extatique, de ses musiques les plus originales le place, avec Messiaen, parmi les seuls authentiques visionnaires contemporains : comme il l'écrit lui-même dans son recueil de textes Moving into Aquarius, il s'est assigné une immense tâche, et a réussi à « créer des images des profondeurs de l'imagination, et à leur donner une forme visuelle, intellectuelle ou musicale (…) dans une époque de médiocrité et de rêves évanouis, des images d'une beauté généreuse, exubérante ».