Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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France (XVe s.) (suite)

La musique religieuse

En ce qui concerne la musique religieuse, deux faits retiennent l'attention. D'une part, le motet, de profane (cf. Machaut), devient religieux ; d'autre part, on assiste à la constitution progressive du cycle unitaire de la messe par le biais de l'adoption d'un thème donné (cantus firmus) commun aux différents fragments, emprunté au répertoire liturgique ou profane (d'où le nombre de messes portant un titre de chanson) ou, parfois, plus artificiel (cf. la messe Mi-mi d'Ockeghem). Ainsi naissent trois types : la messe à teneur (thème présenté au ténor en valeurs longues), la messe paraphrase (un ou plusieurs thèmes divisés en sections), la messe parodie (adaptation plus ou moins libre d'un modèle polyphonique). En effet, si chez Binchois, malgré quelques timides groupements, le fragment indépendant écrit dans un style proche de celui de la chanson reste la règle, Dufay, manifestant son esprit d'invention, met en place le cycle de la messe et bâtit de grandes architectures à 4 voix en tirant parti de la technique du cantus firmus reprise au motet (cf. ses œuvres postérieures à 1460 : messes de l'Homme armé, Ecce ancilla, Ave Regina). C'est la marque d'un esprit nouveau se dégageant résolument de l'héritage de l'Ars nova et qui annonce la découverte des possibilités de la maîtrise de la technique du contrepoint et du style en imitation par la génération d'Obrecht, de La Rue et Ockeghem. Ce dernier est sans doute l'un des premiers compositeurs à traiter dans un esprit différent la musique profane et la musique religieuse. Sa virtuosité technique, sa mathématique transcendante ne sauraient gêner son goût pour l'émotion immédiate ; l'expression, le souci du rapport texte-musique conditionnent le choix de ses moyens et la création d'un tissu sonore où point le sentiment de l'harmonie. Josquin ira encore plus loin. Il adopte, certes, le principe d'imitation continue à toutes les voix comme une marque essentielle de son style, mais la division en deux groupes du quatuor vocal place son écriture sous le signe de la clarté. En outre, son souci constant est bien de mettre en valeur le sens figuratif émotionnel du texte par des figures types à valeurs symboliques. C'est surtout dans le motet à mélodie libre (par opposition au motet sur mélodie donnée où, à partir du style cantilène de Binchois, se précisera la technique de développement par sections adoptée par Dufay et mise au point par Josquin) que ce figuralisme s'épanouira. Dans ce genre plus libre, Josquin laisse aller son imagination créatrice et sa virtuosité (une quarantaine de pièces à 5 ou 6 voix, le reste à 4 voix comme les messes) tout en recherchant un équilibre entre texte et musique, mélodie et rythme, harmonie et polyphonie. Cette importance du texte au détriment du nombre sur lequel se fonde encore la forme au début du siècle (le motet isorythmique est constant chez Grenon, fréquent chez Binchois) est significative de la transformation stylistique qui s'est opérée. Aussi ne sommes-nous pas étonnés de voir à la fin du XVe siècle la musique passer, à l'intérieur des Arts libéraux, du quadrivium (qui regroupe au Moyen Âge les disciplines scientifiques : arithmétique, géométrie, astronomie et musique) au trivium (qui regroupe les disciplines littéraires : grammaire, philosophie, rhétorique).

   Enfin, il ne faudrait pas oublier l'existence d'un théâtre religieux très vivant et populaire : le XVe est le siècle des mystères consacrés à la Passion (cf. celles d'Arnoul Greban à Paris, 1450, de Jehan Michel à Angers, 1485) ou à la vie des saints (cf. le tableau de Jean Fouquet, le Martyre de sainte Apolline). Même si nous n'en avons aucune trace manuscrite, nous savons que la musique y jouait un grand rôle.

France (XVIe s.)

À la mort de Josquin (1521), la grande tradition du contrepoint franco-flamand n'est pas oubliée. Peu attirés par l'Italie, des musiciens comme Mouton, Gombert, Créquillon, Clemens non Papa, P. de Manchicourt continuent à adopter systématiquement le principe de l'imitation. Ils font même, pour certains, école et contribuent à répandre par toute l'Europe ce style qui, à la chapelle papale, survivra jusqu'à Palestrina. Toutefois, d'autres compositeurs d'origine et de formation franco-flamandes, tel Willaert (qui fut maître de chapelle de Saint-Marc à Venise trente années durant), savent, sans le renier, insuffler à la tradition nordique un sang nouveau en pratiquant, entre l'art néerlandais et italien, une synthèse qui représente un tournant important dans l'histoire de la musique. Willaert participe avec Verdelot (1er Livre de madrigaux, 1530) et Arcadelt (1er Livre de madrigaux, 1539) à l'élaboration du nouveau style italien et du genre du madrigal dont Cyprien de Rore représente la seconde manière avec un souci exacerbé du texte, prévalant sur la structure musicale, et de l'expression comme de la couleur harmonique (emploi audacieux du chromatisme). Dans la seconde moitié du XVIe siècle, enfin, le « style imitatif syntaxique » (Ch. Van den Borren), trop pesant, n'est plus en mesure de se survivre : Lassus est certes l'aboutissement, génial, de la polyphonie néerlandaise, mais son œuvre en souligne la désagrégation sous l'influence italienne.

La chanson

Si la chanson reste en France le genre en vogue, elle cesse d'être un genre international après la mort de Josquin et prend de nouvelles formes, en réaction contre la technique savante flamande. On chante tous les plaisirs de la vie, privilégiant des textes de forme libre (quatrain ou dizain de 8 ou 10 pieds) qui dictent leurs lois à la forme musicale. La chanson, à 4 voix, devient un théâtre en miniature où la musique commente le texte traité de manière syllabique, en donnant au rythme l'avantage sur l'invention mélodique, en évitant les mélismes au profit d'imitations serrées, souvent virtuoses et prisant les onomatopées : c'est la chanson parisienne des années 1520-1550 dont Passereau, Sermisy, Certon et surtout Janequin sont les meilleurs représentants (Cl. de Sermisy incarnant une tendance plus « respectable »). L'essor de l'imprimerie musicale lui assure une large diffusion dans la bourgeoisie dont elle reflète d'ailleurs les goûts : le 1er recueil de Chansons nouvelles en musique à 4 parties, c'est-à-dire parisiennes, est publié en 1528 par Attaingnant (longtemps l'éditeur exclusif de Janequin et Sermisy) qui, jusqu'à sa mort en 1552, en éditera environ 1 500. Avec Arcadelt, en 1547, et le 1er Livre de chansons de Certon (1552), apparaît un nouveau type, la chanson en forme d'air, transition entre la chanson parisienne du début du XVIe et l'air de cour du XVIIe siècle : le traitement du texte est syllabique, le style adopté de préférence homophonique, la forme strophique. Cette transformation de l'esprit même de la chanson est liée au mouvement artistique de la seconde Renaissance française et à la tentative de la Pléiade de restaurer l'union de la poésie et de la musique à l'image de l'Antiquité classique. D'ailleurs, cette même année 1552 voit paraître, chez la veuve de la Porte, la première édition des Amours de Ronsard (et le 5e Livre d'odes) avec un supplément musical, dix textes mis en musique par Certon, Janequin, Muret, Goudimel ; à la suite, une liste invitait à chanter tel ou tel sonnet sur l'un des quatre modèles créés par la disposition des rimes des quatrains et tercets.

   L'attente de Ronsard, qui destinait la plupart de ses textes à recevoir une musique car « la poésie sans les instruments ou sans la grâce d'une seule voix n'est nullement agréable », ne fut guère déçue : une trentaine de musiciens s'y attachèrent, mais le premier recueil entier qui lui fut consacré ne date que de 1566 (Pierre Cléreau, 1er Livre d'odes de Ronsard, à 3 voix). La seconde génération des musiciens de Ronsard, celle de Le Jeune, Costeley, Mauduit, A. de Bertrand, correspondra à la plus belle réussite de cette tentative : la traduction plus directe du texte (qui doit être compris de tous) devient l'objectif premier et, au-delà même de l'adoption du style « vertical » et d'une plus grande souplesse de la déclamation rythmique, on débouche sur l'idée de liberté compositionnelle. Ces chansons en nouveau style, adaptées pour la voix avec accompagnement de guitare, paraissent sous le nom de « voix de ville » (chez A. Le Roy, 1552), plus tard sous celui d'« airs de cour » (Livre d'airs de cour miz sur le lutz, chez A. Le Roy, 1571).

   L'Académie de poésie et musique, créée en 1571 par A. de Baïf et Thibault de Courville grâce à la protection de Charles IX qui passa outre à l'avis du Parlement, se proposait de donner des lettres de noblesse au mouvement humaniste d'union de la poésie et de la musique : conformément au propos exprimé un siècle auparavant par l'humaniste italien Ficin, il s'agissait, par le biais d'une musique mesurée à l'antique, de retrouver l'ethos de la musique et d'en faire revivre les « effets ». La musique devenait ainsi le plus sûr garant de l'ordre social comme chez Platon (cf. République, VIII). À la mort de Thibault de Courville (1581), Mauduit travailla avec Baïf (cf. Chansonnettes mesurées, 1586), mettant l'accent sur la recherche des divers moyens d'exécution. Mais c'est surtout Claude Le Jeune qui devait assurer le succès de la tentative : tout en appliquant strictement les principes de la musique mesurée, il sait trouver une grande variété rythmique et faire éclater la chanson polyphonique de manière très personnelle (cf. les Airs mis en musique, 1594 et 1608, et les chansons mesurées du recueil le Printemps, 1603). Le Jeune fut sans aucun doute l'un des plus grands musiciens de son temps, mais la publication des œuvres de Lassus à partir de 1564 jeta quelque ombre sur la chanson française de la fin du XVIe siècle. Le Jeune participa aussi à la mise en musique du psautier huguenot ; en effet, d'abord conçu pour être chanté à l'unisson, le psaume put ensuite recevoir une harmonisation à 4 voix ou plus : Loys Bourgeois, Goudimel, Le Jeune y travaillèrent mais aussi des musiciens catholiques comme Certon, Arcadelt ou Mauduit. De la sorte, sa mise en musique reflète l'évolution de la chanson et l'écriture « verticale » l'emporte sur le style contrapuntique après 1560. Signalons, enfin, une forme de la chanson polyphonique propre aux musiciens « réformés » : la chanson spirituelle de caractère moralisateur, une manière de s'opposer aux « chansons folles » que la Contre-Réforme elle-même décriera (cf. Le Jeune, Octonaires de la vanité et inconstance du monde [1606] ou, avant lui, Paschal de L'Estocart). L'importance du mouvement musical lié à la Réforme ne doit cependant pas faire négliger les œuvres écrites dans le cadre du culte catholique : Messe de Le Jeune, motets de Mauduit, etc.