intermezzo
Dans l'évolution des genres lyriques, l'intermezzo a assumé des fonctions diverses : spectacle complet au XVIe siècle, mêlé de chant, de danse, de divertissement instrumental, il désigna au XVIIe siècle plus particulièrement l'intermède lyrique (pastorale, favola in musica, etc.) inséré dans les fêtes données dans les palais italiens. Puis, dès l'ouverture de théâtres publics et payants (1637), il fut de mise de distraire le public durant les entractes (que les changements de décors rendaient assez longs) par des intermezzos, d'abord chorégraphiques, puis lyriques. Lorsque, au XVIIIe siècle, l'opéra eut nettement séparé les éléments tragiques des éléments comiques, les deux entractes de l'opera seria furent généralement remplis par deux intermezzos bouffes, constituant ainsi les deux actes d'une œuvre comique, joués devant le rideau et nécessairement réduits à la plus grande simplicité, limités à deux ou trois personnages. Le compositeur de l'operia seria représenté écrivant lui-même la musique de cet intermezzo, le genre bénéficia de l'apport de musiciens tels que Scarlatti, Leo, Feo ou Pergolèse, dont La Serva padrona (1733) passa pour le modèle du genre, et rivalisa ainsi victorieusement avec le véritable opera buffa, plus populaire et d'un galbe musical souvent très sommaire. C'est la fusion de deux genres, vers 1760, qui donna naissance au grand opera buffa et à ses dérivés plus ambitieux, tels que le dramma giocoso, l'opera semiseria, etc. Aux XIXe et XXe siècles, le même terme d'intermezzo désigna un interlude orchestral séparant les actes ou les tableaux d'un opéra et aussi certaines pages instrumentales isolées (opus 4 de Schumann, diverses pièces des opus 116-119 de Brahms) ou faisant partie d'œuvres plus vastes (intermezzos du quatuor avec piano op. 25 et de la sonate op. 5 de Brahms ou de la sonate op. 11 de Schumann).
interprétation
Dans un sens large, l'interprétation d'une œuvre écrite désigne non seulement l'exécution de la partition, c'est-à-dire la réalisation sonore fidèle des signes notés, mais aussi l'expression, le sentiment, la vie, les significations dont le ou les interprètes revêtent cette exécution, par une série d'actes et de décisions, qui, en principe, n'ont pas été déterminés par le compositeur. À partir de cette définition commune, les conceptions s'opposent, parfois, entre ceux qui considèrent l'interprétation comme une création individuelle qui se surajoute à l'œuvre et ceux qui veulent qu'elle soit l'actualisation, le déploiement des intentions « cachées » ou implicites du compositeur.
Dans la musique occidentale du XVIIe siècle à nos jours, où les hauteurs et les structures de durées sont généralement notées de manière précise et exhaustive, la marge de jeu et de décision laissée à l'interprète, à partir du texte écrit du compositeur, reste considérable et concerne notamment le choix des tempos, du phrasé, de l'articulation (même si l'auteur les précise sommairement), la sonorité, la réalisation des nuances, la conduite des voix parallèles, la « construction » du discours, composantes auxquelles il faut ajouter des impondérables multiples et dont la somme « fait » l'interprétation. L'oreille humaine est d'une extrême sensibilité à de minimes différences de toucher, de nuances, d'émission du son, d'expression, etc., qui peuvent faire toute la différence entre une exécution « honnête » et une interprétation géniale. Dans la musique ancienne (y compris la musique dite « baroque »), la partition était généralement moins précise et impérative, et l'interprète possédait des « libertés » apparemment supplémentaires, concernant l'ornementation, le détail des lignes mélodiques, l'instrumentation et souvent même la liberté d'improviser (cadences, basses continues) à partir du canevas donné par le compositeur. Cette tradition essentiellement orale s'étant perdue et n'ayant été retrouvée que récemment à partir de textes, on peut dire que les problèmes de l'interprétation de la musique ancienne intègrent de nombreux problèmes d'exécution, sur lesquels l'unanimité n'est pas faite.
Interprétation, exécution et notation
Notre musique est fondée, depuis plusieurs siècles, sur le principe de l'œuvre écrite fixée sur une partition, laquelle constitue un texte que l'interprète doit « lire », mais aussi faire parler. C'est au traité d'interprétation de Johann Joachim Quantz (1752) que l'on doit une des meilleures définitions de cette notion, alors que le mot ne possédait pas encore son sens actuel : « L'expression musicale peut être comparée à celle d'un orateur. » Il faut non seulement transmettre un contenu écrit, mais « s'emparer des cœurs ». Pour cela, il faut que l'orateur ait « la voix forte, claire et nette, la prononciation distincte, qu'il sache varier son discours », soutenir l'intérêt et la curiosité. Le même auteur pose aussi très clairement la différence entre le niveau purement technique de l'exécution et l'interprétation proprement dite : « Je ne veux pas instruire le joueur de flûte seulement par rapport à ce qu'il y a de mécanique dans cet instrument, mais [… ] j'ai travaillé aussi pour le rendre un musicien entendu et habile. » Ainsi l'interprétation consiste-t-elle dans l'art de la parole musicale, complémentaire de l'art de la langue musicale pratiqué par le compositeur. La distinction langue/parole, introduite par Ferdinand de Saussure dans les recherches linguistiques, peut, en effet, être transposée dans la musique : la langue est le système du discours, « social dans son essence et indépendant de l'individu » ; la parole (comparée précisément par Saussure à une exécution musicale) est l'incarnation de ce discours, comme « partie individuelle » du langage. Cette répartition des tâches et des capacités entre les compositeurs, d'une part, et les exécutants-interprètes, d'autre part, n'a pas de sens dans des musiques dites « orales », comme le jazz ou les musiques indiennes ou africaines traditionnelles, dans lesquelles le musicien ne s'appuie pas sur une partition préécrite, mais invente son discours en même temps qu'il le parle. Dans l'impression que reçoit alors l'auditeur, dans le jugement qu'il peut porter, on ne peut dissocier la part de l'interprétation de celle de l'exécution ou de celle de l'invention. Au contraire, dans notre système occidental actuel, l'interprétation est un mystérieux « en plus » apporté par l'interprète, auquel parfois on trouve à reprocher de n'être qu'un exécutant. Encore pose-t-on comme préalable, nécessaire mais non suffisant, que l'exécution de la partition soit correcte et fidèle. Bien que le respect de la partition n'ait jamais été aussi grand qu'aujourd'hui chez les interprètes, on trouve encore à leur reprocher parfois des fautes d'exécution : notes « à côté », fautes de mesure, nuances non observées, etc. La tolérance à ces écarts semble diminuer avec la surenchère de technicité créée par la culture discographique et radiophonique.
On considère donc généralement que la fonction de l'interprétation est d'émouvoir, de toucher, ce qu'on ne pense pas que puisse faire l'exécution objective de la partition. Plus récemment, on a voulu définir l'interprétation idéale comme l'art de réaliser la « parole » voulue intimement par le compositeur, que les symboles écrits ne pouvaient qu'incomplètement représenter. Dans cette optique, la partition apparaît comme le pathétique balbutiement écrit d'une intention musicale, que le vocabulaire réduit et grossier de la notation ne permet pas de dire totalement et dont l'interprète doit « déployer la parole ». Cela n'est pas complètement faux, mais les énormes différences observables entre deux versions également convaincantes et correctes du point de vue de l'exécution doivent conduire à relativiser cette conception de l'interprétation comme réalisation fidèle des intentions prêtées au compositeur.
Le rôle considérable donné à l'interprète et le vedettariat dont il bénéficie ne sont pas une invention de notre époque. Les « vedettes » du chant, du violon, du clavier existent depuis plusieurs siècles. L'interprétation représente depuis longtemps la part de parole, la part orale de notre musique savante, fondée sur l'écrit certes, mais jamais totalement, sauf dans des cas limites. Malgré l'existence de traités, comme ceux de Quantz, de Tosi, etc., la transmission des styles d'interprétation se faisait surtout de manière orale, directe, de maître à élève, d'interprète à auditeur. Nous ne les connaissons plus que par des témoignages écrits. L'avènement de l'enregistrement sonore a bouleversé cet état de fait. On peut désormais fixer et reproduire à volonté des images extrêmement précises de l'interprétation, de la parole musicale jusqu'alors vouée à l'éphémère. Arrachée au temps, l'interprétation devient un objet : de culte, de contemplation, d'étude, en dehors de la circonstance du concert comme lieu et moment privilégié et unique.
Remarquons que le compositeur occidental, si pointilleux fût-il sur la notation de ses intentions, a toujours négligé, et pour cause, de noter dans sa partition beaucoup de conventions d'exécution qui allaient de soi à son époque, telles que les « notes inégales » dans la musique baroque. Si l'exécution actuelle s'appuie sur l'écrit du compositeur, cet écrit repose lui-même sur des traditions orales qu'on ne jugeait pas nécessaires de noter, puisque connues de tous. Seulement, l'usage de ces traditions et de ces habitudes se perdit, et celles-ci restèrent consignées dans un nombre limité de traités ; aussi, quand on a ressorti des bibliothèques les partitions de Bach, de Monteverdi ou de Telemann en se fiant à l'écriture, a-t-on produit des exécutions musicales qui, pour être apparemment fidèles au texte écrit, n'en étaient pas moins infidèles à la lettre de la partition. Pourquoi, en effet, si l'on se dit fidèle au texte, omettre de respecter les traditions sur lesquelles ce texte s'appuie implicitement ? Tel est le grief formulé par certains contre ceux qui persistent à jouer Bach ou Telemann « à la moderne ». Le problème, que l'on retrouvera plus loin, est complexe en raison de la nature multiple de la musique. Si incomplet qu'il soit, le texte de la partition transmet apparemment les structures musicales essentielles (hauteurs, rythmes, formes, etc.), qui peuvent survivre à d'incroyables variations, tempos, accentuations, instrumentations, etc. Le modèle de cette musique, qui semble à la limite n'être qu'un pur texte, non destiné à la parole, est l'Art de la fugue de Bach, écrit sans indications d'instrumentation. À l'opposé, la plus grande partie de la musique classique et de la musique romantique est écrite pour l'exécution, pour l'interprète.
Si l'interprétation musicale occidentale consiste à donner la parole au texte, c'est naturellement par référence à la voix humaine, proposée comme modèle à tout interprète. La plupart des traités destinés aux interprètes (flûtistes, violonistes, clavecinistes), depuis le XVIIIe siècle, leur prescrivent de chanter comme le ferait une voix, de l'imiter dans son phrasé, ses respirations, son articulation, sa sonorité même. Donner voix humaine au jeu instrumental, au-delà du mécanisme, de l'exécution, tel était l'idéal proposé.
On s'est, curieusement, assez peu interrogé sur les imprécisions de la notation occidentale. C'est pourtant l'un des moyens de comprendre sur quoi fonctionne l'interprétation en tant que « surplus » par rapport à l'exA©cution des signes notés. L'interprétation occidentale de la musique écrite apparaît comme un art de jouer des imprécisions de l'écrit. La musique classique occidentale note fort précisément et exhaustivement les relations des hauteurs, et même les valeurs absolues des hauteurs grosso modo, puisque le diapason est assez variable, et aussi, depuis l'avènement du tempérament, les intervalles. C'est sur le jeu des hauteurs (tonalité, mélodie, harmonie, contrepoint, modulations, etc.) que le compositeur fait porter l'essentiel de son travail de conception et d'écriture. Sur les hauteurs, l'interprète n'a donc plus l'initiative qu'il avait dans la musique ancienne. En revanche, il en conserve une, très importante, sur les tempos, c'est-à-dire sur les valeurs absolues des durées. En effet, si la musique occidentale note assez strictement les structures de durée, les formes rythmiques (en même temps qu'elle en limite les figures), elle néglige souvent d'imposer les valeurs absolues de ces durées, c'est-à-dire le tempo, cela malgré l'invention du métronome par Maelzel, au début du XIXe siècle, qui donnait la possibilité de fixer une fois pour toutes les durées métronomiques et de les faire respecter impérativement. Or, notre musique s'est plu à conserver la liberté du tempo, d'une part parce que l'oreille est sensible aux rapports de durée et d'espacement temporel entre les sons, mais moins aux valeurs absolues de ces durées, et d'autre part comme pour préserver la part du jeu et du risque dans l'exécution. Le « bon tempo » n'est pas défini métronomiquement ; c'est une allure organique, vécue, un sentiment de vitesse. On notera, avec Robert Donington, que les indications de tempo conservées par notre musique (bien qu'extrêmement imprécises) sont à la fois des indications de vitesse et d'expression : allegro signifie gai et vite ; largo, large en même temps que lent ; scherzo, en badinant, etc. Il y a une visible résistance de la musique occidentale, pourtant avide de précision, à s'enfermer dans le carcan des contraintes métronomiques comme pour éviter d'accuser la part « mécanique » forcément inhérente à toute exécution. L'interprétation idéale est définie comme un subtil mélange de rigueur rythmique (la main gauche dont parle Chopin, qui est le « maître de chapelle » battant la mesure) et d'irrégularité contrôlée (la droite se permettant des écarts, du « rubato »).
À l'opposé, certaines musiques traditionnelles, comme celle de Bali, ou modernes, comme la musique répétitive américaine, ne craignent pas de viser une régularité rythmique absolue, robotique. En effet, le propre du métronome, qui est une mécanique, est non seulement de définir une certaine vitesse d'exécution (une noire à la seconde, par exemple), mais aussi d'inviter à la respecter avec une précision d'automate. Cette tolérance de notre musique sur la définition du tempo laisse des possibilités d'écarts, de fluctuations et de variations considérables (un quart d'heure de différence entre deux versions d'une symphonie de Mahler). Observons, par ailleurs, que notre système de notation à base binaire, ingénieux et rationnel, est inapte à noter beaucoup de rythmes irrationnels et souples de la musique orale, contrairement au système, pourtant plus « grossier », des neumes primitifs.
Valeurs de hauteurs et de durées sont donc notées sur la portée et semblent donc constituer le texte de base, intouchable, de la partition. Les autres indications (phrasé, accents, articulation, nuances), par leur disposition graphique même elles sont autour des notes et au-dessus ou au-dessous de la portée , semblent annexes et secondaires, alors qu'elles sont parfois primordiales pour le sens du discours. Par exemple, pour noter des variations de nuances (que ne comportait pas, disent certains, la musique ancienne), notre système a recours soit au rudimentaire « soufflet » (crescendo ou diminuendo), soit à des lettres aussi vagues et vite dévaluées que les p, pp, ppp, pppp, etc., et les f, ff, fff, ffff, etc. De même pour les indications d'articulation et de phrasé (renvoyant à la parole), qui ne sont souvent qu'esquissées. Enfin, certaines indications capitales d'intonation ou d'expression sont traduites par des expressions verbales telles que sotto voce (à voix étouffée) ou con moto (avec du mouvement). C'est dans cette marge d'imprécision que joue le rôle de l'interprète, ainsi que dans la création de la sonorité. Les notations même les plus « maniaques » de la musique récente n'arrivent pas à tout indiquer. La notation la plus exacte ne peut être qu'un enregistrement, ce qu'avait compris Stravinski, adversaire des « interprétations », qui souhaitait transmettre par le disque des modèles d'exécution « objectifs » de ses œuvres. Il a été peu suivi dans ce désir d'objectiver totalement l'interprétation, en d'autres termes de la ramener à une simple exécution.
L'auteur des Noces était en effet de ceux pour qui l'expression est un aspect secondaire, périssable, quasi parasitaire de la musique. Alors que le compositeur, au niveau de son « texte » de partition, assemble souvent des formes, des structures sans souci direct de l'effet sur l'auditeur, l'interprétation de type expressif vise non seulement à mettre en évidence ces formes, ces structures, mais aussi à produire un effet sur l'auditeur. Cette idée n'est pas un héritage du romantisme, puisque déjà les traités musicaux du XVIIe et du XVIIIe siècle ne parlent que d'« effet » et d'« expression ». Dans un sens opposé, une certaine école d'interprétation récente (née probablement à la faveur des moyens d'enregistrement, qui permettent de décomposer et d'analyser l'interprétation musicale comme jamais) vise à donner un éclairage objectif, analytique et précis des structures et des sonorités de l'œuvre.