Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
B

blue note

Note qui résulte d'un infléchissement vers le grave (d'environ un demi-ton) des troisième et septième degrés de la gamme majeure.

D'implantation plus récente (Ellington, v. 1925), la blue note du cinquième degré n'a d'abord été utilisée qu'en mineur, mais le jazz moderne en a élargi l'usage. C'est l'emploi des blue notes qui caractérise le mode mélodique du blues. Le degré qu'affecte la blue note devient variable, et il n'est pas rare que la blue note, notamment celle du troisième degré, se superpose à la note non altérée. La blue note est une superstructure ­ elle a le caractère expressif d'une appoggiature, dont la résolution se ferait soit sur la tonique (pour la blue note III), soit sur la dominante (pour la blue note VII) ­, mais elle peut s'intégrer à un contexte harmonique.

blues

Complainte du folklore négro-américain, dont les paroles, imprégnées de poésie populaire, sont quelquefois violentes et érotiques.

Sur le plan musical, le blues se caractérise par l'usage d'un mode mélodique variable et, pour le type courant, par une coupe ternaire A. A. B. Les deux périodes A, de quatre mesures chacune, sont mélodiquement identiques, mais une variante harmonique intervient au début de la seconde, l'accord de sous-dominante remplaçant l'accord de tonique, tandis que la dominante colore la période B, conclusive.Les paroles s'organisent en strophes successives (une strophe = un chorus, généralement de douze mesures), chacune d'elles épousant le même schéma A. A. B., en deux vers dont le premier (A) est répété. Après chaque vers, qui occupe approximativement deux mesures, la fin de la période de quatre mesures donne lieu à une réponse instrumentale.

   Né vers la fin du XIXe siècle dans les populations rurales noires du sud des États-Unis, le blues est postérieur au negro-spiritual et au chant de plantation, dont l'influence l'a marqué, ainsi, semble-t-il, que celle du folklore blanc contemporain. Le climat du blues est souvent mélancolique (blues est synonyme de cafard) ; d'où l'idée reçue qu'il ne se chante ou ne se joue qu'en tempo lent.

   L'usage voulait que le chanteur de blues s'accompagnât au banjo ou à la guitare. Il en était ainsi, le plus souvent, dans la tradition du blues rural (country blues), dont les premiers représentants, contrairement au pionnier Robert Johnson, émigrèrent vers le nord au cours de l'entre-deux-guerres, venus d'Arkansas, comme Big Bill Broonzy (William Lee Conley), du Texas comme « Blind » Lemon Jefferson, de Louisiane comme Lonnie Johnson ou de Floride comme Tampa Red (Hudson Whitakker) et étaient des chanteurs-guitaristes. Toutefois, on voyait déjà un Washboard Sam (Robert Brown), un Will « Son » Shade s'accompagner au moyen d'instruments hétéroclites issus d'un bricolage ingénieux, tandis qu'un Sonny Terry et, avant lui, un « Sonny Boy » Williamson I faisaient alterner chant et harmonica. Une place à part peut être faite à Leadbelly (Huddy Ledbetter) qui mit le blues vocal à la mode dans les milieux intellectuels et artistiques de Greenwich Village, à New York. Dans les ghettos noirs des grandes villes et principalement à Chicago, le blues s'acclimate et, peu à peu, se transforme au contact des spectacles de vaudeville, dont le public de couleur est friand ; au contact du jazz aussi. Le piano tend à s'imposer à côté de la guitare ; il s'y substitue parfois. Des chanteurs-pianistes, tels que Leroy Carr et, plus tard, Memphis Slim (Peter Chatman), se font connaître. Il arrive que des musiciens de jazz, pianistes, comme Fletcher Henderson et James P. Johnson, ou cornettistes, comme Louis Armstrong et Joe Smith, soient conviés à accompagner les plus célèbres chanteuses de blues : Gertrude « Ma » Rainey, « la mère du blues », et sa disciple Bessie Smith, « l'impératrice du blues ». À New York, Lonnie Johnson a le privilège d'enregistrer quelques disques avec Louis Armstrong et Duke Ellington. On verra même un chanteur de blues très doué pour le jazz, Jimmy Rushing, se faire engager chez Count Basie.

   Parallèlement, une seconde génération de chanteurs-guitaristes venus du Sud s'agrège au courant du blues urbain (city blues) qui prédomine dès la fin de l'entre-deux-guerres. Avec Andrew « Smokey » Hogg, John Lee Hooker, Sam « Lightnin » Hopkins et Muddy Waters (Mc Kinley Morganfield), le blues urbain apparaît moins fruste, moins rustique que ne l'était son ancêtre ; il devient même tendu, voire agressif, à l'image des jeunes Noirs qui récusent la passivité sociale de leurs aînés. L'art spontané (encore qu'il laisse peu de place à l'improvisation) du chanteur-guitariste ne se perdra pas et, dans les années 60 et 70, le succès d'un Riley « B. B. » King montre que le blues folklorique a conquis une petite audience internationale.

   L'après-guerre voit surgir de nouvelles formes de blues. La tradition vocale cherche un prolongement instrumental que nécessitent les grands dancings tels que l'Apollo Theater de Harlem. Désormais, le chanteur (« blues shouter ») crie le blues dans le micro plus qu'il ne le chante. Derrière lui, la guitare électrique, introduite par Aaron « T. Bone » Walker, et le saxophone ténor s'attachent à créer un climat d'excitation permanente que renforce un afterbeat hérité du jazz, mais hypertrophié. C'est le mouvement Rhythm'n'Blues, que préfigurent Wynonie Harris, Louis Jordan, Joe Turner et Eddie « Cleanhead » Vinson, et d'où sortiront les Chuck Berry, les Fats Domino, les Aretha Franklin, les Little Richard, voire Ray Charles. Par le canal de ces chanteurs populaires devenus vedettes de variétés, le blues a contaminé toute une partie du show business, et l'on trouve trace de son influence dans la pop music et le rock'n'roll des années 60. On a même pu parler, à propos des chansons de Bill Haley et d'Elvis Presley, d'un « blues blanc », dont l'interprétation est, il est vrai, involontairement caricaturale.

   Toutefois, on estime généralement que le blues doit ses développements les plus remarquables, sur le plan musical, aux artistes de jazz. Dès les premiers temps du jazz, en effet, le blues s'y est acclimaté et y a prospéré. Les pianistes de jazz, d'Earl Hines (Blues in Thirds) à Thelonious Monk (Blue Monk), en ont organisé et enrichi le langage harmonique. L'orchestre de Duke Ellington, l'orchestre de Count Basie, entre autres, lui ont consacré une importante partie de leur répertoire ; et certaines pièces ellingtoniennes (Black and Tan Fantasy, Saddest Tale, Ko-Ko, par exemple) débordent largement, par leur complexité et leur force expressive, le cadre de l'art populaire. La séquence harmonique du blues de douze mesures est fréquemment utilisée par les musiciens de jazz en tant que base d'improvisation, indépendamment de toute donnée mélodique. Le style du blues a profondément influencé le jazz tout entier ; en retour, les grands solistes de jazz, Louis Armstrong, Charlie Parker, Lester Young, ont donné du blues une image magnifiée. D'autre part, la relation privilégiée tonique-sous-dominante a conduit les compositeurs de jazz à une reconsidération limitée du système tonal.