Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
B

basse (voix de)

La voix de basse fut employée pour d'importants solos dès la naissance de l'opéra et de l'oratorio, à l'aube du XVIIe siècle, et soumise aux mêmes exigences de virtuosité que les autres catégories vocales, mais sur une étendue souvent plus importante (1-mi 3 chez Caccini). Cette voix, principalement destinée à l'incarnation de divinités (Caron dans Orfeo de Monteverdi, 1607) ou de personnes âgées (Manoah dans Samson de Haendel, rôle colorature écrit pour Giovanni Boschi), servit aussi, notamment dans l'opéra français, à personnifier l'amoureux, souvent malheureux, antagoniste du ténor ou du haute-contre : Louis Chassé (1699-1786) interpréta dans les opéras du style de Rameau ces rôles d'une tessiture généralement plus élevée, proche de celle de notre baryton actuel. À la fin du XVIIIe siècle, Mozart écrivait encore pour ces deux types de voix : rôles graves tels que ceux d'Osmin dans l'Enlèvement au sérail, créé par Ludwig Fischer (1745-1825), ou de Sarastro, rôles plus aigus pour des emplois d'amoureux, tels que ceux du Comte dans les Noces de Figaro et de Don Juan. Rossini confia à Filippo Galli (1783-1853) des emplois bouffes ou tragiques (Mustafa dans l'Italienne à Alger, Assur dans Semiramis) d'une très haute virtuosité. Durant le romantisme, la voix de basse fut surtout assimilée aux personnages royaux ou ecclésiastiques, âgés, nobles, etc., mais, dès la fin du XIXe siècle, elle servit à nouveau à personnifier des caractères très divers, jeunes ou vieux (opéras de Puccini, des compositeurs naturalistes, de R. Strauss, Rimski-Korsakov, Berg, etc.).

   L'éventail des attributions de la voix de basse correspond à sa couleur et à sa tessiture : la basse noble ou profonde, assez volumineuse et de couleur sombre (étendue do 1 – fa 3) a pour exemples les rôles du Cardinal (la Juive de Halévy), de l'Inquisiteur (Don Carlos de Verdi), de Hunding (la Walkyrie de Wagner), d'Arkel (Pelléas et Mélisande de Debussy), etc. ; la basse chantante, de caractère plus lyrique (étendue fa 1-fa dièse 3) est illustrée par ceux de Silva (Ernani de Verdi), Philippe II (Don Carlos), Méphisto (Faust de Gounod, cet emploi étant parfois tenu par des barytons), etc. L'Allemagne et la Russie différencient plus les caractères que les tessitures : basse démoniaque (Kaspar dans le Freischütz de Weber, Alberich dans l'Or du Rhin de Wagner), basse héroïque (Wotan), etc. Notons que, si les chœurs slaves renferment des basses au grave exceptionnellement étendu, l'opéra russe fait au contraire plus volontiers appel à une voix aiguë ; Féodor Chaliapine (1873-1938) était plus proche du baryton que de la basse. La voix de basse convient également au concert pour l'interprétation des lieder, des oratorios et cantates classiques, sans exiger une spécialisation exclusive de la part du chanteur. En revanche, l'emploi de basse bouffe, qui peut se satisfaire d'une moins belle qualité vocale, réclame non seulement une grande virtuosité et une articulation rapide, mais aussi, au théâtre, un talent d'acteur sûr.

   La voix de basse permet des carrières fort longues, les grands interprètes de cette catégorie quittant rarement la scène avant soixante-cinq ans. Parmi les grandes basses de notre siècle, on peut rappeler les Italiens Navarrini, De Angelis, Pinza, Pasero et Siepi, l'Espagnol Mardones, les Français Plançon, Delmas, Journet, Pernet, les Slaves Reizen, Pirogov, Kipnis, Christoff, et, dans des genres bien déterminés, S. Baccaloni, exemple type de la basse bouffe, et H. Hotter, aussi réputé dans l'interprétation du lied et de l'oratorio que dans celle du rôle de Wotan dans l'Anneau du Nibelung de Richard Wagner.

basse chiffrée

Sorte de sténographie inventée au début du XVIIe siècle en même temps que la basse continue pour guider l'accompagnateur en lui suggérant, à partir de la basse écrite, les accords à employer sans avoir à en écrire les notes, ce qui faisait gagner au compositeur un temps considérable (on pouvait ainsi, sur deux portées ­ chant et basse ­, écrire un opéra en quelques jours). Abandonnée vers 1750 en même temps que la basse continue, la basse chiffrée s'est maintenue dans l'enseignement comme auxiliaire pédagogique des études d'harmonie, mais c'est abusivement qu'on la considère comme un instrument d'analyse, car, non conçue dans cette optique, elle ne rend compte que très imparfaitement de la constitution des accords ; elle n'en donne qu'une description matérielle et n'intervient que fort mal dans leur explication grammaticale ­ d'où la nécessité d'un chiffrage de fonction complétant le chiffrage d'intervalles seul envisagé par la pratique de la basse chiffrée.

   Le principe de cette dernière est simple : au-dessus (ou en dessous) de la note de basse (basse réelle), sont notés un ou plusieurs chiffres dont chacun représente la note formant avec la basse l'intervalle indiqué par le chiffre. Selon les écoles, tantôt cet intervalle est indiqué réellement, tantôt il est réduit à un intervalle simple, sans dépasser la neuvième (ainsi la dixième est notée 3, car c'est une tierce redoublée à l'octave). Diverses conventions interviennent soit pour limiter le nombre de chiffres par des sous-entendus (par exemple, 6 pour 6 et 3), soit pour apporter diverses précisions (ainsi une croix indique la sensible, un chiffre barré marque un intervalle diminué, etc.). On note les altérations en les plaçant devant le chiffre, et les silences sont chiffrés par un zéro. Mais les conventions ne sont pas toujours uniformes et elles peuvent varier d'un auteur à un autre.

   La basse chiffrée, conçue comme un « guide-doigts » pratique à l'usage des accompagnateurs, a bien rempli sa fonction tant que ce qu'elle avait à noter restait limité à quelques accords simples et qu'elle-même ne visait pas à autre chose qu'à en suggérer les grandes lignes. Lorsque les auteurs ont voulu chiffrer minutieusement des basses devenues complexes (J. S. Bach), cette pratique devint une complication supplémentaire, et l'on conçoit que la basse chiffrée n'ait pas survécu à l'usage de la basse continue.