Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
S

sonate (genre)

Le terme de sonate a une longue histoire. Sa première utilisation pour désigner une pièce de musique instrumentale (sonate étant dans cette acception très générale entendu par opposition à cantate = pièce vocale) remonte au XIIIe siècle : dans le texte sacré Vida de Santa Douce on parle de « Mens que sonavan la rediera sonada de matinas ». Au cours du XVIe siècle, il est réservé exclusivement aux pièces pour luth. Du XIIIe siècle à nos jours, il fait partie de la terminologie musicale la plus répandue, mais désigne des formes musicales assez différentes par leurs structures, leurs particularités stylistiques ou leur inscription dans la vie musicale.

La sonate baroque (env. 1585-1750)

Le terme « sonata » (ou « suonate », « sonnada ») désigne à cette époque une pièce instrumentale et s'avère particulièrement fréquent dans les tablatures de luth (espagnoles ou italiennes). Le terme « sonata » (de « sonare », jouer, sonner/klingen, tönen) s'oppose aux termes « canzona » et « cantata » (de « cantare », chanter/singen), sans que les principes compositionnels soient différents : les tablatures de luth d'O. Petrucci (1509) sont à la fois « per cantar e sonar ». Les sonates sont à l'origine des versions instrumentales de pièces vocales : au XVIe siècle, les termes « canzona » et « sonata » recouvrent la même forme musicale, qu'on peut jouer ou chanter ; en 1572, N. Vicentino parle de « canzon da sonar », c'est-à-dire de chanson qui suppose une exécution instrumentale. L'appartenance de la sonate à la musique purement instrumentale est un phénomène relativement tardif. Les « sonates » orchestrales avec un ou plusieurs chœurs chez G. Gabrieli, ses Sacrae simphoniae ou ses Canzoni e sonate à 3, 5, 6, 7, 8, 10, 12, 14, 15 et 22 voix constituent des genres spécifiques particulièrement importants pour l'école vénitienne de la fin du XVIe siècle.

   Au cours de la première moitié du XVIIe siècle, la « canzona » instrumentale, plutôt rapide et avec traits polyphoniques, fait partie, comme deuxième mouvement, de la sonata da chiesa du cycle. Au début du XVIIe siècle, la théorie musicale établit une distinction entre canzone et sonates selon la formation (vocale ou instrumentale) et les traits stylistiques ­ mouvement rapide et joyeux pour les canzone, caractère solennel et somptueux pour les sonates (M. Praetorius, Syntagmatis Musici [1615, 1618-19]).

   Mais dans la pratique musicale jusqu'aux années 1750, les termes de sonata, concerto et sinfonia sont souvent confondus, et utilisés au même titre pour désigner des œuvres instrumentales assez différentes par leurs traits stylistiques et leurs particularités formelles. Ces problèmes ne sont pas à l'époque objet de réflexion théorique.

   Le Dictionnaire de S. de Brossard de 1701 donne une définition de la sonate relativement proche de la pratique de l'époque classique : l'auteur souligne l'importance de l'invention émotive, harmonique, rythmique et contrapuntique, sans que le compositeur soit « assujetti aux règles générales du contrepoint » ; la sonate est destinée à une formation instrumentale comportant de une à huit voix ; la formation très répandue est celle d'un (ou deux) violon(s) avec basse continue. Le même auteur distingue aussi la sonata da camera, constituée d'une introduction lente et d'une série de danses, de la sonata da chiesa, qui comporte des mouvements lents et des mouvements rapides, souvent contrapuntiques. Au cours du XVIIIe siècle, le terme sonate perpétue la tradition de la sonata da chiesa (cf. les Sonates de Bach), tandis que la tradition de la sonata da camera, qui relève davantage de la musique de cour, se poursuit avec les dénominations suite, partita, ouverture à la française ou ordre (cf. les Partitas ou les Suites de Bach, par exemple).

   Les formations instrumentales de la sonate à l'époque baroque sont fort diverses. Le baroque du début du XVIIe siècle se spécialise dans la sonate pour instrument seul avec basse continue et dans la sonate pour ensemble de cordes avec basse continue (cf. les Sonates de A. Corelli, P. Locatelli, J. Schenk, D. Buxtehude). Les sonates pour instrument seul sans basse continue (à l'exception des sonates assez nombreuses pour luth) sont relativement rares (cf. les Sonates pour orgue d'A. Banchieri, pour violon solo de H. Biber, pour clavecin de G. Del Buono). La sonate en trio, très répandue à l'époque, fait appel à un ensemble instrumental assez flexible qui dépend directement des possibilités concrètes du jeu. Elle est en principe pour 2 instruments « mélodiques » (2 violons, ou violon et flûte, par exemple), un instrument chargé de la basse continue (clavecin, par exemple), et un instrument à cordes grave (viole, violoncelle) chargé de renforcer cette basse continue, ce qui, paradoxalement, donne un total non pas de trois, comme le terme « en trio » semblerait l'indiquer, mais de quatre instruments. Cette flexibilité se retrouve dans des formations plus grandes, comportant des cordes, des vents, des théorbes, des luths, des guitares et orgue (ou clavecin). La tradition vocale des sonates de l'école vénitienne se perpétue dans la musique de M. Neri, F. Cavalli, G. Legrenzi.

   La sonate baroque est caractérisée par la présence obligatoire de la basse continue, et est faite de motifs relativement courts et souvent répétés, sur une pulsation rythmique et harmonique rapide et continue, ayant recours à des procédés polyphoniques relativement simples. Domine la sonate à plusieurs mouvements (cf. les Sonates d'A. Corelli, F. M. Veracini, J. S. Bach, G. Tartini, J.-M. Leclair). Les mouvements sont contrastés par leur mètre (mouvement ternaire-mouvement binaire), leur style d'écriture (texture polyphonique-texture homophone), leur tempo (lent-rapide). La tendance générale est celle d'une réduction du nombre des mouvements (de 4 à 5 au début de l'époque baroque vers 3 à 4 au XVIIIe siècle). La structure formelle du cycle est très souvent modelée sur celle de la sonata da chiesa, ce qui donne une succession de quatre mouvements : lent-rapide-lent-rapide (cette succession est typique des sonates en trio d'A. Corelli) : le premier mouvement est d'habitude un allegro de rythme binaire, le deuxième une forme bipartite avec une texture polyphonique relativement simple, le troisième une sarabande solennelle, et le quatrième une gigue ternaire rapide, sans que les dénominations de ces danses deviennent celles des divers mouvements (ce qui au contraire fait loi dans les suites et les sonates « da camera »).

   La structure en trois mouvements (rapide-lent-rapide, ou bien lent-rapide-rapide) est fréquente chez G. Tartini, C. W. Gluck, ou G. P. Telemann. La cohérence du cycle provient entre autres de son unité tonale. Les débuts des mouvements peuvent en outre être fondés sur des formules mélodiques et métrorythmiques similaires (cf. les Sonates d'A. Corelli) ; les mouvements peuvent avoir le même schéma formel et le même fondement harmonique. La structure la plus fréquente est la forme bipartite asymétrique, liée à l'origine aux danses de la suite (allemande, courante, sarabande, gigue, etc.).

   Les titres ou programmes verbaux à contenu sémantique sont rares dans la sonate baroque (les Histoires bibliques de J. Kuhnau ou les Apothéoses de F. Couperin forment autant d'exceptions).

   La sonate baroque fut un genre dominant au début du XVIIe siècle, d'abord en Italie du Nord, puis en Autriche, en Allemagne, en Angleterre et en France. Presque tous les compositeurs de l'époque baroque, à l'exception de C. Monteverdi, G. Frescobaldi, H. Schütz ou J.-B. Lully, qui néanmoins comptent parmi les plus connus, ont écrit des sonates pour diverses formations instrumentales.

   On en trouve de nombreuses chez G. Gabrieli, G. B. Fontana, B. Marini, M. Neri, G. Legrenzi, A. Stradella, G. B. Vitali, G. Torelli, A. Corelli, G. B. Bassani, T. Albinoni, A. Vivaldi, B. Marcello, F. Veracini, G. Tartini, P. Locatelli, F. Geminiani, F. Durante, G. B. Martini, G. Pergolesi, mais aussi de J. A. Reinken, D. Buxtehude, H. Biber, G. Muffat, J. Pachelbel, J. J. Fux, J. Kuhnau, G. P. Telemann, J. Mattheson, J. S. Bach, G. F. Haendel, H. Purcell, Ch. W. Gluck, F. Couperin, J.-M. Leclair, etc. Elles permettent de suivre de près les transformations de l'écriture musicale et de la pensée formelle qui devaient mener au classicisme.