Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
S

séquenceur

Dispositif (appareil spécialisé ou programme d'ordinateur) qui réalise l'enregistrement, la lecture, l'édition et le montage d'événements sonores numériques selon la norme MIDI, joués sur un synthétiseur ou entrés directement dans le programme.

Dans ce dernier cas, le séquenceur doit être associé à un expandeur pour pouvoir jouer les séquences enregistrées en mémoire. Il gère à la fois plusieurs pistes qui recueillent l'information d'un ou de plusieurs canaux MIDI (un timbre différent peut être affecté à chaque canal). Le séquenceur a un fonctionnement analogue à celui d'un magnétophone (l'interface en reprend d'ailleurs le plus souvent l'aspect), à cette différence près que l'information manipulée est numérique et non pas analogique. On peut, à l'aide d'un séquenceur, modifier cette information (changement de la hauteur, du timbre, du mode d'attaque, quantification des valeurs rythmiques, disposition des valeurs selon une « grille » prédéterminée, modification du tempo ou de la métrique), effacer une piste ou combiner plusieurs d'entre elles. Très souvent, le séquenceur est associé à un éditeur de partitions qui affiche l'information numérique selon la notation musicale traditionnelle. Une forme spécialisée de séquenceur est la « boîte à rythmes », qui génère des formules rythmiques stockées en mémoire ou programmées par l'utilisateur.

Serafin (Tullio)

Chef d'orchestre italien (Rottanova di Caverzere 1878 – Rome 1968).

Il étudie le violon et la composition au conservatoire de Milan. De ses débuts à Ferrare en 1898 à sa dernière apparition à l'Opéra de Rome en 1962 (pour Otello de Rossini), sa carrière fut entièrement consacrée à l'art lyrique. Il dirige au Covent Garden (1907), est engagé comme chef principal de la Scala de Milan (1909-1914 et 1917-18), puis par le Metropolitan Opera de New York (1924-1934), avant de diriger le Teatro Reale de Rome (1934-1943) et d'être appelé à l'Opéra de Chicago (1956-1958).

   Tullio Serafin fut le créateur de L'Amore dei tre re (1913) et de La Nave (1918) de Montemezzi, de The King's Henchman (1927) et de Peter Ibbetson (1931) de Deems Taylor, de The Emperor Jones de Gruenberg (1933) et de Merry Mount de Howard Hanson (1934), sans compter les innombrables premières italiennes ou américaines qu'il dirigea. Il a contribué à la découverte et à la gloire de certains des plus grands chanteurs de son temps : Benjamino Gigli, Rosa Ponselle, Maria Callas et Joan Sutherland, restant quant à lui d'une discrétion exemplaire jusque dans ses interprétations, rigoureuses et pures.

sérénade (du lat. serus, « tardif »)

D'une façon très générale, le terme signifie « musique du soir », par opposition à aubade, « musique de l'aube ». Au sens strict, la sérénade est un concert de voix et d'instruments donné la nuit, en plein air, sous les fenêtres de quelqu'un (précisément d'une femme), pour lui rendre hommage : ainsi la sérénade chantée par Don Giovanni accompagnée d'une mandoline au début du second acte de l'opéra de Mozart. Le même type, sous le nom allemand de Ständchen, se retrouve chez Schubert, soit pour voix et piano (cf. la célèbre Sérénade D.957 no 4 sur des paroles de Rellstab), soit pour voix de femme et quatuor vocal (D.920). À la fin du XVIe siècle, le terme serenata désigne certaines œuvres vocales, et, au XVIIe, des œuvres vocales et instrumentales à caractère de célébration. Heinrich Ignaz Biber l'appliqua à des pages instrumentales (Sérénade du veilleur), et cette destination instrumentale tendit à dominer au XVIIIe siècle. Mais, pour des théoriciens comme Johann Gottfried Walther, Schiebe, Marpurg ou Quantz, le terme de « sérénade » ne vaut encore que pour une composition vocale de cour destinée au théâtre ou à la « chambre », et un « opéra » tel qu'Ascanio in Alba de Mozart (1771) eut comme appellation d'origine serenata teatrale. De même, Bach avait composé une Serenata (BWV 173 A) pour l'anniversaire du prince de Coethen.

   Dans le domaine instrumental, on employa souvent indistinctement, au XVIIIe siècle, les termes divertimento, cassation, nocturne ou sérénade pour qualifier la même œuvre. Mais, en particulier avec Mozart, le terme « sérénade » tendit à s'appliquer plus spécifiquement à des œuvres en plusieurs mouvements pour grand orchestre ­ et non pour petites formations ou pour formations de chambre, ce point est important ­ conçues pour des occasions spéciales. De cette catégorie relèvent plusieurs partitions en 7 ou 8 mouvements (dont 2 ou 3 mouvements avec un ou plusieurs instruments solistes et formant une sorte de concerto intercalaire) écrites par Mozart à Salzbourg : sérénades Andretter, Colloredo, Haffner, Posthorn.

   Mais, à partir de 1780, la promotion de la symphonie, également pour orchestre, devait barrer la route au genre plus relâché de la sérénade pour orchestre. La sérénade instrumentale devint alors chez le Mozart des années viennoises (K.388 en ut mineur pour instruments à vent, K.525 Petite Musique de nuit), puis chez le jeune Beethoven (cf. opus 8 pour trio à cordes, opus 25 pour flûte, violon et alto) une œuvre plus confidentielle et tendre, relevant de la musique de chambre ou s'en rapprochant. Il survécut néanmoins sous diverses formes au XIXe siècle et, même, au XXe (sérénades op. 11 et op. 16 de Brahms ; sérénades pour cordes op. 22 et pour vents op. 44 de Dvořák ; sérénade pour cordes op. 48 de Tchaïkovski ; sérénade pour vents op. 7 de Richard Strauss ; sérénades pour violon et orchestre op. 69 de Sibelius ; sérénade pour flûte, violon, alto, violoncelle et harpe op. 30 de Roussel).

sérielle (musique)

Le terme « musique sérielle », qui n'est synonyme ni de « musique dodécaphonique » ni de « musique atonale », apparut pour la première fois dans les descriptions des œuvres de Schönberg, Berg et Webern postérieures à 1920-1923 et faisant usage de la série dodécaphonique, et fut utilisé surtout à partir de 1945-1950. Dans une musique sérielle quelle qu'elle soit, les éléments « mis en série » sont en principe égaux en droit et régis selon l'ordre dans lequel ils apparaissent et se succèdent. Pour abolir, du moins en principe, toute hiérarchie entre les sons, Schönberg eut recours, après la période de silence qui elle-même avait suivi ses grandes œuvres dites « atonales libres », à l'atonalité et au sérialisme. Mais il n'appliqua ce dernier qu'à l'un des 4 paramètres (hauteur, durée, timbre, intensité) du son traditionnel : les hauteurs. Et il prit comme matériau de base pour ses séries les douze degrés de la gamme chromatique. Ses séries sont donc dodécaphoniques, et on a associé à son système le terme de dodécaphonisme.

   La série dodécaphonique schönbergienne est l'énoncé dans un ordre quelconque des douze sons de l'échelle chromatique tempérée, chaque son étant énoncé et chacun ne l'étant qu'une fois : le nombre des séries possibles s'élève ainsi à (1 X 2 X 3 X 4 X 5 X 6 X 7 X 8 X 9 X 10 X 11 X 12) = 479 001 600. À la base d'une œuvre, une série précise choisie par le compositeur en fonction de divers critères, et pouvant y être utilisée sous sa forme originale, récurrente (de la dernière note à la première), renversée (en changeant la direction de ses intervalles), ou récurrente renversée, chacune de ces quatre formes étant en outre transposable sur les onze autres degrés de l'échelle chromatique. D'où un total de 48 formes différentes de la même série. De ces 48 formes, qui s'inscrivent dans les 479 001 600 théoriquement possibles, le compositeur dispose « à volonté », avec en outre le principe de l'identité de l'horizontal et du vertical (présentation soit successive, soit simultanée, c'est-à-dire sous forme d'accord, des notes de la série), celui de l'équivalence entre elles de toutes les notes du même nom quel que soit leur registre, et la possibilité de faire passer d'une voix à l'autre telle ou telle forme de la série choisie et d'en faire entendre simultanément diverses formes, à des vitesses de déroulement et à des rythmes divers, aux différentes voix. Ces divers principes, qui en outre peuvent se combiner, montrent bien que fondamentalement la série dodécaphonique n'est pas un thème au sens classique du terme (elle n'est pas forcément « reconnaissable » mélodiquement), mais essentiellement une succession d'intervalles.

   Il résulte de ce qui précède que :

– une musique peut être sérielle sans être dodécaphonique, si elle fait appel à des séries de moins de 12 sons (séries défectives, fréquentes chez le dernier Stravinski) ou de plus de 12 sons (dans le cas d'un langage utilisant des intervalles plus petits que le demi-ton) ou si elle « met en série » des paramètres autres que les hauteurs de son ; et sans être atonale, si la série est choisie de manière à susciter un sentiment tonal ;

– une musique peut être atonale sans être dodécaphonique au sens schönbergien (les œuvres de Schönberg de 1908-1915 ne sont dodécaphoniques qu'au sens large et les œuvres modales anciennes pas du tout), ni sérielle ;

– une musique dodécaphonique (au sens schönbergien) et sérielle peut néanmoins être tonale par beaucoup d'aspects si la série est choisie de manière à susciter un sentiment tonal (Concerto pour violon d'Alban Berg) ;

– si les œuvres de Schönberg, relevant de sa « méthode de composition avec douze sons n'ayant de rapports qu'entre eux » sont (en principe) à la fois atonales, dodécaphoniques et sérielles, elles ne constituent qu'un cas particulier aussi bien de l'atonalité que du sérialisme.À noter, enfin, que le terme « dodécaphonique » n'a été employé ci-dessus qu'au sens schönbergien, mais qu'au sens large on peut l'appliquer à la musique tonale occidentale des XVIIIe et XIXe siècles, fondée elle aussi sur les douze degrés de la gamme chromatique tempérée. On trouve d'ailleurs des séries (au sens schönbergien) de 12 sons, intégrées dans un contexte tonal, dans un récitatif du Don Giovanni de Mozart, au début de la Faust Symphonie de Liszt, et dans la fugue de Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss.

   Schönberg, Berg et Webern acquirent rapidement dans l'usage de la série une grande maîtrise, mais en l'adaptant à leurs besoins personnels. Avant la Seconde Guerre mondiale, seuls de rares compositeurs, parmi lesquels Ernst Kreňék et Luigi Dallapiccola, les suivirent dans cette voie. Mais, après 1945, beaucoup de jeunes compositeurs, avec, à leur tête, Luigi Nono, Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, se joignirent à eux. Avec cette nouvelle génération, le principe sériel s'étendit à d'autres paramètres que les hauteurs de son : durées, timbres, intensités. Ce fut, jusque vers 1955, la période du « sérialisme intégral », ou du « sérialisme post-webernien ». La « pensée sérielle » fut à l'ordre du jour, illustrée notamment par cette définition qu'en donna Stockhausen : « Le principe sériel signifie d'une façon générale que pour une œuvre donnée on choisit en nombre limité des grandeurs différentes ; que ces grandeurs sont apparentées les unes aux autres par leurs proportions ; qu'elles sont disposées dans un ordre et à des intervalles déterminés ; que cette sélection sérielle intervient pour tous les éléments qui serviront au travail compositionnel ; qu'à partir de ces séries fondamentales le travail compositionnel débouche sur de nouvelles séries de configurations d'un degré supérieur qui à leur tour sont variées sériellement ; que les proportions de la série constituent le principe structurel dominant de l'œuvre à composer, celle-ci devant en tirer les conséquences formelles indispensables » (Zur Situation des Metiers, 1953-54).

   La méthode de Schönberg trouva son premier emploi dans la 5e pièce (valse) de l'opus 23 pour piano (12 sons toujours présentés dans le même ordre selon des dispositions variées) ; puis, avec la Sérénade op. 24 (septuor) et surtout avec la Suite pour piano op. 25. Son utilisation se généralise jusqu'aux Variations op. 31 pour grand orchestre (1927-28) et à l'opéra Von Heute auf Morgen (« D'aujourd'hui à demain », 1929).

   La série dodécaphonique marque une distanciation par rapport à l'acte compositionnel traditionnel, constitue le principe organisateur de l'œuvre tout en n'affectant que les hauteurs, et peut même être considérée comme la quintessence de la variation. Elle consacre, évidemment, la non-dissociation de l'harmonie et de la mélodie qui « ne sont que les deux aspects, l'un vertical, l'autre horizontal, d'une même réalité musicale fondamentale » (Webern, 1932). Toutefois, les pages précitées mettent bien en relief que la série des hauteurs est conçue par Schönberg comme un « ultrathème » lié aux formes classiques du contrepoint et n'entrave en fait ni l'humour, ni le lyrisme, ni en un mot la sensibilité. Est-ce un cas particulier ? Un regard sur l'œuvre de Berg le dément car elle constitue une tentative pour « rattacher au passé chaque nouvelle étape du devenir de l'univers schönbergien » (R. Leibowitz). Dans la Suite lyrique (1925-26), Berg fait coexister, parfois dans le même mouvement, les principes d'écriture tonale et la méthode de composition à 12 sons sans affecter l'unité de style, la cohérence générale tandis que les 4 derniers sons de la série du Concerto à la mémoire d'un ange sont précisément les 4 premières notes du choral de Bach cité. Berg a, d'ailleurs, lui-même, souligné le double aspect de son œuvre : romantique, mais aussi mathématique. De fait, il fut le premier, dans Lulu, à découvrir et utiliser les premières permutations qui lui permirent d'engendrer de nouvelles séries dérivées (un procédé repris et perfectionné par Boulez et Barraqué).

   Chez Webern, la série jouant un rôle de cohérence, exerce un contrôle rigoureux sur les moyens d'écriture ; elle devient une fonction d'intervalles et doit être envisagée « comme une fonction hiérarchique engendrant des permutations qui se manifeste par une répartition d'intervalles, indépendante de toute fonction horizontale ou verticale » (P. Boulez). Car Webern s'abstient de toute référence (H. Pousseur a parlé à propos de la logique de sa démarche « d'une pure construction du refus ») et, considérant chaque phénomène sonore comme autonome, relègue au second plan les problèmes strictement harmoniques et élargit sa réflexion et son contrôle aux autres paramètres du son ; il tente, en effet, de créer des séries de rythmes (cf. 2e mouvement des Variations op. 27, 1936) et même une organisation des hauteurs, durées, intensités dans l'exposition du premier mouvement du Concert op. 24 : 12 sons divisés en 4 groupes de 3 sons (cette atomisation créant des blocs sonores qui permettent d'engendrer des structures complexes), un rythme articulé dans la proportion 1 : 2, l'intensité décroissant du f au p (cf. aussi la seconde Cantate op. 31).

   Ce sont ces tentatives (et l'esprit de Webern) que radicalisent les jeunes compositeurs de la classe de Messiaen, puis de Leibowitz (qui fit redécouvrir la trilogie viennoise en France et familiarisa les créateurs avec le dodécaphonisme strict), au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il semble bien que, dès 1942, Messiaen ait songé à appliquer le principe de la série dodécaphonique aux autres paramètres du son (cf. Liturgie de cristal dans Quatuor pour la fin du temps, 1941). Dans les 4 Études de rythmes composées par Olivier Messiaen en 1949, la 2e (Mode de valeurs et d'intensités), dont on connaît l'impact sur Boulez et Stockhausen, est vraiment construite sur une série rythmique (ou de valeurs) de 24 durées, sur une série dynamique de 7 intensités, du ppp au fff, sur une série de 12 attaques. Ainsi, tout son devient un phénomène identifiable par ses qualités propres. La même année, Boulez, avec son Livre pour quatuor (1949), propose un traitement sériel successif de tous les paramètres, créant parallèlement aux séries de hauteur des séries de durées, de timbres ou attaques, de dynamiques traitées de manière autonome. Mais le premier essai d'organisation totale simultanée de l'espace sonore (à laquelle travaille de son côté aux États-Unis depuis 1948 Milton Babbitt (cf. ses 3 Compositions pour piano) n'est réalisé qu'avec Polyphonie X (1951), appelée ainsi en raison du croisement de certaines structures, et dont Boulez, lui-même, reconnaît l'échec partiel, du fait de sa trop grande rigidité qui aboutit à des résultats aussi imprévus que malheureux sur le plan sonore, et le 1er livre des Structures pour 2 pianos (1952), dont la série initiale reprend la première division du mode de 36 hauteurs de Mode de valeurs et d'intensités d'O. Messiaen (la première pièce fut écrite avant Polyphonie X ).

   C'est ce type de musique, avec traitement sériel de tous les paramètres ou, du moins, d'un autre paramètre en sus des hauteurs, qu'on a plus volontiers désigné sous le nom de musique sérielle au début des années 50. De plus, très vite, l'utilisation de la série cesse d'être liée au chiffre 12 (« une croyance comique en l'efficacité de l'arithmétique », P. Boulez) et les critères retenus peuvent différer pour chacun des paramètres. La musique dodécaphonique n'est donc qu'un aspect, restrictif puisque limité aux hauteurs de la musique sérielle. Bien plus, cette dernière ne saurait être circonscrite à une technique de vocabulaire. Certes, la généralisation sérielle peut être conçue comme un garant d'asymétrie, de non-répétition, c'est-à-dire d'un univers en perpétuelle transformation et expansion, comme un moyen aussi de remédier à la pauvreté rythmique que Boulez reprochait à la musique dodécaphonique ; elle est, surtout, une manière d'appréhender l'acte compositionnel, le fait musical, et devient « un mode de pensée polyvalent » qui s'élargit à la structure même de l'œuvre qu'elle engendre et où le surdéterminé rejoint l'imprévisible de manière irréversible. On peut donc affirmer que la musique sérielle est non directionnelle et se rattache à une esthétique du discontinu.

   Les cours d'été de Darmstadt, où Leibowitz enseigne en 1948 et 1949, et où les premiers débats mémorables interviennent en 1952 quand Boulez et Stockhausen présentent leurs premiers travaux, deviennent le creuset de cette nouvelle musique et lui assurant un rayonnement international, en font le fait collectif musical du XXe siècle. On peut affirmer que presque tous les grands créateurs nés entre 1920 et 1930 ont eu leur période sérielle (cf. outre Boulez et Stockhausen, déjà cités, Luigi Nono, Luciano Berio, Bruno Maderna, Henri Pousseur, Serge Nigg, etc.), tant il est vrai qu'une certaine tyrannie intellectuelle s'est alors exercée. Boulez n'écrivait-il pas, en 1952, qu'« après la découverte des Viennois, tout compositeur est inutile en dehors des recherches sérielles » ?

   Le cas de Jean Barraqué (mort en 1973) avec ses séries proliférantes mérite une attention particulière : rejetant l'atomisation de la série de base, qu'il présente avec clarté soit verticalement sous la forme de blocs, soit horizontalement, il engendre, par toute une série de subdivisions, des séries, certes différentes de la série initiale, mais présentant toujours des rapports avec elle (cf. Sonate pour piano). Il y a là une sorte d'évolution en spirale qui lui permet de concevoir une possibilité de matériau à l'infini, d'où cette œuvre tirée de la Mort de Virgile de Hermann Broch (4 parties achevées), à laquelle il voulait consacrer le reste de sa vie. Preuve en est que la grande variation beethovénienne n'est guère très éloignée et que la musique sérielle peut ne pas manquer de force, ni de lyrisme.

   Mais, à vrai dire, peu de compositeurs suivirent le strict sérialisme à cause de la rigidité même du système. Des signes de liberté interviennent très tôt dans son application, dès 1952-53 avec Nono (cf. 1re Épitaphe de García Lorca ; Due espressioni ; et mieux Canti per 13, 1954 ; et Incontri, pour 24 instr., 1955) ou Donatoni (cf. Composition en 4 mouvements). Au moment où il vient de terminer Metastasis et travaille à Pithoprakta, Xenakis n'hésite pas à intituler un article paru dans le premier numéro du Gravesaner Blätter (revue de H. Scherchen) en 1955, la Crise de la musique sérielle. Il y attaque sa polyphonie linéaire, qui se détruit d'elle-même par sa complexité naturelle, soulignant ainsi la contradiction entre le système et le résultat ; la dispersion fortuite de l'état massique des sons dont la densité ne peut être contrôlée que par une moyenne statistique issue de l'application de la logique probabiliste. Il faut bien, en effet, reconnaître que la variation continuelle de l'ordonnance de tous les possibles de chaque paramètre dans la musique sérielle s'annulait même au niveau global du résultat sonore, entraînant rapidement par sa monotonie une perte de l'intérêt. Ce nivellement a été ressenti comme une sorte d'épuisement a priori de la matière et du processus générateur d'où le désir de trouver des moyens de différenciations plus importantes, le besoin d'améliorer le « rendement formel » des organisations sérielles, de le régénérer par la « technique des groupes ». Dès 1954, dans un article Recherches maintenant paru dans le no 23 de la Nouvelle N. R. F., Boulez lui-même bat en brèche le sérialisme intégral. En fait, sa prise de conscience était encore plus ancienne : si, dans les Structures pour 2 pianos, la première pièce (1951) est purement automatique, écrite « à partir d'un phénomène qui a annihilé l'invention individuelle » (P. B.), la deuxième et la troisième (1952) obéissent à un choix personnel (peu perceptible), c'est-à-dire à une direction imposée au matériau, à une tension de l'acte compositionnel, qui, dès cette date, libère de son propre aveu Boulez de ses complexes vis-à-vis d'une organisation stricte du matériau. Approfondissant cette idée d'un univers musical relatif, c'est-à-dire organisé selon des schémas variants, Boulez est amené à introduire certaines possibilités de choix de parcours qui posent aussi le problème de nouveaux rapports entre l'interprète et le compositeur, avec sa 3e Sonate pour piano (1957). Deux mois plus tôt avait éclaté à Darmstadt la bombe du Klavierstück XI de Stockhausen, une organisation mobile de 19 séquences au contenu déterminé. La musique sérielle était bien morte même si elle mit quelques années encore à agoniser. De ce point de vue la venue à Darmstadt de Cage, l'été 1958 (séminaire sur « La composition comme processus »), aura une influence déterminante sur la jeune génération. À la sérialité se substitue l'aléatoire comme nouveau mot d'ordre. Il en est partiellement la conséquence logique.