Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
G

glose (glosa)

Dans la terminologie espagnole, principalement au XVIe siècle, on appelait glosa toute espèce d'amplification d'un modèle donné, soit par variation ornementale (differencia), soit par développement thématique (tiento, ricercar), apparentant la glose au tiento ou au ricercare.

Gluck (Christoph Willibald, chevalier von)

 Compositeur autrichien (Erasbach 1714 – Vienne 1787).

Le père de Gluck était garde forestier, ce qui était alors une condition assez élevée : Kuno, le père d'Agathe dans le Freischütz de Weber, occupait la même fonction et avait droit aux égards de la communauté paysanne. C'est sans doute grâce au patron de son père, un prince Lobkowitz, que Gluck séjourna successivement à Prague, à Vienne et à Milan. Mis à part des sonates en trio, quatre ballets et quelques œuvres de musique vocale, Gluck se consacra essentiellement à la composition d'opéras. Ses vingt et un premiers opéras, tous en langue italienne, furent représentés dans les plus grands théâtres d'Europe, de Naples à Londres et Copenhague. En 1754, il se fixa à Vienne, où, protégé par le comte Durazzo, directeur des théâtres de la cour, il composa des opérascomiques en français, parmi lesquels le Diable à Quatre (1759), le Cadi dupé (1761) et les Pèlerins de La Mecque ou la Rencontre imprévue (1764). Le tournant de sa carrière fut sa rencontre avec l'écrivain italien Calzabigi, dont la collaboration amena Gluck à dépasser les cadres de l'opéra italien traditionnel : avec Orfeo (Vienne, 1762) commençait ce que Gluck lui-même appela sa « réforme de l'opéra ».

   La clef la plus précieuse de cette « réforme » nous est sans doute fournie par la nomenclature des genres d'opéra au XVIIIe siècle, dont Gluck réutilisa les différents éléments dans une synthèse profondément originale. Il est significatif, par exemple, que l'Orfeo se situe dans une tradition qui remonte aux débuts de l'histoire de l'opéra, celle de l'azione teatrale (encore appelée festa teatrale). Il s'agissait là d'une forme réservée à des occasions spécifiques (divertissements princiers), mais qui présentait pour Gluck des avantages considérables : les sujets mis en scène étaient de nature mythologique et exigeaient la mise en œuvre d'un éventail de moyens expressifs plus large que dans le dramma per musica, à savoir une orchestration variée, de nombreux morceaux choraux et de grands récitatifs accompagnés. Mais à ces composantes de base Gluck ajoute des procédés venus d'un horizon opposé, celui de l'opéra français. Ainsi, le premier tableau garde l'aura poétique de la pastorale italienne, tout en suivant des principes de construction analogues à ceux d'une scène de Rameau. De même, la structure de l'air à da capo est écartée, à une exception près (Che fiero momento), au profit de formes plus rares mais plus souples, dérivées de l'opéra-comique, tels l'air strophique (Chiamo il mio ben così), le rondeau (Che farò), ou le vaudeville final.

   Ces recherches formelles prouvent bien que la réforme gluckiste ne s'est pas manifestée par une réduction de la part relative de la musique en regard du texte. À l'éparpillement d'arias stéréotypées a fait place une construction en longues scènes fortement structurées, permettant d'intensifier la tension dramatique sur une bien plus grande échelle. Mais il est tout aussi indéniable que cette volonté délibérée de rompre avec les conventions de l'opera seria passe par une nouvelle conception du livret. On verra Wagner suivre un cheminement semblable lorsqu'il arrivera, avec le Vaisseau fantôme, à sa propre définition du « drame musical ». Tournant le dos aux intrigues de palais qui formaient la trame des opéras métastasiens, Calzabigi reprend le mythe d'Orphée dans toute sa nudité primitive, sans la moindre péripétie secondaire qui vienne en entraver le déroulement. Il tranchait ainsi le nœud gordien de la complexité dramatique et permettait du même coup au musicien de concentrer ses moyens expressifs autour d'un but unique : exprimer dans toute sa force la douleur d'Orphée et sa détermination d'arracher Eurydice à la mort. Cette austérité draconienne sur le plan de l'intrigue laissera, certes, la place à une plus grande diversité de personnages dans les opéras que Gluck écrivit par la suite, mais constitue bien le point de départ de sa réforme.

   L'apport d'Alceste (1767) aux expériences commencées dans Orfeo dépasse de loin l'idée que peut en donner sa préface, célèbre manifeste rédigé par Calzabigi. Le hiératisme néoclassique de son architecture, qui repose en grande partie sur des « piliers » choraux, s'accompagne d'une recherche plus poussée encore de la complexité psychologique : dans la ligne de Che farò, l'air d'Alceste Io non chiedo, où se succèdent cinq tempos différents, suit toutes les émotions du texte avec une diversité de moyens qui le situe encore plus loin du monolithisme inhérent au cadre du da capo. Sans précédent également dans l'opera seria est le souci de la continuité dramatique, qui se traduit tantôt par des transitions d'un mouvement à l'autre, tantôt par l'intervention de plusieurs personnages différents (pouvant exprimer des sentiments parfois contradictoires) au sein d'un même morceau. D'autres opéras composés à Vienne à la même époque, Telemaco (1765) et Paride ed Elena (1770), témoignent également d'une grande inventivité, sans atteindre au grandiose d'Alceste.

   Les années qui suivirent Paride ed Elena furent consacrées à la composition d'Iphigénie en Aulide, en vue d'une représentation à Paris (1774). Il est probable que Gluck ait voulu y trouver une consécration internationale, sans se douter que l'esprit partisan du milieu littéraire français et les traditions pesantes de l'Académie royale de musique lui compliqueraient beaucoup la tâche. Mais il faut surtout voir dans ce changement de terrain le désir d'explorer plus avant les possibilités musicales et dramatiques inhérentes à la tragédie lyrique. C'était certes là un genre en sommeil depuis le Zoroastre de Rameau (1749), mais Gluck devait lui insuffler une vie nouvelle, qui donna lieu à un net regain d'activité dans les années qui précédèrent la Révolution. Iphigénie en Aulide est, à certains égards, l'opéra le plus novateur que Gluck ait écrit. La richesse dialectique des tirades raciniennes trouve pour la première fois son équivalent musical dans quatre gigantesques monologues, confiés à Agamemnon et à Clytemnestre : les variations de tempo, la finesse de la déclamation, l'intensité de l'accompagnement orchestral en font les sommets de l'œuvre. Le chœur, dont le rôle dans Alceste était resté dans une large mesure d'ordre décoratif et structurel, prend ici toute sa dimension scénique : l'écriture antiphonique est maintenant utilisée à des fins réalistes pour rendre l'affrontement des partisans de Calchas et des défenseurs d'Iphigénie. À l'extrême opposé, les récitatifs les moins dramatiques, ou certains airs en demi-teinte, n'échappent pas à une relative banalité. Le génie propre de Gluck le portait davantage aux grandes constructions musicales, centrées sur les points forts de l'action. Armide (1777), composée sur un ancien livret de Quinault, souffre d'un texte disparate et encombré de divertissements chorégraphiques, et trahit l'impasse où risquait de mener une conformité trop grande aux schémas de la tragédie lyrique.

   Le dernier « drame-opéra » de Gluck, Iphigénie en Tauride (1779), témoigne chez le compositeur et son librettiste d'une conscience aiguë de ces problèmes. Si les airs courts n'en ont pas disparu, leur style plus nettement mélodique leur confère davantage d'individualité et de force. Mais la grande originalité de cette œuvre réside surtout dans la longueur de certains de ses airs, qui réintroduisent des épanchements lyriques tels qu'on n'en trouvait encore que dans l'opéra italien. La volonté de synthèse est analogue à celle d'Orfeo et d'Alceste, mais en sens inverse cette fois-ci. Le point culminant de l'acte II, et de l'opéra tout entier, avec Ô malheureuse Iphigénie, intervient au milieu d'une succession de solos, de récitatifs et de chœurs typique de l'opéra français. La grande lamentation d'Iphigénie prend ainsi tout son relief, portée par la dynamique propre à la tragédie lyrique, mais s'en détachant nettement par ses dimensions et par l'ampleur italienne de son envolée mélodique.

   Le premier morceau d'Iphigénie en Tauride constitue lui aussi un ultime pas en avant, dans un domaine dont l'importance apparaissait déjà clairement dans la préface d'Alceste : « J'ai imaginé que l'ouverture devait prévenir les spectateurs sur le caractère de l'action qu'on allait mettre sous leurs yeux, et leur en indiquer le sujet. » L'ouverture d'Iphigénie en Aulide, dont Wagner a donné une pénétrante analyse, présentait déjà l'originalité de se poursuivre sans interruption dans le premier monologue d'Agamemnon, dont elle partage également le thème principal. La scène de tempête sur laquelle débute Iphigénie en Tauride produit un effet plus frappant encore, tant par sa signification psychologique que par la hardiesse de ses procédés musicaux. La tourmente qui amène Oreste et Pylade sur « les bords cruels et sinistres » de la Scythie symbolise l'état d'âme de l'héroïne, en qui un songe est venu encore aviver l'angoisse de l'exil. L'entrée d'Iphigénie, au plus fort du déchaînement de l'orchestre, se fait dans le ton du relatif mineur, et non dans la tonalité principale, qui ne sera plus jamais explicitement rétablie ; après un repos sur la dominante, un récitatif très modulant vient prendre le relais, et les solos, les récitatifs et les chœurs s'enchaînent ainsi dans tout le premier acte sans la moindre césure.

   L'extension de la continuité musicale sur plusieurs morceaux est sans doute l'apport majeur de Gluck à l'évolution de l'opéra. Il reste difficile d'évaluer la postérité de son œuvre, dans la mesure où les transformations que subit le genre au tournant du XIXe siècle ne peuvent s'expliquer que par des dA©terminations très complexes ; mais il suffit de lire les écrits de Berlioz et de Wagner pour se convaincre de l'importance que revêtait à leurs yeux ce novateur passionné, dont la musique portait en elle tous les traits contradictoires d'un style en pleine mutation. Si l'œuvre de Gluck nous apparaît aujourd'hui sous un jour différent ­ on en retient surtout la grandeur néoclassique ­ c'est souvent qu'elle ne trouve pas d'interprètes suffisamment engagés pour en exprimer toute la force. Mais Gluck souffre plus encore de la date de ses plus grandes œuvres, qui fait presque de lui un contemporain de Mozart, alors qu'il était de quarante-deux ans son aîné et que le relatif immobilisme de son écriture harmonique le rattache nettement à l'époque précédente. Les deux années qui séparent Iphigénie en Tauride (1779) d'Idomeneo (1781) rendent mal compte de la rupture radicale intervenue entre les deux œuvres, au-delà de leurs ressemblances apparentes : chez Gluck, une architecture monumentale, où l'intensité expressive reste toujours subordonnée à l'action ; chez Mozart, un foisonnement de formes nouvelles, sous-tendues par le dynamisme du langage musical classique.