Nietzsche (Friedrich)
Philosophe allemand (Rökken, près de Lützen, 1844 – Weimar 1900).
Dans l'histoire de la musique, le nom de Nietzsche reste indissolublement lié à celui de Wagner, en raison de l'amitié puis de la rupture entre les deux hommes, mais aussi à celui de Bizet, ce refuge pour ses blessures que Nietzsche (quel défi !) s'acharna à présenter comme une alternative, et à celui de Richard Strauss, qui crut mettre en musique Ainsi parlait Zarathoustra. On ignore cependant généralement que, avant de rencontrer Wagner, Nietzsche composa 7 lieder pour baryton et piano (sur des textes de Petöfi, Fallersleben, Pouchkine, Byron et Chamisso), plusieurs pièces pour piano, une fantaisie pour violon et piano, et diverses œuvres chorales, dont un oratorio de Noël et les fragments d'une messe. Profondément influencées par Schumann, ces partitions révèlent pourtant un sens inné de l'improvisation et de l'audace harmonique : sans posséder la maîtrise de notation d'un vrai professionnel, elles sont mieux que d'un dilettante doué. Mais, en dehors de ses ouvrages philosophiques, c'est, bien entendu, par son travail d'exégèse critique que Nietzsche retient aujourd'hui l'attention : encore, lorsqu'on sait la place occupée par la musique dans sa réflexion et celle tenue dans son cœur et dans ses écrits par Wagner (et ce, bien au-delà de la mort du compositeur), philosophie et critique sont-elles fortement associées. L'histoire des relations entre Nietzsche et Wagner passe par trois périodes. Entre 1869 et 1872, à Tribschen, règnent l'amitié et l'harmonie intellectuelle. Les deux hommes (Wagner achève Siegfried ; Nietzsche, la Naissance de la tragédie) partagent un même intérêt pour Schopenhauer, un même amour de la Grèce antique, une même analyse de la décadence allemande, une même foi dans le rôle de rassembleur dévolu au poète tragique, une même volonté d'ennoblir l'homme. Bientôt, pourtant, Wagner va devenir… wagnérien, et cette récupération par la masse de l'œuvre de son ami va confirmer les soupçons qui se sont fait jour dans l'esprit de Nietzsche pendant les années d'intimité. Le premier festival de Bayreuth (1876) consomme la rupture. Nietzsche, sans cesser d'être fasciné par son aîné, va, dès lors, le dénoncer, non pour des motifs personnels (encore que le caractère morbide de Wagner ait été difficile à vivre), mais au nom de valeurs dont le philosophe considère que Wagner les a trahies : « Wagner, dit-il, s'est trompé sur lui-même et a trompé les autres. » De ce mensonge organisé, Nietzsche ne se veut pas le porte-parole. Il comprend que le drame wagnérien n'affirme la vie avec force que pour donner plus de poids à son renoncement, incapable qu'il est de présenter positivement ce dernier (le choix de Parsifal, de préférence aux Vainqueurs, qui, sur un sujet voisin, prônaient sans ambiguïté la réconciliation fraternelle entre l'homme et la femme, est significatif à cet égard). Wagner est le témoin d'une décadence, non d'un renouveau ; son épuisement de l'âme, la cyclothymie de ses héros, ses condamnations morales, trahissent une névrose. Nietzsche dénonce le « à ne pas dire » sur lequel s'appuie le dire wagnérien. Lui, qui insiste sur un ennoblissement individuel, presque ascétique, visant à transvaluer l'homme par-delà les notions actuelles du bien et du mal, combat l'obsession angoissée de Wagner cherchant à mettre l'individu à l'abri de tout mal, quel que soit le prix à payer pour cette sécurité. Il se dresse aussi contre le pangermanisme théiste de Wagner, qui gouverne par mensonges et illusions. Principale preuve : le théâtre de Bayreuth, devenu temple de l'art allemand officiel, accaparé par les Allemands décadents dont Wagner accepte l'hommage parce qu'il se dissimule derrière l'opinion qu'ils ont de son œuvre. Il faut donc comprendre que c'est toute la culture de l'Allemagne impériale que Nietzsche vomit, dans ses ouvrages Nietzsche contre Wagner et le Cas Wagner (écrits en 1888, soit cinq ans après la mort du musicien), culture dont l'hypocrisie séductrice du théâtre wagnérien lui paraît exemplaire. Anticipant sur les révoltes expressionnistes contre la morale bourgeoise, Nietzsche a su, avant Thomas Mann et Adorno, mettre le doigt sur l'essence du wagnérisme.
Nigg (Serge)
Compositeur français (Paris 1924).
Il étudie au Conservatoire de Paris, de 1941 à 1946, la composition et le piano dans les classes d'Olivier Messiaen et de Simone Plé-Caussade, et acquiert assez tôt une réputation prometteuse, avec des œuvres comme Timour pour orchestre (1944), et Concerto pour cordes, piano et percussions (1947). Après sa rencontre avec René Leibowitz en 1946, il étudie auprès de celui-ci (comme le firent Pierre Boulez et d'autres compositeurs) le système sériel schönbergien, qu'il cherche à appliquer avec rigueur dans des œuvres comme Variations pour piano et 10 instruments (1947), et deux Pièces pour piano (1947), qui sont parmi les premières œuvres sérielles françaises.
Mais, en 1949, Nigg se détourne de l'abstraction en créant avec Louis Durey et Charles Kœchlin l'Association des musiciens progressistes, qui s'inspire des idées du Manifeste de Prague pour remettre en cause le formalisme et l'abstraction de l'« art bourgeois ». Ses premières œuvres dans cette tentative courageuse pour réaliser une musique de témoignage progressiste, qui « parle au peuple », sont la cantate le Fusillé inconnu, avec récitant, chœurs et orchestre (1949), et l'œuvre Pour un poète captif pour orchestre (1950), d'après des textes du poète turc communiste Nazim Hikmet, persécuté pour ses opinions. Mais ce mouvement « progressiste » est un feu de paille, et, après des œuvres de transition comme Billard, ballet (1951), et la Petite Cantate des couleurs pour chœur de femmes a cappella (1952), Nigg finit par se trouver dans un style qu'on a appelé « néoromantique », luxuriant, dense, expressionniste, mais d'une écriture finalement assez tendue et concise, comparable au Webern des Pièces pour orchestre op. 6. On citera dans la période dite de la « maturité » : Concerto pour violon et orchestre (1957), la Musique funèbre pour orchestre à cordes (1959), la Jérôme Bosch symphonie pour orchestre (1960), le Concerto pour flûte et orchestre à cordes (1961), le Chant du dépossédé pour orchestre, récitant et baryton (1964), sur des textes intimes de Mallarmé relatifs à la mort de son fils Anatole (également utilisés par André Boucourechliev dans son œuvre électroacoustique Thrène, 1974), puis les Visages d'Axel pour orchestre (1967), sorte de poème symphonique inspiré par la pièce Axel de Villiers de l'Isle-Adam, Fulgur pour orchestre (1968-69), Deuxième Concerto pour piano et orchestre (1970-71), Fastes de l'imaginaire (1974), pour orchestre, Scènes concertantes pour piano et orchestre (1975), Millions d'oiseaux d'or (1981), Concerto pour alto (1988), Poème pour orchestre (1990).