États-unis (suite)
Le règne de la comédie musicale
Bien plus cependant que dans le genre symphonique ou instrumental, la participation originale des États-Unis à l'expression universelle était, dès cette époque, la comédie musicale. Née de la rencontre du « show » de music-hall et de l'opéra-comique, elle avait eu ses premières manifestations avant 1870 et s'était ensuite imprégnée de l'influence des opérettes de Gilbert et Sullivan, importées d'Angleterre. Au début du siècle, sa vogue était devenue considérable et c'est après une nouvelle étape de liaison avec l'opérette de style Europe centrale (Friml et Romberg) qu'elle atteignit sa maturité grâce à Irving Berlin, Jerome Kern, Vincent Youmans et Cole Porter. Expression nationale d'influences étrangères dont l'une complète l'autre, elle est devenue l'un des spectacles les plus riches et les plus intéressants du monde entier, en même temps qu'elle répond, mieux qu'aucune forme de l'art lyrique, à l'exigence d'un public auprès duquel le culte des valeurs traditionnelles a fait son temps.
La tendance à l'expérimentalisme
Curieux de nouveautés, ce même public qui applaudit South Pacific garde pourtant une disponibilité qui lui permet de consacrer une œuvre inspirée des disciplines schönbergiennes ou à caractère expérimental. Et c'est ainsi que la musique américaine n'a pas, aujourd'hui, de style dominant et que toutes les tendances y sont représentées, de Samuel Barber (1910-1981) aux plus audacieuses conceptions de John Cage (1912-1992) ou de Conlon Nancarrow (1912).
Tandis que le néoclassicisme demeure vivace au cœur des jeunes générations, les éclectiques sont toujours très nombreux, de Robert Starer (1924) à Gunther Schuller (1925), et les dodécaphonistes tels que George Rochberg (1918) explorent jusque dans ses plus extrêmes limites l'héritage de Webern. C'est cependant parmi les expérimentalistes que l'école américaine compte le plus grand nombre de représentants, à la suite de Cage (1912-1992), de Morton Feldman (1926-1987), d'Earle Brown (1926) ou de Christian Wolff (1934), et des possibilités que leur offre aujourd'hui l'électronique. L'avant-garde, représentée par Alvin Lucier (1931), Robert Ashley (1930), Steve Reich (1936), John Adams (1947), Charlemagne Palestine, Terry Fox ou Philip Glass, met en œuvre tous les éléments d'une révision intellectuelle et technique qui lui assurent sa vitalité.
La vie musicale américaine
La vigoureuse diversité que l'on constate dans la production des compositeurs américains marque aussi les autres domaines de la vie musicale. On peut dire qu'aujourd'hui les États-Unis sont un des pays où il s'apprend, se pratique et s'écoute le plus de musique, de tous les genres et de toutes les époques. Cet épanouissement est soutenu financièrement et matériellement par une multitude d'organisations, la plupart de nature privée (parmi elles, la Fondation Ford est la plus riche et la plus active), les autres relevant du gouvernement fédéral (National Endowment for the Arts) ou des collectivités régionales ou locales.
Toutes les écoles américaines, pour ainsi dire, proposent une forme ou une autre d'activité musicale, ne serait-ce, dans les établissements primaires, qu'un simple cours d'initiation à l'écoute de la musique. Tous les collèges universitaires possèdent leur orchestre, qui est souvent un marching band, une fanfare destinée à accompagner l'équipe de football dans ses déplacements, mais qui, la saison sportive terminée, peut se scinder en différents ensembles : ensemble à vent, ensemble de cuivres, etc. L'enseignement musical proprement dit est dispensé soit dans les départements spécialisés des universités, soit dans des conservatoires ou des instituts dont certains, comme la Juilliard School à New York, le Curtis Institute à Philadelphie ou le New England Conservatory à Boston réunissent un corps professoral prestigieux. Tous ces établissements entretiennent diverses formations (chorales, orchestres, ateliers lyriques) qui jouent un rôle d'animation culturelle important dans leur cité ou leur région.
Les États-Unis possèdent une trentaine de grands orchestres symphoniques, dont quelques-uns se classent parmi les toutes premières formations mondiales. Ces orchestres prolongent souvent leur saison par une série de concerts estivaux (généralement gratuits) donnés dans les parcs de leur ville ou dans des amphithéâtres à ciel ouvert (Hollywood Bowl à Los Angeles). Mais il existe en fait, aux États-Unis, plus d'un millier de formations symphoniques d'importance et de qualité variables, entretenues par des municipalités, des groupements de quartier, voire des musées (la National Gallery of Art, à Washington, possède un orchestre de 55 musiciens et un auditorium de 650 places) ou des associations professionnelles (le Chicago Business Men's Orchestra, fondé en 1921, rassemble 50 exécutants et donne 4 concerts par an).
Dans le domaine de la musique de chambre, des formations comme le Juilliard String Quartet, le Beaux-Arts Trio ou Music from Marlboro, de même que, dans celui du chant choral, le Harvard Glee Club (fondé en 1858) ou le célèbre Mormon Tabernacle Choir de Salt Lake City (375 membres) ont acquis une réputation internationale.
Si quatre grandes compagnies d'opéra dominent la scène lyrique américaine (le Metropolitan Opera de New York et le New York City Opera, le Lyric Opera de Chicago et le San Francisco Opera), presque toutes les grandes villes des États-Unis ont une saison lyrique, plus ou moins longue, plus ou moins riche (l'Opera Company de Philadelphie présente chaque année 8 ou 10 ouvrages, celle de Denver 2 ou 3). De très nombreux opéra-studios fonctionnent au sein des universités et des conservatoires (rien qu'à New York, on en compte une quinzaine). Cette institution est particulièrement bénéfique pour l'opéra contemporain : elle a notamment permis la création du Medium de Menotti (à l'université Columbia) et de la version révisée d'Anthony and Cleopatra de Samuel Barber (à la Juilliard School).
Plus d'une centaine de festivals animent l'été musical américain. Certains sont ouverts à toutes les formes de spectacles, d'autres sont plus exclusifs : celui de Santa Fe est voué au théâtre lyrique, tandis que Saratoga accueille régulièrement l'Orchestre symphonique de Philadelphie et le New York City Ballet, qui en ont fait leur port d'attache pour l'été. Plusieurs festivals sont en fait des séminaires ou des ateliers musicaux, dont les participants donnent des concerts publics : dans ce genre, le plus réputé est celui de Marlboro, mais celui d'Aspen dans le Colorado ou celui de Tanglewood dans le Massachusetts (consacré à la musique contemporaine) fonctionnent suivant le même principe.
L'audience de la musique contemporaine n'a cessé de s'élargir au cours des 20 dernières années. Non seulement il existe de nombreux groupes spécialisés (les compositeurs Philip Glass et Steve Reich possèdent chacun leur propre formation, qui n'exécute que leur propre musique), non seulement de nombreuses séries de concerts sont réservées à la musique d'aujourd'hui, mais encore les grands orchestres ou les ensembles « classiques » inscrivent régulièrement des œuvres nouvelles à leurs programmes. L'Orchestre symphonique de Louisville publie chaque année, sous sa propre étiquette, 6 disques de musique contemporaine américaine. Toute l'information en ce domaine est centralisée par l'American Music Center (A. M. C.). Cet organisme, qui regroupe près d'un millier de membres (compositeurs, éditeurs, musicologues, etc.), possède une importante bibliothèque de partitions déjà publiées ou encore inédites, et envoie à ses adhérents une lettre bimensuelle où sont annoncés les concerts, les nouveaux enregistrements, les modifications à la législation en vigueur concernant les musiciens…
Enfin, si les manifestations musicales, aux États-Unis, peuvent se dérouler dans les lieux les plus divers (musées, bibliothèques publiques, universités), on ne saurait passer sous silence l'énorme effort accompli depuis le début des années 60 pour doter le pays de structures d'accueil répondant au phénomène de diffusion massive de la culture qui caractérise notre époque. Presque toutes les agglomérations de quelque importance possèdent un « centre civique » où sont réunis salles de concert et halls d'exposition. Les plus prestigieux sont le Kennedy Center à Washington, le Music Center à Los Angeles et le Lincoln Center à New York.