notation musicale
La plus ancienne notation musicale déchiffrable avec certitude, celle de la Grèce antique, probablement plus récente qu'on ne le croyait jadis, remonte sans doute au milieu du IIIe siècle av. J.-C., mais il est vraisemblable qu'elle a eu de nombreux prédécesseurs. À mesure qu'on les déchiffre, les écritures des anciennes civilisations du Moyen-Orient font apparaître, spécialement dans les textes qui se prêtent au chant (hymnes, prières, etc.), l'existence de signes irréductibles aux normes connues, et qu'on présume représenter une notation musicale. Plusieurs procédés de déchiffrement ont été proposés (le plus récent, 1977, est celui de Mme Duchesne-Guillemain pour l'écriture cunéiforme) mais ne sont encore que des hypothèses. En Grèce même, la notation classique a sans doute eu des prédécesseurs.
Sous réserve d'éventuelles découvertes, et en se limitant à la hauteur des sons, on peut classer en 5 catégories principales les principes utilisés :
la méthode globale, la plus rudimentaire, et s'appliquant exclusivement aux musiques, généralement de caractère liturgique, procédant par centons ou par variations sur des formules mémorisées. Elle consiste à cataloguer ces formules et à attribuer à chacune un signe conventionnel. Elle a été pratiquée notamment dans les manuscrits hébraïques ponctués de signes musicaux additifs (taamim) ; leur déchiffrement reste évidemment tributaire d'une connaissance préalable des formules qu'ils représentaient. Cette connaissance est actuellement minime, et de récentes « restitutions » de musique biblique lancées à grand renfort publicitaire ne présentent malheureusement aucune garantie scientifique ;
la méthode intervallique, consistant, le système modal et le point de départ mélodique étant fixés, à représenter par un signe conventionnel non les sons eux-mêmes, mais l'intervalle séparant chacun du précédent ; c'est le principe de certaines notations byzantines ;
la tablature, indiquant non les sons eux-mêmes, mais la manière de les produire sur un instrument donné (position des doigts). C'est probablement à ce principe que répondait la « notation instrumentale » de la Grèce antique ; réinventé à la fin du Moyen Âge et devenu usuel du XVIe au XVIIIe siècle pour certains instrumentistes (organistes, luthistes, guitaristes), il est encore parfois pratiqué actuellement en tout ou en partie à côté des notations usuelles (accordéon) ;
la traduction abstraite de chaque son et sa figuration graphique. Telle était la « notation vocale » grecque, à l'origine simple numérotation des sons de la tablature, ultérieurement développée sur des bases analytiques indépendamment des contingences instrumentales. Bien que transmise comme la précédente par les écoles médiévales, elle n'a pas davantage survécu dans la pratique à la disparition de la musique grecque antique vers le IVe siècle de notre ère ;
le graphisme visuel, assimilant le mouvement mélodique à un mouvement dans l'espace et évoquant celui-ci par un tracé approprié. Un tel principe ne pouvait être conçu sans la métaphore qu'il matérialise, à savoir que les aigus sont « hauts » et les graves « bas » : cette métaphore n'a pris naissance que vers le IXe siècle de notre ère, et a engendré dès cette époque des graphismes correspondants ou neumes, d'où, par transformations successives, a pris naissance notre notation occidentale usuelle.
Les premiers témoins de ce nouveau procédé apparaissent sporadiquement sous forme de petits traits aide-mémoire tracés de temps à autre au-dessus du texte pour indiquer la direction montante, descendante ou étale du mouvement mélodique ; bientôt on matérialisera le son en dessinant un point à l'extrémité de ce trait qui deviendra une simple queue ou haste, et on placera lesdits points plus ou moins haut en dessinant à peu près le mouvement mélodique (diastématie, Xe s. env.). Certains neumes composés de traits à valeur mélodique resteront toutefois en usage jusqu'au XVIe siècle (ligatures).
Au XIe siècle, certains scribes facilitèrent leur travail en préparant sur le parchemin, à la pointe sèche, une ligne-repère de signification variable : ce fut l'amorce de la portée. Progressivement, on renforça le rôle de cette ligne en la traçant à l'encre et en précisant au moyen d'une lettre (clavis) le nom de la note qui lui est affectée : ces lettres deviendront nos clefs ; on ajouta une seconde ligne, à distance de quinte, puis une troisième divisant ces deux par le milieu : on s'aperçut alors que chaque note disposait désormais d'un emplacement précis, par ligne et interligne successifs, et on ajouta d'autres lignes selon le même principe. Leur nombre était variable, mais l'usage les normalisa à peu près à 4 au cours du XIIe siècle, puis au XIIIe siècle à 5 pour la musique non liturgique.
L'usage de la « clef » fixait une fois pour toutes l'intervalle séparant les notes ; mais un degré, le si, dénommé B, était mobile, formant demi-ton tantôt avec do et tantôt avec la. On donna deux formes différentes à ce B : carré dans le premier cas (bécarre), rond dans le second (bémol) et on précisa, s'il y avait lieu, lequel des deux B convenait en écrivant ce B soit après la clef (origine de nos armatures), soit en cours de texte peu avant son emploi (origine de nos altérations accidentelles). Plus tard, pour mieux distinguer ces deux formes, on ajouta un trait au bécarre, qui prit tantôt sa forme actuelle, tantôt, si les traits débordaient, celle qu'a gardée notre dièse ; les deux formes dièse et bécarre ne furent différenciées que tardivement et l'usage actuel, lié à la transformation parallèle du solfège, n'est guère fixé que depuis le XVIIIe siècle.
Mais, dès le XIIIe siècle, on commença à utiliser les deux signes bémol et bécarre-dièse pour d'autres notes que le si : fa et do dièses au XIIIe siècle, sol et, exceptionnellement, ré dièses au XIVe, mi bémol au début du XVIe. À la fin du XVIe siècle, avec l'invention du chromatisme, il n'y eut plus de limitation. Au XVIIe siècle, un arrondissement général du graphisme lié au mode d'écriture donna à peu près aux notes leur aspect actuel. La notation classique fut alors fixée et ne subit plus guère de changements par la suite.
L'écriture du rythme se développa parallèlement à celle de la mélodie. La musique grecque la connaît, sous forme de signes spéciaux ad libitum ajoutés à la notation mélodique. Ces signes sont employés encore aujourd'hui par les métriciens, mais furent abandonnés des musiciens : les notations neumatiques les ignorent, même si certaines d'entre elles notaient parfois par des traits incorporés (épisèmes) ou des lettres suscrites des détails d'allongement, d'accélération, etc. C'est seulement à la fin du XIIe siècle, à l'école de Notre-Dame de Paris, que les polyphonistes eurent l'idée, par une manière différente de grouper les neumes (ligatures), de préciser la valeur des notes dans les mélismes en rythme ternaire ; cette valeur n'était pas fixe, mais déterminée par le contexte : 1 ou 2 temps selon le cas pour la brève, 2 ou 3 temps pour la longue (notation proportionnelle).
Cette façon de faire fut élargie et codifiée de manière de plus en plus complexe à partir du XIIIe siècle ; on donna une valeur rythmique à la direction des hastes et aux détails de tracé des points (à gauche, à droite, etc.), en même temps qu'à la forme des points pour les notes isolées (notation dite franconienne). De la combinaison de ces éléments naquit une classification en longues, brèves et semi-brèves qui n'allait cesser de s'étendre en évoluant et en créant sans cesse de nouvelles valeurs (minime, semi-minime, fusa, etc.) et de nouvelles formes de notes (rondes ou carrées, pleines ou évidées) ou de queues (adjonction de crochets, etc.). Notre nomenclature en rondes, blanches, etc., en est directement issue par transformations successives.
À partir du XIVe siècle, la création de rythmes de plus en plus complexes entraîna de profondes modifications et une débauche de signes dont la valeur parfois contradictoire (temps, modes, prolations) était codée par des figures conventionnelles (encres de couleur, figures évidées, signaux combinés de ronds, points, etc.) dont certaines ont été conservées (C, C barré), ou encore par des combinaisons de chiffres qui sont devenues nos fractions de mesure. À la fin du XIVe siècle, la notation atteignit le maximum de complication (notation maniérée), puis se simplifia progressivement.
La barre de mesure s'imposa au XVIIe siècle modifiant la façon de compter en solfiant (on comptait auparavant non pas 1 –2 –3 –4, mais 1 –1 –1 –1…) et par là le sens du chiffrage : la valeur rythmique des signes cessa de dépendre du contexte et chaque valeur de note acquit une durée fixe en fonction du chiffrage de mesure. Il subsista néanmoins certaines ambiguïtés qui existent encore de nos jours ; de nombreux essais d'amélioration ont été proposés depuis le XVIIe siècle, mais se sont toujours heurtés à la force de l'habitude acquise, et l'ensemble de la notation est restée pratiquement sans changement jusqu'aux musiques non harmoniques du XXe siècle dont les expériences, reprenant la question sur des bases nouvelles, sont encore en cours.