Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Bartalus (István)

Compositeur et musicologue hongrois (Balvanyosvaralja 1821 – Budapest 1899).

À la suite de Janos Erdelyi et Gabor Matray, il entreprit une vaste publication de mélodies populaires, avec accompagnement (7 vol., 1873-1896). Sans avoir recours aux méthodes que devait appliquer plus tard Béla Vikár, promoteur de l'étude scientifique du folklore, Bartalus joua un grand rôle dans le maintien de l'intérêt pour la musique « populaire ». Il fit paraître, par ailleurs, une importante anthologie d'œuvres pour piano de compositeurs hongrois (1885) et publia de nombreuses monographies sur la musique de son pays à cette époque.

Barthélemon (François Hippolyte)

Violoniste et compositeur français (Bordeaux 1741 – Londres 1808).

Fils d'un Français et d'une Irlandaise, il se produisit comme violoniste en France, puis se rendit à Londres (1764), où, en 1766, il donna son premier opéra, Pelopida, et épousa la chanteuse Mary Young. On le vit à Paris (1767-1769), à Dublin (1771-72), en France, en Allemagne et en Italie (1776-77), mais l'essentiel de sa carrière se déroula dans la capitale britannique. Il composa d'autres opéras, des ballets, l'oratorio Jefte in Masfa (Florence, 1776), des quatuors à cordes, des concertos et des sonates pour son instrument, et fut considéré comme un des premiers violonistes de son temps. Sa fille Caecilia Maria composa également de la musique. Lors des deux séjours de Haydn à Londres (1791-1795), Barthélemon noua avec lui des liens d'amitié étroits et lui suggéra même, selon certaines sources, le sujet de la Création.

Bartholomée (Pierre)

Compositeur et chef d'orchestre belge (Bruxelles 1937).

Il a étudié au conservatoire de Bruxelles de 1952 à 1957 (composition avec Henri Pousseur) et a été l'élève de Pierre Boulez pour la direction d'orchestre. Il a produit des émissions musicales à la télévision belge, à partir de 1960, et fondé en 1962 l'ensemble instrumental Musiques nouvelles. Depuis septembre 1977, il est directeur musical et chef permanent de l'Orchestre de Liège, devenu en 1980 l'Orchestre philharmonique de Liège. Ses œuvres reflètent les influences non seulement de Pousseur ou de Berio, mais des musiques des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Citons Chanson pour violoncelle (1964), Cantate aux alentours pour alto, basse, instruments et moyens électroacoustiques (1966), la Ténèbre souveraine pour quatuor vocal, 2 chœurs et orchestre (1967), Tombeau de Marin Marais pour violon baroque, 2 violes de gambe et clavecin, pièce en micro-intervalles notée sur tablature (1967), Premier Alentour pour flûte, alto et 2 violes de gambe (1966), Deuxième Alentour « Cueillir » pour voix d'alto, percussion et piano (1969-70), Troisième Alentour « Récit » pour orgue (1970), Harmonique pour orchestre (1970), Fancy pour harpe (1974), Fancy II pour harpe et petit orchestre (1975), Ricercar pour 4 saxophones (1974) et Sonata quasi une fantasia (1976) et Fancy as a ground pour orchestre de chambre (1980).

Bartók (Béla)

Compositeur hongrois (Nagyszentmiklós, auj. en Roumanie, 1881 – New York 1945).

Initié par sa mère au piano, il étudia, dès 1893, cet instrument et la composition avec Lászó Erkel, puis, sur les conseils d'Ernó Dohnányi, entra à l'Académie royale de musique de Budapest, où il travailla le piano avec István Thomán, élève de Liszt, et la composition avec János Koessler. En 1900, il se lia avec Zoltán Kodály. En 1902, la découverte des poèmes symphoniques de Richard Strauss influença ses premières œuvres. Nationaliste convaincu, Bartók se fit connaître par Kossuth, poème symphonique exaltant le héros hongrois de la révolution de 1848. Il mena alors une carrière de pianiste, écrivit une sonate pour violon et piano sz 20, Burlesque sz 28 pour piano et orchestre, puis une rhapsodie pour piano sz 26. En 1905, il se présenta à Paris au concours Rubinstein, que remporta Wilhelm Backhaus. Mortifié, il rentra à Budapest pour se consacrer à la recherche des traditions populaires hongroises. Avec Kodály, il tenta de relier l'héritage de l'Orient à celui de l'Occident, ce dernier fondé sur les enseignements de Debussy quant au sens des accords, de Bach quant à « la transparence du contrepoint », de Beethoven quant à la forme.

   Professeur à l'Académie de musique de Budapest (1907), Bartók voulut, pour améliorer l'enseignement du piano, habituer les élèves aux mélanges de tonalités et à la relativité de la barre de mesure. Aussi commença-t-il une série de pièces didactiques qui, des 10 Pièces faciles sz 39 de juin 1908, devaient l'amener aux Mikrokosmos sz 107, terminés en 1937. En 1908, il écrivit son 1er quatuor à cordes, qui révèle les influences de Wagner et de Debussy. La violoniste Stefi Geyer lui inspira son 1er concerto pour violon sz 36, dont le premier volet devint le premier des 2 Portraits sz 37. Les 3 Burlesques sz 47 utilisèrent, en leur morceau central (Un peu gris), une technique nouvelle consistant à faire précéder une note d'appui d'un groupe d'ornementation que l'on « écrase » sur le clavier. En 1910, Bartók semblait avoir échappé à l'influence de Strauss, dont il critiqua violemment l'Elektra. En 1909, il épousa Márta Ziegler, qui, l'année suivante, lui donna un fils.

   La fréquentation de l'écriture modale des mélodies populaires inspira au compositeur les 4 Nénies sz 45, fondées sur des chants très anciens ignorant totalement « la tyrannie des systèmes modaux majeurs et mineurs ». L'année 1911 fut marquée par la mobilité percutante de l'Allegro barbaro pour piano sz 49 et par le Château de Barbe-Bleue sz 48, premier opéra utilisant spécifiquement la prosodie naturelle de la langue hongroise. Cette œuvre inaugurait une collaboration particulièrement fructueuse entre Bartók et Béla Balázs, essayiste hongrois puisant ses idées politiques avancées dans les contes et ballades populaires. L'opéra de Bartók et de Balázs dépasse le cadre traditionnel et décrit la solitude de tout créateur, la destruction de tout un patrimoine d'amour par la soif d'une connaissance inutile. En 1913, Kodály et Bartók recueillirent deux cents chants arabes et kabyles et se penchèrent sur les patrimoines mongols, hongrois et finnois. Les intentions pédagogiques de Bartók coïncidaient alors avec son désir de recréer les musiques populaires qu'il découvrait. Il écrivit pour le piano : Danse orientale sz 54, 6 Danses populaires roumaines sz 56, 20 Noëls roumains sz 57. Il tenta une recréation par la voix avec les 9 Chansons populaires roumaines sz 59, les 5 Mélodies sz 61, 63, les 8 Chansons populaires hongroises sz 64. Mais la guerre l'empêcha de continuer ses recherches. Il écrivit alors son 2e quatuor sz 67.

   Au lendemain de la guerre, Bartók eut soudain l'espoir d'être aidé par les nouveaux gouvernants. Mais ces derniers restèrent enfermés dans un nationalisme étroit et critiquèrent son œuvre, qui osait déborder du cadre national. Le compositeur disposait désormais d'une matière musicale qu'il pouvait recréer à sa manière. Il composa alors les Improvisations sur des chansons paysannes pour piano sz 74, d'une grande liberté de forme, et, surtout, ses deux sonates pour violon et piano sz 75 et 76, qui ont gardé, aujourd'hui encore, toute leur âpreté et leur nouveauté. Commande lui fut faite d'une œuvre pour fêter le cinquantième anniversaire de la réunion de Buda et Pest : ce fut la Suite de danses (1923), formée de deux danses arabes, une danse hongroise et une roumaine, dont il réunit les identités rythmiques et modales dans un allégro final. En 1923, il se sépara de sa femme et épousa Ditta Pásztory. Il étudia alors Scarlatti, les clavecinistes de la Renaissance italienne, et composa son 1er concerto pour piano sz 83, créé en juillet 1927 avec l'auteur au clavier et Furtwängler au pupitre. Il effectua son premier voyage aux États-Unis, reçut un prix à Philadelphie pour son 3e quatuor sz 85 et écrivit deux Rhapsodies pour violon et piano sz 286 et 89 l'une à l'intention du virtuose Josef Szigeti et l'autre à celle de Zoltán Szekely.

   En 1930, dans sa Cantata profana, Bartók emprunta aux « colindas » (chants de Noël roumains) un thème légendaire : les neuf fils d'un paysan, transformés en cerfs, retrouvent la liberté ; ce thème rejoint le besoin pour tout un peuple asservi de vivre, de chanter, de courir les risques d'une indépendance toujours préférable à une soumission qui ramènerait le cycle infernal de l'incompréhension et de la guerre. En 1933, Bartók créa lui-même son 2e concerto pour piano à Francfort, accompagné par le chef d'orchestre Hans Rosbaud. À la demande d'Erich Döflein, il transcrivit pour deux violons des pièces pour piano ; ces 44 duos sz 98 devaient, selon lui, « aider les élèves à trouver la simplicité naturelle de la musique des peuples et aussi ses particularités rythmiques et mélodiques ». En avril 1935, le Quatuor Kolisch créa à Washington son 5e quatuor sz 102, que sa perfection de forme, son expressionnisme tendu et la complexité de son contrepoint rythmique placent au sommet de sa production de musique de chambre. En 1936, s'inquiétant de la poussée du nazisme, Bartók demanda que ses œuvres subissent le même sort que celles des compositeurs d'origine israélite (interdiction à l'édition et à l'exécution). Il vint fréquemment se reposer en Suisse chez son ami, le chef d'orchestre Paul Sacher. Pour répondre à des commandes de ce dernier, il écrivit deux de ses chefs-d'œuvre, la Musique pour cordes, percussion et célesta sz 106 et le Divertimento pour cordes sz 113, respectivement créés, par Sacher et l'Orchestre de Bâle, en 1937 et 1940. De retour d'un voyage en Turquie, il commença une œuvre pour violon qui, par le vœu du dédicataire, le virtuose Zoltán Szekely, prit la forme d'un 2e concerto pour violon, que Szekely et le chef d'orchestre Mengelberg créèrent en avril 1939. Parallèlement à la Musique pour cordes, Bartók avait écrit une sonate pour 2 pianos et percussion sz 110, que sa femme et lui-même créèrent en janvier 1938 à Bâle.

   Après un voyage de reconnaissance aux États-Unis avec Szigeti, en 1939, Bartók décida de s'exiler et donna son dernier concert à Budapest le 8 octobre 1940 sous la direction de Janos Ferencsik. Il séjourna à New York comme chargé de recherches à l'université Columbia, fit quelques conférences, mais sa situation matérielle était des plus modestes. Bartók donna quelques concerts avec Szigeti et le clarinettiste de jazz Benny Goodman (Contrastes pour clarinette, violon et piano, sz 111) et transcrivit pour orchestre son concerto sz 110. Sa santé s'altéra peu à peu ; il était atteint de leucémie. En 1943, le chef d'orchestre Koussevitski lui commanda une œuvre pour l'Orchestre symphonique de Boston, le concerto pour orchestre, créé en décembre 1944. Yehudi Menuhin lui demanda également une œuvre ; Bartók écrivit la sonate pour violon seul sz 117. Le succès revint, les commandes affluèrent : il acheva presque son 3e concerto pour piano, termina les esquisses de la partie soliste d'un concerto pour alto destiné à l'altiste William Primrose. Ce fut la fin de la guerre ; Bartók ne vécut plus que dans l'espoir de retourner à Budapest. Mais il fut transporté à l'hôpital du West Side à New York, où il s'éteignit le 26 septembre 1945.

   Bartók est le premier ethnomusicologue dont la compétence s'est étendue à tout le bassin méditerranéen oriental, lieu de brassage des richesses de l'Orient et de l'Occident. Ses recherches l'ont amené à mettre en évidence les identités des musiques populaires, dont il s'est attaché à retrouver, au-delà des civilisations et des nationalismes, le langage commun. Il est ainsi remonté aux origines de la musique traditionnelle de son pays, débarrassant les mélodies recueillies des apports étrangers qui les avaient altérées. Conscient de la complexité des influences entre races, de la mouvance des mélodies transmises par tradition orale, il a créé une notation nouvelle lui permettant, non pas de reproduire ce matériau jamais figé, mais d'en consigner les schémas de base pour une éventuelle recréation savante.

   Imprégné de l'esprit de ces musiques populaires, Bartók a échappé à tout système harmonique clos. Il est vain de tenter de dissocier chez lui rythme et harmonie, son art étant fait de leur parfaite association. De ce fait, sa démarche de compositeur s'oppose à la conception romantique qui a attribué une si grande importance à l'invention thématique, prétendant chercher l'individuel dans toute chose. Bartók avait compris « à quel point la musique populaire est le contraire d'un art personnel, à quel point, de par son essence même, toutes ses manifestations sont collectives ».

   Progressivement, Bartók a réussi une synthèse unique entre modalité et tonalité, chromatisme et diatonisme. À l'examen attentif, on décèle une ambiguïté entre la liberté harmonique de ses œuvres et la présence de dissonances non annoncées ni résolues. Le dualisme majeur-mineur est dépassé dans la mesure où l'ordre modal de la chanson archaïque, violemment diatonique, n'est pas gommé par l'accumulation des éléments chromatiques. Les œuvres essentielles de Bartók laissent percevoir des pôles de toniques et de dominantes qui les organisent en dehors de toute rhétorique hiérarchisée, d'ordre traditionnel ou dodécaphonique. Les intervalles utilisés acquièrent une certaine autonomie, et, comme dans la chanson populaire, septième aussi bien que tierce ou quinte se présentent comme naturelles. Les proportions temporelles de ses œuvres de la maturité, s'appliquant aux harmonies comme aux rythmes, sont conformes aux propositions issues du nombre d'or. Ernö Lendvai a même démontré que les rapports entre chromatisme et diatonisme ou l'utilisation du pentatonisme lydien, dorien, etc., peuvent être considérés comme la preuve d'un travail extrêmement original et personnel lié à la section d'or.

   La complexité formelle de l'art de Bartók est telle qu'il ne peut y avoir de néo– ou postbartokisme. Les nombreux compositeurs contemporains, qui ont subi l'influence de Bartók, se sont ordinairement limités à puiser dans la thématique de la chanson paysanne, sans s'astreindre au véritable travail de recréation auquel s'était soumis, puis par lequel s'était totalement exprimé leur maître à penser. L'universalisme du message bartokien montre que ce musicien a réussi à transcender l'origine même de ses sources.