Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
B

baylero

Chant du bayle « valet », en langue d'oc.

Dialogue chanté, en partie improvisé autour de certaines notes invariables de la mélodie, échangé par les bergers de haute Auvergne se répondant d'un sommet à un autre. Joseph Canteloube a baptisé bailèro la première pièce de ses Chants d'Auvergne ; la mélopée chantée et le climat orchestral y évoquent un paysage immense et triste.

Bayreuth

Petite ville de Haute-Franconie dans le nord de l'État de Bavière, célèbre pour son festival exclusivement consacré aux œuvres de Richard Wagner.

Provisoirement banni de Bavière en 1865, las des intrigues de cour et de la surveillance jalouse que son protecteur Louis II exerçait sur lui, Wagner renonça au projet, lancé en 1864 par ce souverain, de construire à Munich un théâtre destiné aux représentations de l'Anneau du Nibelung, mais non à ce rêve, qu'il caressait depuis longtemps, d'un théâtre bien à lui, où ses œuvres pourraient être jouées d'une manière parfaite. Il se mit en quête. Bayreuth retint son attention : il s'y dressait un théâtre, l'opéra des Margraves, à l'acoustique réputée et dont la scène était l'une des plus vastes d'Allemagne. À l'examen, cet édifice, qu'il visita en avril 1871, ne lui convint pas. Mais la compréhension qu'il rencontra à Bayreuth le décida : c'est là qu'il édifierait son théâtre des festivals (Festspielhaus), spécialement destiné à servir de cadre aux représentations solennelles de l'Anneau, œuvre dont les dimensions et le caractère exigeaient, selon lui, des conditions d'exécution totalement différentes de celles d'un opéra traditionnel.

   L'ambitieux projet de Wagner était celui d'une véritable école où les interprètes, par le biais de l'étude de ses ouvrages, apprendraient les fondements du théâtre lyrique moderne : avènement d'acteurs-chanteurs se substituant aux « gosiers » sacrifiant tout à « la » note, restauration de la conception initiatique du spectacle que Wagner croyait déceler dans la tragédie grecque.

   C'est dans cette perspective que, reprenant les principes qu'en accord avec lui l'architecte Gottfried Semper avait posés pour le projet de Munich, Wagner conçut un bâtiment aux caractéristiques révolutionnaires (quoique inspirées, pour certains traits, du théâtre de Riga où il avait travaillé dans sa jeunesse) : une salle d'environ 1 800 places en amphithéâtre, sans loges ni baignoires, étagée sur trente gradins, avec une visibilité parfaite pour tous les spectateurs ; un orchestre profondément enfoncé dans une fosse de six gradins, recouverte aux trois quarts par deux auvents de bois mince dont l'un, du côté de la scène, fait office de proscenium, créant une fausse perspective qui trompe le spectateur sur la taille réelle des décors et même des personnages.

   Le fait de cacher l'orchestre répondait à deux préoccupations : d'abord, en supprimant cette source de lumière qui d'ordinaire s'interpose entre le public et le plateau, concentrer l'attention du spectateur sur le déroulement scénique ; ensuite, obtenir un son d'orchestre décanté, limpide, mal localisé, presque mystérieux, qui, jaillissant de l'invisible « abîme mystique », enveloppe idéalement les voix sans les masquer. À l'atmosphère sérieuse, fervente, ainsi recherchée, contribuent également l'austérité de la salle, sans dorure, sans ornement (elle était d'ailleurs considérée par Wagner comme provisoire ; les fonds disponibles avaient été utilisés en priorité pour créer un équipement scénique parfait, considéré, lui, comme définitif), l'inconfort des rudimentaires sièges de bois et le fait, nouveau pour l'époque, que la salle était plongée dans l'obscurité durant les représentations.

   L'école ne vit pas le jour, mais, dans l'édifice bâti grâce à la vente de cartes de patronage et, surtout, à une ultime et décisive aide de Louis II, le rideau se leva sur l'Or du Rhin, inaugurant un Anneau du Nibelung complet, en août 1876. L'événement, à la fois politique et artistique ­ Guillaume II et l'empereur du Brésil y côtoyaient Liszt, Bruckner, Tolstoï, Saint-Saëns, Tchaïkovski ­, connut un succès rendu relatif par le déficit, qui interdit d'annoncer la date du festival suivant, et par l'indifférence du public d'opéra traditionnel. Le wagnérisme, pourtant, s'institutionnalisa cette année-là ; Nietzsche, voyant son ami accaparé par les associations « d'amateurs de bière, de peaux de bête et de Wagner », fuit Bayreuth à l'arrivée des premiers « pèlerins ».

   Six ans plus tard, la création de Parsifal (1882) fut accueillie avec déférence ; mais la mort de Wagner (1883) menaça la survie de Bayreuth. Parsifal fut joué en 1883 et 1884, mais des festivals isolés, arrachés au destin, n'avaient créé ni une habitude ni une tradition. Cosima Wagner décida alors d'assumer l'héritage. Entourée d'une extraordinaire équipe de chefs d'orchestre (Hans Richter, Hermann Levi, Felix Mottl), elle présenta à tour de rôle l'ensemble des œuvres principales du maître, du Vaisseau fantôme à Parsifal. Avec l'aide de son fils Siegfried (1869-1930) et d'un conseiller musical, Julius Kniese, elle fit de Bayreuth une institution où, conception radicalement neuve, mise en scène et chant comptaient autant l'un que l'autre. Longtemps, on accusa Cosima d'avoir favorisé la naissance d'une « race de hurleurs » (B. Shaw). Mais de grandes voix, comme Rosa Sucher, étaient alors aussi rares qu'aujourd'hui. Il est vrai cependant que Cosima, qui estimait honorer les chanteurs en les engageant et les payait fort peu (pratique qui s'est maintenue à Bayreuth jusqu'à nos jours), ne craignit jamais de sacrifier la beauté vocale sur l'autel de l'articulation « wagnérienne » obligatoire qu'elle avait instituée, déclamation inspirée du théâtre parlé. Soumis à ce style dont ils ne pouvaient enfreindre la moindre règle sous peine d'expulsion, les vedettes du Bayreuth de l'époque, Erick Schmedes, Ernest Van Dyck, Theodor Bertram, Ellen Gulbranson, purent sembler au public des voix moins « belles » que leurs rivaux Leo Slezak, Jacques Urlus, Emil Fischer, Lillian Nordica, Felia Litvinne, qui chantaient librement Wagner dans les autres théâtres. Assurément, l'intégrité de la fidélité de Cosima à certaines volontés réelles, ou supposées, de Wagner ôta aux chanteurs toute spontanéité, toute imagination, et supprima sur le plan scénique toute possibilité d'innovation.

   En 1907, Cosima abandonna la direction du festival à Siegfried. Celui-ci se contenta, jusqu'à la guerre, de maintenir les méthodes instaurées par sa mère. Après le conflit, il eut grand mérite à réunir les fonds nécessaires pour la reprise, qui eut lieu en 1924. Cette période se caractérise par la création d'une régie des éclairages, la simplification des décors et l'utilisation de projections, un style plus naturaliste et psychologique dans la direction d'acteurs, bref, un heureux compromis entre les théories d'Appia, que Cosima avait formellement rejetées et qu'il n'osa suivre totalement, et la tradition. Des chefs comme Karl Muck et Michael Balling, des chanteurs comme Nanny Larsen-Todsen et le chef des chœurs Hugo Rüdel l'aidèrent à maintenir une haute qualité musicale et vocale. Les nouvelles productions de Tristan et Isolde (1927) et Tannhäuser (1930), qu'il mit en scène, furent critiquées par les passéistes, mais furent dans l'ensemble très admirées. Siegfried mourut en 1930, laissant à sa femme Winifred (1897-1979), depuis longtemps son assistante, un festival d'une tenue exemplaire, où pourrait briller la nouvelle génération de chanteurs wagnériens exceptionnels qui atteignait alors son apogée : Frida Leider, Alexander Kipnis, Friedrich Schorr, Lauritz Melchior, Lotte Lehmann, Emanuel List.

   Or, Bayreuth allait beaucoup changer. À mesure que l'Allemagne tombait sous la coupe du national-socialisme, de très nombreux artistes, imitant Toscanini dont la rupture avec Bayreuth (1933) fut éclatante, prenaient le chemin de l'exil. On ne trouva bientôt plus au festival que des chefs appréciés ou tolérés par le régime (Karl Elmendorff, Franz von Hoesslin, Wilhelm Furtwängler) et des chanteurs « protégés » : Max Lorenz, Franz Völker, Maria Müller, Margarete Klose, Jaro Prohaska, Ludwig Hofmann, Josef von Manowarda, Rudolf Bockelmann. Tous étaient au demeurant de remarquables acteurs-chanteurs, membres pour la plupart de l'opéra de Berlin dont le directeur, le chef d'orchestre et metteur en scène Heinz Tietjen (1881-1967), assura à partir de 1933 la direction artistique du festival. Avec l'aide du décorateur Emil Preetorius et du chef éclairagiste Paul Eberhardt, Tietjen créa un monde de symboles, d'archétypes, plus proche des réalisations ultérieures de Wieland et Wolfgang Wagner que du style de Siegfried. Toutefois, à travers cette forme nouvelle, Tietjen présenta un « message » de plus en plus ouvertement nationaliste. Hitler lui-même demeura relativement discret en raison de la sympathie aveugle, mais sincère, que lui vouait Winifred… mais Bayreuth était bel et bien devenu un temple culturel nazi, et si Germaine Lubin se flatte d'y avoir chanté Isolde en 1939, une Kirsten Flagstad préféra rejoindre au Metropolitan de New York tous les grands chanteurs exilés.

   La guerre limita l'activité du festival, l'écroulement du Reich l'interrompit en 1944. Touchée par la dénazification, Winifred dut céder la direction à deux de ses enfants, Wieland (1917-1966) et Wolfgang (1919). En 1951, le théâtre rouvrit ses portes. Une production, mise en scène par Wieland, de Parsifal, qui fit scandale avant de devenir unanimement admirée au fil des années, inaugurait l'ère du « nouveau Bayreuth ». Les deux frères s'attachèrent à définir un style de scénographie systématiquement épuré, jouant de la lumière et de la couleur pour fouiller le sens profond des œuvres. Wieland se montra symboliste et rigoureux, Wolfgang plus humain, plus coloré. Les productions les plus remarquées furent celles de Wieland (Tristan et Isolde, 1952 et 1962 ; les Maîtres chanteurs, 1956 ; l'Anneau du Nibelung, 1965) ; elles furent à leur tour violemment combattues par les passéistes, mais vite admises et même saluées comme des exemples, des jalons dans l'histoire du théâtre ; ces visions décapantes amorçaient une réflexion idéologique qui allait bien au-delà du simple renouvellement de style. Un tel travail, décisif pour l'avenir de l'art lyrique, ne fut possible qu'avec la fidèle collaboration des chefs d'orchestre Hans Knappertsbusch, Wolfgang Sawallisch, Karl Böhm, André Cluytens, Josef Keilberth, Rudolf Kempe, des chanteurs Wolfgang Windgassen Hans Hotter, Leonie Rysanek, Gustav Neidlinger, Josef Greindl, Astrid Varnay, Martha Mödl, Birgit Nilsson, Anja Silja, et du chef des chœurs Wilhelm Pitz.

   Wieland mourut en 1966, année où, appelé par lui, Pierre Boulez dirigeait son premier Parsifal. Wolfgang a, depuis, assumé seul la responsabilité suprême. Brisant heureusement le rêve de certains de transformer Bayreuth en « musée Wieland », il a, tout en poursuivant ses propres recherches, ouvert le Festspielhaus à des metteurs en scène aussi divers qu'August Everding (le Vaisseau fantôme, 1969 ; Tristan et Isolde, 1974), Götz Friedrich (Tannhäuser, 1972 ; Lohengrin, 1979), Patrice Chéreau (l'Anneau du Nibelung, 1976), Harry Küpfer (le Vaisseau fantôme, 1978 ; Parsifal, 1982). En même temps, il a renouvelé les distributions en appelant des chanteurs (René Kollo, Peter Hofmann, Gwyneth Jones, Franz Mazura, Heinz Zednick) ne répondant pas aux critères de puissance vocale que l'on associait au chant wagnérien depuis quelques dizaines d'années, mais capables d'affronter les exigences actuelles de la recherche et de la sincérité théâtrales. Ainsi Bayreuth demeure-t-il, comme à ses origines, un lieu d'avant-garde, un phare du théâtre contemporain. Wolfgang a confié à Norbert Balatsch la difficile succession de Wilhelm Pitz, à la tête des chœurs (qui sont une élite recrutée essentiellement dans les théâtres allemands, ainsi qu'à l'étranger), et mis l'orchestre (qui est une sélection de musiciens des orchestres d'opéra et de radio des deux Allemagnes) entre les mains de personnalités aussi exigeantes et aux conceptions wagnériennes aussi peu sclérosées que Pierre Boulez, Carlos Kleiber, Colin Davis ou Silvio Varviso. Wolfang, en accord avec sa mère, a définitivement assuré l'avenir du festival en suscitant la création, en 1973, d'une Fondation Richard Wagner (Richard Wagner Stiftung Bayreuth), qui, légataire des biens matériels et spirituels de la famille Wagner, est chargée de les gérer. Cette fondation regroupe la République fédérale d'Allemagne, l'État de Bavière, la Fondation régionale bavaroise, le district de Haute-Franconie, la Fondation de Haute-Franconie, la ville de Bayreuth, la Société des amis de Bayreuth et les membres de la famille Wagner. Il a, enfin, développé les Rencontres internationales pour la jeunesse, nées en 1951, qui organisent, parallèlement au festival, des séminaires, des conférences, des ateliers de jeunes interprètes.

   Le succès du doyen des festivals ne se dément pas et s'est élargi aux dimensions du monde grâce à une intelligente collaboration avec la radio, le disque et, plus récemment, l'audiovisuel.