Eggebrecht (Hans Heinrich)
Musicologue allemand (Dresde 1919 – ? 1999).
Successeur de W. Gürlitt à la chaire de musicologie de Fribourg, il s'est spécialisé dans la terminologie musicale (Studien zur musikalischen Terminologie, 1955), et a dirigé à ce titre la partie « termes musicaux (Sachteil) de la dernière édition du dictionnaire de Riemann. Il a écrit notamment Heinrich Schütz Musicus Poeticus (1959), Die Geschichte der Beethoven Rezeption (1972), Die Musik Gustav Mahlers (1982) et Bachs Kunst der Fuge – Erscheinung und Deutung (1985).
Egidius (Magister de Aurelianis)
Théologien et compositeur français (Orléans v. 1340 – Avignon v. 1400).
Il fit ses études en Allemagne, en Italie et à Paris. En 1379, il fut reçu docteur en théologie et se fixa dans l'entourage du pape Clément VII qu'il suivit en Avignon. Ayant rempli des missions d'ambassade en 1379, 1385 et 1393, Egidius, après la mort de Clément VII en 1394, resta au service de son successeur Benoît XIII. C'est en Avignon qu'il semble s'être intéressé à la composition. Plus jeune que les musiciens de l'Ars nova Philippe de Vitry et Guillaume de Machaut, Egidius a signé des œuvres polyphoniques aux mélodies élégantes, mais aux rythmes subtils caractéristiques des musiciens de la période entre Machaut et Dufay (Ars subtilior). On lui doit des ballades et un motet isorythmique à 4 voix. L'une des ballades est dédiée à Clément VII ; une autre, au duc de Berry à l'occasion de la visite de ce dernier au pape en 1389, avec sa fiancée Jeanne de Boulogne.
Egk (Werner)
Compositeur allemand (Auchsesheim, près d'Augsbourg, 1901 – Inning-am-Ammersee, Bavière, 1983).
Il a fait ses études musicales à Francfort-sur-le-Main, puis à Munich avec Carl Orff. Nommé chef d'orchestre à la radio bavaroise, il s'est établi à Munich en 1929. Il a été ensuite chef à la Staatsoper de Berlin de 1937 à 1941, directeur de l'école supérieure de musique de cette ville de 1950 à 1953, et président de l'Union des compositeurs allemands et de la Société allemande des auteurs et éditeurs de musique à partir de 1950. Il s'est établi en 1953 à Lochham, près de Munich. Mêlé jeune aux mouvements d'avant-garde de la musique allemande, il a été influencé par Stravinski et par l'école française de l'entre-deux-guerres (Suite française d'après Rameau, 1949). D'une façon générale, sa musique est d'un « modernisme » mesuré, sans pouvoir être qualifiée de « néoclassique ». Soucieux d'un langage expressif et immédiatement assimilable, il a su se conquérir un grand public sans faire des concessions qui seraient allées contre sa nature. Son tempérament et ses dons l'ont poussé à consacrer l'essentiel de son travail de créateur au théâtre. Ses principales partitions sont des œuvres lyriques : Columbus (1932), Die Zaubergeige (le Violon enchanté, 1935), Peer Gynt (1938), Circle (1945, rév. 1966), Irische Legende (« Légende irlandaise », 1955, rév. 1970), œuvre pathétique admirable à reflets autobiographiques, le Revizor d'après Gogol (1957), où la musique épouse parfaitement le comique du texte et des situations, Die Verlobung in San Domingo d'après Kleist (1963). Il faut aussi mentionner des grands ballets : Joan de Zarissa, créé à Berlin en 1940 et que Lifar a présenté à Paris en 1942, Abraxas, que Janine Charrat a créé à Munich en 1948, la Tentation de saint Antoine (1947, rév. 1952), Casanova in London (1969).
Egorov (Youri)
Pianiste russe naturalisé néerlandais (Kazan 1954 – Amsterdam 1988).
Il étudie le piano au Conservatoire de Kazan. En 1971, il est lauréat du concours Long-Thibaud et entre au Conservatoire de Moscou. Distingué lors des Concours Tchaïkovski à Moscou et Reine Élisabeth à Bruxelles, il commence en 1978 ses grandes tournées internationales avec des débuts retentissants à New York et à Chicago, ainsi que de nombreux concerts en Hollande en particulier avec l'orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam. En 1980, il fait ses débuts en Angleterre (un concert mémorable au Queen Elisabeth Hall) et en Allemagne. En 1981, il donne son premier récital en France, au Festival international de piano de La Roque-d'Anthéron. Après ce brillant début de carrière, il est emporté par la maladie, à l'âge de trente-trois ans.
Égypte
On connaît la vie musicale de l'Égypte antique par les sculptures et peintures ornant les tombeaux ou les temples, par des inscriptions dont le déchiffrage révèle des noms d'artistes et d'instruments et par quelques instruments en très bon état de conservation dispersés dans quelques musées. Par contre, aucun document ne permet de connaître les théories musicales ou la nature des mélodies ; mais on suppose qu'il s'est agi d'une musique modale heptatonique.
La musique religieuse a évolué avec les dynasties successives. Elle semble avoir débuté dans un rituel vocal confié à un grand-prêtre, à des lecteurs et à des récitants ou choristes, avant d'être illustrée par des musiciennes de temples dotées de cistres, puis par des musiciens de cour munis de harpes, pandores et diverses flûtes. La musique profane a été progressivement le lot d'hommes chanteurs ou danseurs, puis de femmes, tandis que les choristes ou les instruments d'accompagnement se multipliaient avec les siècles. La musique militaire a reposé sur des trompettes et des tambours.
Les instruments de l'Égypte la plus archaïque sont des idiophones comme les cymbales, les clochettes, les crotales, les ménat-s ou divers bâtons de scansion, puis quelques tambours. Les flûtes et clarinettes sont présentes sur des scènes de l'Ancien Empire. Une trompette est représentée sur la tombe de Toutankhamon. Le luth, d'origine asiatique, apparaît avec la XVIIIe dynastie et prolifère, tandis que la lyre semble d'introduction relativement tardive. L'instrument privilégié et constant, attesté dès l'Ancien Empire, est la harpe, dont les variantes sont nombreuses (de la « harpe d'épaule » à la grande harpe, de quatre à dix-huit cordes). Un orgue naît au IIIe siècle av. J.-C.
Avec les premiers siècles de l'ère chrétienne se développent en Égypte un folklore et une liturgie « coptes » reposant sur des modes musicaux répertoriés. On y retrouverait des vestiges pharaoniques, grecs et antiochiens tandis que le folklore copte va disparaître progressivement de la Basse-Égypte. On en décèlerait encore les traces en Haute-Égypte.
Au VIIe siècle, l'essor de l'islam atteint rapidement l'Égypte avec ses corollaires : arabisation et islamisation. D'où une disparition progressive de la langue copte interdite au Xe siècle, même dans la liturgie. Cependant, les coptes se convertissent massivement à l'islam en vue d'échapper aux impôts qui frappent les non-musulmans.
Il est difficile d'apprécier l'impact sur l'Égypte des traités savants de musique élaborés en Iraq et dans le Croissant fertile du VIIIe au XIIIe siècle durant la période des califes abbassides. Avec le règne des Fatimides, l'Égypte connaît un apogée médiéval marqué par les traités de musique d'Ibn al-Haitham (XIe s.) et d'Abu l-Salt Umaiya (XIIe s.). Au XVIe siècle, la domination ottomane fait de l'Égypte une province vassalisée réduite à l'empirisme et aux arts locaux.
Le muwachchah, genre poético-lyrique arabe, y aurait été introduit par des musiciens syriens à la fin du XVIIe siècle, mais les observateurs européens du XVIIIe siècle Volney et Villoteau donnent un compte rendu pessimiste d'une activité musicale sans traités savants et confiée à des musiciens méprisés et illettrés. Au XIXe siècle, des traditions orales cloisonnées perpétuent médiocrement diverses musiques au sein de sociétés, de communautés religieuses ou de confréries mystiques (derviches), et d'ethnies des villes ou des campagnes sans aucun échange culturel. Des corporations de musiciens professionnels répartis en groupes masculins ou féminins vont divertir des publics séparés d'hommes ou de femmes à l'occasion des fêtes. Dans ces conditions, on comprend que l'introduction, en 1834, par Méhémet-Ali, de fanfares militaires calquées sur le modèle européen impressionne le peuple de l'Égypte.
Avec le régime des khédives (1867), l'inauguration du canal de Suez et la première représentation d'Aïda de Verdi (1871), qui mobilise des ensembles militaires, des trompettistes et trois cents musiciens, s'éveille en Égypte au sein des classes moyennes urbaines un sens national arabe fortement marqué par l'idéal technique européen. On ressort les traités musicaux savants de l'islam médiéval et on découvre qu'ils sont inapplicables à ce qui reste de « musique arabe ».
Il faut donc pratiquer une « transfusion » modale et technique à partir de musiques orientales moins délabrées. L'artiste Abdu al-Hammûlî (1845-1901), qui accompagne fréquemment le khédive lors de ses voyages à Istanbul, rapporte dans ses bagages des modes orientaux (maqâm-s) et des ouvrages sophistiqués. Des Égyptiens vont étudier la musique en Europe tandis que des artistes syriens s'établissent en Égypte. Ainsi se forme la première pléiade de musiciens fameux en Égypte avec les Syriens Abû Khalîl al-Qabbânî (1841-1902), Antûn al-Chawwâ (puis son fils Sâmî), Alî Darwîch (1884-1952), et les Égyptiens Salâma Hijâzî (1852-1917), Dawûd Husnî (1871-1937), Kâmil al-Khulâ,î (1879-1938), Mansûr Awad et la chanteuse Almaz (1860-1896), solistes, compositeurs ou créateurs d'écoles de musique à la jonction du XIXe et du XXe siècle. Khulâ,î, dans son Kitâb al-mûsîqâ al-charqî (Livre de la musique orientale, Le Caire, 1904), reprend les théories de la musique arabe et les principes de la technique du ûd tels qu'ils vont désormais être adoptés dans l'ensemble du monde arabe ; c'est-à-dire exprimés sur portées et en termes occidentaux comme pour mieux se confronter aux manuels européens et aux pianos qui envahissent la bonne société orientale déjà fort marquée par l'hybridation artistique avant de sombrer dans le culte de l'harmonie ou de la polyphonie orchestrées. Depuis lors on enseigne la technique des instruments traditionnels savants, ûd (luth à manche court), qânûn (cithare psaltérion), nây (flûte oblique), sur des méthodes éditées et dans des instituts où le piano et le violon sont également enseignés.
Le XXe siècle est marqué par une révolution liée aux media qui va assurer à l'Égypte une suprématie quasi totale sur le monde arabe en matière de consommation musicale. Dès le début du siècle apparaissent les premiers cylindres et disques, qui vont obliger les interprètes à transformer les interminables formes traditionnelles en condensés de quelques minutes et qui vont faire surgir de la collectivité des choristes et instrumentistes de toutes-puissantes vedettes de la chanson. D'où un déséquilibre au profit de la voix solo charmeuse, devenue à la fois idole et meneuse. Parallèlement, une industrie du spectacle reprend les anciennes formes savantes, dont le muwachchah et son intermède le plus facile, le dawr, et les agrémente d'interludes irano-turcs importés, le bachraf ou le sama,î, qu'elle confie à des instrumentistes réduits au rôle d'accompagnateurs, et monte des grands récitals destinés à assurer le triomphe d'une seule vedette de la chanson.
Une nouvelle pléiade de vedettes omnipotentes s'annonce. Sayyid Darwîch (1892-1923) puise dans le patrimoine populaire et séduit les citadins sur des compositions irrésistibles avant de mourir prématurément. Nés avec le siècle et plébiscités avec les media, Umm Kulthûm (1899-1975) et Muhammad Abd al-Wahhâb (né en 1902), pourvus de voix magnifiques, vont dominer la totalité du monde arabe grâce au disque, au cinéma sonore, à la radio et à la télévision. Afin de percer dans une société qui confond chanteuse et entraîneuse, Umm Kulthûm, à ses débuts, s'habille en garçon et chante le Coran avant de triompher au Caire de toutes ses rivales, pour régner sans partage sur l'Égypte jusqu'à sa mort. Qualifié parfois de renaissance (nahda) dans les milieux égyptiens, cet essor de la chanson en Égypte est aussi tributaire de poètes, de compositeurs comme Muhammad Kasabjî (1892-1966), Riyâd Sumbâtî, Balîgh Hamdî, et d'autres vedettes comme les chanteuses Asmahân et Suâd Muhammad ou les chanteurs Abdal-Halîm Hafiz et Farîd al-Atrach.
Au summum de leur carrière, la plupart de ces vedettes, trop sûres de leur pouvoir décuplé par la télévision qui projette leur visage et leur voix au sein des familles et impressionne ainsi des enfants très vulnérables, en viennent aux effets démagogiques et aux hybridations. En cinquante ans de renaissance, ce mouvement a dénaturé les formes poétiques et les modes (maqâm-s) souvent millénaires en abrégeant ou en enfilant bout à bout des genres et des modes sans aucun respect de l'esthétique poétique ou musicale. Il a introduit des accordéons, guitares électriques et orgues électroniques dans des ensembles instrumentaux au nom d'un progrès qui relève plutôt du désir d'exploiter systématiquement l'émoi (tarab) d'un public naïf. Ce mouvement est donc de plus en plus contesté dans le monde arabe et ailleurs.
En arrière-plan de cette oligarchie abusive, on trouve en Égypte nombre de musiciens bien formés et désireux de restaurer ce qui reste des traditions musicales. De nombreux ensembles musicaux officiels ou privés perpétuent les formes savantes. Les groupes populaires avec leurs rabâba (vièle à pique en Égypte), mizmar (hautbois), arghûl (clarinette), darabuka (tambour-calice), tabl (grosse caisse) et leurs chanteurs animent les fêtes et les noces. Enfin, les conteurs, chansonniers et troubadours perpétuent un humour inextinguible et inséparable de la vie sociale en Égypte.
En dépit de l'absence de documents sur la musique antique et du caractère hétérogène des musiques populaires contemporaines, de nombreux Égyptiens revendiquent la continuité de leur culture musicale et minimisent l'emprise de la « musique arabe ».