Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
C

Concert spirituel

Entreprise de concerts publics fondée en 1725 à Paris par Anne Danican Philidor et qui poursuivit ses activités jusqu'au 13 mai 1790, totalisant près de 1 300 manifestations.

Au début, on y entendit beaucoup de motets de Lalande, mais le répertoire tant vocal qu'instrumental et tant français qu'étranger évolua avec le temps : de la fin des années 1730 au début des années 1760, il fit une large place à Mondonville, et, à partir de 1777, il fut de plus en plus dominé par les symphonies de Haydn. Le Concert spirituel servit de modèle et d'exemple à plusieurs institutions semblables nées en Europe dans le courant du siècle (concerts Bach-Abel à Londres, concerts du Gewandhaus à Leipzig), et pour un instrumentiste ou un chanteur, y débuter était un événement important. La direction fut assurée par Philidor jusqu'en 1727, puis le privilège passa à Pierre Smart et Jean-Joseph Mouret (1728-1733), à l'Académie royale de musique (1734-1748), à Pancrace Royer et Gabriel Capperan (1748-1762, à ceci près qu'en 1755 Royer fut remplacé par sa veuve), à Antoine Dauvergne, Gabriel Capperan et Nicolas-André Joliveau (1762-1771), à Antoine Dauvergne et Pierre Montan Berton (1771-1773), à Pierre Gaviniès, Simon Leduc et François-Joseph Gossec (1773-1777), et enfin à Joseph Legros (1777-1790). Les concerts eurent lieu jusqu'en avril 1784 dans les salles des Suisses (ou des Cent-Suisses) du palais des Tuileries, puis dans la salle des Machines (occupée de 1770 à 1782 par la Comédie-Française) du même palais. Au dernier concert dans l'ancienne salle (13 avril 1784), on programme exprès, sous le titre de « Symphonie où l'on s'en va », la Symphonie des Adieux (no 45 en fa dièse mineur, composée en 1772) de Haydn. À partir du 24 décembre 1789, la famille royale s'étant installée aux Tuileries, les concerts furent organisés en divers autres lieux.

concertato

Mot italien généralement accolé au mot stile (en fr. style concertant) et employé à la fin du XVIe siècle pour désigner le style alors nouveau dans lequel voix et instruments alternaient par groupes au lieu de se mêler de façon uniforme tout au long de la pièce.

Par extension, le terme fut employé jusqu'au XVIIIe siècle pour désigner le style d'alternance entre divers groupes d'instruments tel qu'il apparut notamment dans le concerto et le concerto grosso. Dans l'opéra italien ancien, on l'utilise quand tous les personnages chantent ensemble.

Concertgebouw

Mot néerlandais signifiant « bâtiment de concert », l'édifice portant ce nom étant situé à Amsterdam.

La grande salle du Concertgebouw a été inaugurée le 3 novembre 1888 ; depuis cette date, l'Orchestre du Concertgebouw (devenu en 1988 Orchestre royal du Concertgebouw) n'a eu que cinq directeurs : Willem Kes (jusqu'en 1895), Willem Mengelberg (1895-1945), Eduard Van Beinum (1945-1959), Bernard Haitink (1961-1988) et Riccardo Chailly (depuis 1988). Parmi les chefs associés et premiers chefs, on relève les noms de Pierre Monteux (1925-1934), Eugen Jochum (1961-1964) et Kirill Kondrachine (1979-1981). Depuis Mengelberg, l'orchestre possède une très forte tradition mahlérienne, entretenue surtout par Haitink.

concertina

Sorte d'accordéon dont l'invention par le physicien anglais sir Charles Wheatstone (1829) semble avoir précédé de peu celle de l'accordéon proprement dit. Il s'en distingue par sa forme hexagonale, ses dimensions qui sont restées petites, l'extension beaucoup plus grande de son soufflet, le petit nombre de ses touches grâce au système diatonique (une note en tirant, une autre en poussant), et surtout sa pure sonorité. Hors de son pays d'origine, où des ensembles de concertinas, généralement féminins, participent encore à certains offices religieux, cet instrument fait toujours partie de l'attirail des « clowns musicaux » dans le monde entier.

concertino

Diminutif de concerto, soit au sens propre « petit concert ».

Ce terme désigne, au XVIIIe siècle, un petit groupe d'instruments solistes chargé de dialoguer avec le ripieno (« plein ») ou orchestre proprement dit dans le concerto grosso. L'ensemble concertino + ripieno formait le tutti ou « grand concert » (concerto grosso), qui a laissé son nom au genre. Le concerto de soliste, appelé aujourd'hui concerto tout court, ne fut d'abord qu'une variante du concerto grosso, celle où le concertino était représenté par un seul instrumentiste, puis il supplanta complètement le concerto grosso au XIXe siècle. Dans le peu qui en subsista (Beethoven, Brahms), on cessa de parler de concertino et la partie correspondante fut considérée au contraire comme une amplification du soliste (doubles ou triples concertos), consacrant ainsi le transfert du rôle principal du groupe au soliste dans l'esprit individualiste du romantisme.

   Au XXe siècle, le terme concertino est parfois employé comme simple diminutif, désignant soit un concerto, soit un concert c'est-à-dire un morceau d'orchestre, de dimension plus réduite et d'effectif moins important que le concerto ou le concert normal.

concerto

Genre musical faisant dialoguer un soliste instrumental (plus rarement 2 ou 3) avec une formation instrumentale ou un orchestre, et les confrontant de manière à mettre en valeur l'expression et la virtuosité du ou des solistes, avec des épisodes en solo où ceux-ci font briller leurs ressources (notamment dans des « cadences » de style improvisé).

La plupart des grands concertos du répertoire, depuis le XVIIIe siècle, sont pour piano et orchestre, et, secondairement, pour violon et orchestre, mais on en trouve aussi pour violoncelle, flûte, hautbois, basson, cor, alto, contrebasse, harpe, claviers divers (clavecin, positif d'orgue), bref, pour tous les instruments, y compris la percussion (Milhaud), l'harmonica (Wiener), l'accordéon, le saxophone, le trombone, le tuba, etc.

   Il existe aussi des « doubles concertos » (par exemple, pour violon et violoncelle, de Brahms), dits parfois « symphonies concertantes » (comme celle de Mozart, pour violon et alto) et des « triples concertos » (de Beethoven, pour piano, violon et violoncelle). Le concerto grosso, genre propre à l'époque baroque, faisait dialoguer avec le tutti instrumental, non un ou des solistes indépendants, mais un petit ensemble de solistes, ou « concertino », pris dans cet orchestre.

   Genre plus ancien que la symphonie, au sens moderne, le concerto a beaucoup évolué dans sa forme, et c'est au XVIIIe siècle qu'il a trouvé sa coupe « classique » en 3 mouvements (vif-lent-vif, plan de l'ouverture à l'italienne) et la forme propre à chaque mouvement : forme sonate bithématique pour l'allegro initial, forme lied ternaire A B A, ou à variations pour le mouvement lent central ; et forme rondo (parfois rondo-sonate) ou « thème et variations », pour le dernier mouvement rapide.

Une brève histoire

Le nom de concerto s'est appliqué successivement à plusieurs genres. Primitivement, un « concerto » (du lat. concertare, « se concerter », « converser », et non pas seulement « lutter », « rivaliser ») est une pièce où des voix ou des instruments dialoguent et se confrontent ; bref une musique pour ensemble, puisque toute œuvre à plusieurs voix les fait se répondre, se combiner, converser. Le compositeur italien Gastoldi publie en 1581 des concerti musicali pour formation instrumentale ad libitum.

   À la fin du XVIe siècle, le concerto da chiesa (« concerto d'église ») est une pièce pour voix accompagnée, sur un texte religieux, pouvant utiliser le double chœur (Concerti a 6/16 voci, 1587, des frères Gabrieli, Concerti ecclesiastici, de Banchieri, 1595, et Viadana, 1602, 1607). Bach lui-même appelle parfois ses cantates des concertos.

   Le concerto da camera (« concerto de chambre ») est l'équivalent profane du concerto d'église, dans un style plus léger. Alors que le concerto da chiesa est d'une écriture grave et souvent fuguée, le concerto da camera est souvent comme un madrigal accompagné d'instruments.

   Au XVIIe siècle, les expressions sinfonia, canzone, concerto sont souvent équivalentes. C'est dans ce genre de pièce instrumentale que se serait développé, vers 1750, le principe d'une différenciation entre un petit effectif de solistes, le concertino, ou coro favorito, et le grand effectif, pleno choro, appelé aussi ripieno, concerto grosso ou tutti. Ainsi serait né le genre nommé, par extension, concerto grosso, pour grand ensemble et petit ensemble sorti de son sein, genre que l'on tend souvent à considérer comme une forme archaïque, encore peu différenciée, du concerto de soliste moderne : mais cette manière de comprendre les formes du passé par référence avec celles du présent, dont elles seraient l'esquisse grossière, mérite d'être reconsidérée.

   Le concerto grosso a été inauguré sans doute par Stradella (Concertos de 1680), et continué par Corelli (12 Concertos grossos op. 6, 1714, dont le fameux Concerto pour la nuit de Noël), Georg Muffat (6 Concertos grossos, 1701) et Giuseppe Torelli (12 Concertos da camera, 1686, œuvres qui utilisent déjà la forme vif-lent-vif de l'ouverture italienne, alors que les autres peuvent en comporter 4 ou 5), et Pietro Locatelli (12 Concertos grossos, 1721). Les 6 Concerts brandebourgeois de Bach (1721) sont des concertos grossos. Déjà, en 1677, Bononcini propose un concerto grosso où le concertino est réduit à un violon solo, donc un concerto de soliste moderne.

   Les premiers concertos grossos sont pour deux ensembles de cordes (ripieno et concertino), la section de solistes étant issue du tutti comme par « mitose » cellulaire, et, de la même façon, on tend à voir dans la mise en vedette d'un soliste, au sein du concertino, la deuxième étape d'une évolution biologique. L'étude de la genèse du concerto donne souvent lieu à ces interprétations « finalistes », qui présentent le concerto de soliste comme la forme achevée d'un processus de différenciation, à partir d'un chaos instrumental primitif. Il faut alors rappeler que le modèle du concerto de soliste était présent à l'état latent dans toute la musique vocale de monodie accompagnée (également dans la littérature d'orgue), et qu'il n'avait besoin que d'être transposé au domaine purement instrumental. On reparlera plus loin de ces origines vocales du concerto de solistes. Au reste, la généalogie du concerto, éminemment « impure », faite de croisements, est de celles qui peuvent embarrasser le musicologue, s'il y cherche une progression linéaire.

   On constate donc un certain parallélisme dans la mise en vedette des chanteurs solistes (castrats et prime donne) et celle des solistes instrumentaux, avec le perfectionnement de la lutherie et de la technique d'exécution, au sein notamment de l'école italienne. Les œuvres de Tomaso Albinoni (36 concertos de violon à 5, concertos pour trompette, flûte, hautbois, etc.) et surtout d'Antonio Vivaldi (plus de 200 concertos pour violon, dont les Quatre Saisons, et un grand nombre d'autres ­ 300 environ ­ pour tous les autres instruments imaginables, sauf précisément le clavecin : 27 pour violoncelle, 20 pour hautbois, 39 pour basson, 15 pour flûte traversière, etc.) fixent la forme du concerto baroque en 3 mouvements vif-lent-vif, avec un certain type de dialogue entre le soliste et le tutti.

   Comme la plupart des œuvres de l'époque, ces concertos sont publiés par séries, par livraisons, et ne prétendent pas être chacun une œuvre unique. Le canevas est presque toujours le même : un allegro à un thème, où le tutti répète une sorte de ritournelle, entre laquelle le soliste place ses interventions consistant souvent en traits de virtuosité sans identité thématique ; un mouvement lent et chantant directement inspiré de l'aria vocale ; un allegro à ritournelle d'une forme assez semblable à celle du premier mouvement. L'alternance entre solo et tutti est très serrée, surtout chez Vivaldi, mais pas aussi codifiée que dans le concerto classique.

   En France, Michel Mascitti, Joseph Bodin de Boismortier (6 concertos pour flûte traversière), J. Aubert (6 concertos, 1734) et surtout Jean-Marie Leclair l'Aîné (6 concertos op. 7, 1737, 6 concertos op. 10, 1743) développent le genre, comme Telemann en Allemagne (plus de 100 concertos pour violon, viole, alto, flûte, hautbois, trompette, cor, etc.). Leclair aurait introduit dans l'allegro initial le principe du bithématisme (forme sonate à deux thèmes), qui devait donner naissance au moule du premier mouvement de concerto classique, mis au point et consolidé par Carl Philipp Emanuel Bach, Haydn et Mozart. Fait important : même si un Vivaldi, comme par jeu, se plaît à éprouver sur tous les instruments de son époque, de la mandoline à la viole d'amour, l'efficacité de la formule du concerto soliste, qu'il a su plus que tout autre rendre parlante, les deux cinquièmes de ses concertos publiés sont pour violon, c'est-à-dire pour un instrument issu de l'orchestre et qui peut à tout moment revenir s'y fondre.

   En effet, la formation instrumentale utilisée pour la majorité des concertos emploie les seules cordes, plus un clavecin (ou un positif d'orgue) pour le continuo. Tout instrument autre que le violon, l'alto ou le violoncelle, incorporé dans le concerto, est donc ipso facto en position de soliste ­ ce qui n'est plus le cas dans les premiers concertos pour violon de Mozart, dont l'orchestre comprend également les hautbois et les cors. Les flûtes, les trompettes et les timbales s'introduisent également dans l'orchestre du concerto à cette époque. C'est au milieu du XVIIIe siècle que le violon passe la main au clavier, et surtout au piano-forte, comme soliste de prédilection pour le concerto, tandis que l'orchestre d'accompagnement se fait plus important. Un des responsables de cette évolution a été Jean-Sébastien Bach, avec ses concertos pour un, deux, trois ou quatre claviers (écrits entre 1729 et 1736), qui seraient les premiers du genre, et qui sont pour la plupart des transcriptions de concertos pour violon de Vivaldi ou de lui-même. On pourrait penser que Bach, passant d'un instrument à l'autre, rénoverait complètement la formule : au contraire, admiratif du modèle italien (qu'il reprend aussi dans son Concerto italien, pour clavier, où l'instrument soliste fait les tutti et les solos à lui tout seul), il respecte ce moule, et s'il adapte, bien sûr, les traits violonistiques, il ne fait rien pour déguiser que le clavecin est ici un substitut du violon. Par ailleurs, le clavecin chez lui continue fidèlement de la main gauche sa fonction de continuo, tout en brillant à la main droite. Cela explique que le clavier des concertos de Bach, à part des moments de virtuosité localisés (cadence du 5e Concert brandebourgeois), est comme soudé à l'orchestre par sa main gauche, et, s'associant humblement aux tutti, n'a pas le statut de personnage autonome, maître d'œuvre, dramaturge, micro-orchestre, etc., qui est celui du piano dans les concertos de Mozart. Quant aux concertos pour orgue de Haendel, écrits pour servir d'introductions ou d'entractes à ses oratorios, ils mêlent dans un éclectisme très mondain les formes et les styles favoris à l'époque (styles français, italien, formes de suite, de passacaille) et ne cherchent pas à promouvoir un genre spécifique. Au reste, ce sont souvent des adaptations et des transcriptions de sonates ou d'autres œuvres.

   On peut imaginer que c'est l'expérience des concertos pour clavier joués en famille qui a incité les fils de Jean-Sébastien Bach (Wilhelm Friedemann, 7 concertos pour clavier, Carl Philipp Emanuel, environ 50, Jean-Chrétien, 18) à en développer le genre ­ mais on peut dire aussi qu'il s'agit d'une évolution générale, liée à l'apparition du piano-forte comme instrument expressif, et à ses progrès en nuances, en étendue, en puissance. Le XVIIIe siècle est l'âge d'or de l'innovation dans la lutherie des instruments à clavier, avec Cristofori, Silbermann, Stein. Désormais, le piano-forte peut se faire entendre par-dessus une masse instrumentale, et, avec l'allégement du continuo qu'il assure encore chez Mozart, il acquiert son autonomie, peut rentrer et sortir plus facilement. En même temps, c'est l'avènement des virtuoses du piano-forte qui dirigent l'orchestre depuis leur instrument et supplantent de plus en plus le violon à cette place d'honneur, comme chefs et meneurs de jeu. On attribue aussi à Wilhelm Friedemann et Carl Philipp Emanuel Bach le mérite d'avoir enrichi

   la forme du premier mouvement de concerto par l'apport d'un second thème, et l'adaptation du moule de la forme sonate (exposition réitérée à deux thèmes, la première fois à l'orchestre seul, la seconde fois avec le soliste ; puis développement et réexposition). Ce n'est pas la dernière fois que le concerto, genre qui tend au frivole et au mondain, va faire l'objet d'aménagements visant à le rendre plus sérieux, plus consistant, plus complexe : au reste, ces efforts porteront surtout, au niveau de la forme, sur le premier mouvement, les deux autres conservant souvent leur simplicité originelle de structure ­ notamment le troisième, qui garde obstinément, même chez les romantiques et les modernes, sa naïveté de forme (rondo à refrain, la forme la plus populaire) et son enjouement brillant et superficiel. La transposition dans le concerto de la forme sonate (étudiée plus loin) permet au premier mouvement de concerto de prendre plus d'ampleur, en lui offrant une armature plus complexe et développée, que dans le concerto baroque, monothématique. Mais en même temps que la forme du concerto pour clavier se raffine, on en écrit moins, et ces concertos deviennent de plus en plus des œuvres particulières et uniques : Carl Philipp Emanuel Bach en fit 50, Mozart, 27 (dont quelques transcriptions), Beethoven 5, Chopin 2, Schumann 1. Mozart adopte le cadre bithématique et ne le remet pas en question, mais le porte à son maximum d'expression, de profondeur et de pathétique, en particulier dans les concertos K. 466, K. 488 ; K. 491, K. 595. Après lui, le concerto (contrairement à la symphonie, qui ne se réalise pleinement qu'avec Beethoven) pourra augmenter en nombre de mouvements, en richesse d'orchestration, en complexité et en variété de formes, il grandira moins qu'il ne « grossira », dans une espèce d'amplification ornementale qui n'est pas un approfondissement.

   À cette époque, le concerto de clavier est un genre très prisé du public de concert, on guette l'interprète à la cadence, où il doit montrer ce qu'il sait faire, on apprécie les traits de virtuosité, les gammes, les roulades, comme on fait à l'opéra pour la prima donna ­ contexte mondain que Mozart saura transcender sans omettre d'en jouer le jeu. Cette seconde moitié du XVIIIe siècle est certainement la plus féconde en concertos de clavier, avec les fils de Bach, la famille Stamitz, Abel, Ditters von Dittersdorf, Joseph Haydn, en attendant les pianistes virtuoses du début du XIXe siècle, les Steibelt, Cramer, Hummel, Field, Ries, Spohr, Kalkbrenner, Mosscheles, Thalberg, qui eux-mêmes en produiront un certain nombre, d'où, peut-être, entre 1835 et 1840, une certaine usure du genre dont Schumann se fit l'écho en 1839. Le concerto pour violon n'est pas complètement abandonné (nous en avons 5 de Mozart, 3 de Joseph Haydn), non plus que celui pour flûte, hautbois, violoncelle, etc., mais ces œuvres, plus légères en général, ne suscitent pas le même engouement. Par la suite, chez les grands romantiques, à l'initiative de Beethoven (qui après 2 concertos de piano faciles et pleins de verve, prit au sérieux, voire au tragique, le genre, dans les 3 derniers), le concerto tend à devenir un genre rare, qu'on n'aborde pas sans vouloir le réinventer, lui donner une « profondeur » (plus ou moins empruntée au modèle de la symphonie), qu'il n'est pas censé avoir d'emblée : les rares concertos de piano (Schumann en a composé 1 ; Brahms, 2 ; Liszt, 2) et ceux pour violon (Mendelssohn, 1 ; Brahms, 1) ne sont plus les jalons insouciants d'une série, exploitant la même formule, mais des œuvres ambitieuses, tendues, à la gestation parfois difficile (chez Schumann et Brahms notamment, dont les concertos passèrent par divers stades avant de prendre leur forme définitive). Néanmoins, ces œuvres n'en respectent pas moins le « cahier des charges » du concerto selon l'attente du public : virtuosité, acrobaties et, dans le dernier mouvement, enjouement bondissant. Cependant, si seuls les grands concertos romantiques chargés d'intentions ont survécu, il est certain que le concerto de série, divertissement sans prétention, dont les témoignages sont aujourd'hui presque tous oubliés, tenait toujours une grande place, à l'époque, pour faire briller la virtuosité des vedettes du clavier. Les concertos de Weber peuvent être considérés comme des échantillons représentatifs de ce mélange de bravoure cavalière et de sentimentalité qui servit de recette à tant de concertos du XIXe siècle ­ formule où seul peut-être un Chopin a su être pleinement lui-même, comme Mozart, sans la remettre en cause.

   Le concerto moderne de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, propulsé par de nouveaux progrès dans la facture instrumentale et dans la technique pianistique, semble renoncer à réinventer complètement le genre. Même s'il modifie le nombre des mouvements et la structure thématique, il semble prendre son parti de la vocation brillante et mondaine du concerto, ce qui ne l'empêche pas d'atteindre parfois au pathétique : les concertos pour divers instruments de Saint-Saëns, Dvořák, Tchaïkovski, Grieg, Rachmaninov ruissellent d'une virtuosité sans complexes. D'autres compositeurs, en revanche, à l'exemple d'un Schubert au début du XIXe siècle, ne se commettent pas avec le genre, pour des raisons très diverses : c'est le cas de Berlioz (malgré son Harold en Italie, pour alto et orchestre, concerto avorté), Moussorgski, Wagner, Bruckner, Mahler, Hugo Wolf, Debussy, Fauré, Dukas, d'Indy (malgré sa Symphonie cévenole, piano et orchestre), Franck (dont les Variations symphoniques n'en sont pas un non plus), etc. L'esprit de sérieux, chez les uns, la vocation au « vrai », chez les autres, ou le sens d'un certain message ont pu les détourner des conventions du genre, incontournables. Mais après le romantisme, peut-être par réaction contre les épanchements métaphysiques, une nouvelle vague de concertos arrive, des concertos très aérodynamiques, percussifs, ivres de vitesse et de couleurs sonores, motoristiques, avec Ravel, Prokofiev, Stravinski, Chostakovitch, Bartók, dont les 3 concertos sont très beethovéniens, Gerschwin, Copland, etc., auteurs qui viennent souvent soit d'outre-Atlantique, soit des pays de l'Est, et non de la vieille Europe. Les concertos de chambre (Kammerkonzerte) de Hindemith, comme certains concertos de Stravinski, tentent de retourner aux sources du concerto grosso et du concerto baroque, dans un souci de néoclassicisme et de « nouvelle objectivité » (Neue Sachlichkeit). En France, avec l'esthétique d'agrément et le retour des compositeurs à des formes plus ramassées, ceux-ci inondent le public de petits concertos, parfois un peu « miniatures », avec Milhaud, Poulenc (qui louche vers Mozart), Ibert, Françaix, et même chez Jolivet, pourtant assez distant de cette esthétique. Mais après cette vague de néoconcertos, le concerto contemporain est de plus en plus une somme de cas particuliers : quoi de commun entre ceux de Ligeti, Zimmermann, Maderna, qu'une commune référence à un genre daté et fixé « tel qu'en lui-même » dans ses 3 formes canoniques : concerto baroque à la Vivaldi ou à la Bach ; concerto mozartien, concerto romantique. Par ailleurs, beaucoup d'œuvres se réfèrent au concerto dans leur formule en évitant d'en revendiquer le titre ; le cas de ces « cryptoconcertos » de Xenakis, Boulez, Dutilleux sera examiné plus loin.