Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
H

Haydn (Joseph) (suite)

Les grandes œuvres chorales

Sans compter quelques partitions isolées, comme le concerto pour trompette (1796), un ultime trio avec piano (1796) et une série de treize trios et quatuors vocaux (1796-1799), Haydn couronna sa carrière par neuf quatuors à cordes ­ op. 76 (1797), op. 77 (1799) et op. 103 (1803, inachevé) ­, six messes (1796-1802), la version vocale des Sept Paroles du Christ (1796) et ses deux grands oratorios la Création (1798) et les Saisons (1801). Les neuf quatuors innovent encore par rapport aux dernières symphonies : finales en mineur dans des œuvres en majeur (op. 76 nos 1 et 3), remplacement du menuet par de véritables scherzos (op. 76 no 1, op. 77 nos 1 et 2), hardiesses tonales, harmoniques, polyphoniques et rythmiques inouïes de l'opus 76 no 6 ou de l'opus 77 no 2, pages dont on a pu dire qu'elles défiaient les critères habituels d'analyse en traitant un matériau du XVIIIe siècle à la façon du XXe. Les six messes et les deux oratorios constituent le pendant haydnien des grands opéras de Mozart. Le symphoniste s'y manifeste par l'importance de l'orchestre et l'absence de stéréotypes formels. Ce ne sont pas de lâches successions d'épisodes, mais de solides architectures, dont la vitalité ne nuit en rien à la portée spirituelle. Si les Saisons, suite de quatre cantates hautes en couleur, évoquent surtout le premier romantisme, celui de Weber ou du Vaisseau fantôme de Wagner, c'est bien Tristan qu'annonce le prélude de la Création : performance d'autant plus vertigineuse qu'elle émane d'un maître confondu en ses débuts avec d'obscurs compositeurs autrichiens du milieu du XVIIIe siècle, et que, par-delà son côté visionnaire, cette représentation du chaos originel s'inscrit avec cohérence dans la pensée musicale de Haydn.

   L'auteur de la Création enseigna une nouvelle façon de penser en musique, et c'est dans la mesure où Beethoven fut son plus grand disciple et son plus grand continuateur que, sur le plan personnel, ils se heurtèrent parfois violemment. Peu de compositeurs illustrent autant que Haydn la remarque de Schönberg : « Le matériau est l'antichambre de l'esprit. » Pour l'approcher et le pénétrer, il n'y a que la seule musique ; on ne peut s'appuyer sur des sujets ou des personnages d'opéra comme avec Mozart, Wagner ou Verdi, ni sur une exégèse ou une symbolique bibliques comme avec Schütz ou Bach, cela sans parler des biographies romancées, dont ont souffert Beethoven et les romantiques. Non que sa vie n'ait eu aucune influence sur son œuvre. Mais bien plus significative que les légendes en cours apparaît, pour cerner la personnalité complexe, souvent retranchée sur elle-même, de Haydn, la description de la première audition de la Création (30 avril 1798), et notamment du célèbre passage Et la lumière fut, que donna, une quarantaine d'années après y avoir assisté, le diplomate suédois Silverstolpe : « Je crois voir encore son visage au moment où ce trait sortit de l'orchestre. Haydn avait la mine de quelqu'un prêt à se mordre les lèvres, soit pour réprimer sa confusion, soit pour dissimuler un secret. Et à l'instant précis où pour la première fois cette lumière éclata, tout se passa comme si ses rayons avaient été lancés des yeux brillants de l'artiste. »

Haydn (Johann Michael)

Compositeur autrichien (Rohrau-sur-la-Leitha, Basse-Autriche, 1737 – Salzbourg 1806).

Frère cadet de Joseph Haydn, il fut comme lui (sans doute de 1745 à 1754) petit chanteur à la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. En 1757 au plus tard, il fut nommé maître de chapelle de l'évêque de Grosswardein en Hongrie (actuellement Oradea Mare en Roumanie). Le 3 septembre de cette année-là, il copia de sa main à Vienne la célèbre Missa canonica de Fux, témoignant ainsi de son goût pour le style sévère. Il resta à Grosswardein jusqu'en 1762, y composant de nombreux ouvrages profanes (concertos, symphonies) et religieux, puis entra (au plus tard déb. 1763) au service du prince-archevêque de Salzbourg, ville qu'il ne devait plus quitter. Nommé dès le 14 août 1763 premier violon dans l'orchestre de la cour, il épousa le 17 avril 1768 la cantatrice Maria Magdalena Lipp, créatrice l'année suivante du rôle de Rosina dans La Finta semplice de Mozart. Michael Haydn succéda en 1777 à Adlgasser aux orgues de l'église de la Trinité, en 1781 à Wolfgang Amadeus Mozart au poste d'organiste de la cour et de la cathédrale, et en 1787 à Leopold Mozart à diverses fonctions d'enseignement. Il se rendit deux fois à Vienne, en septembre-octobre 1798, puis en septembre-octobre 1801 : il y rencontra les deux fois son frère Joseph, et, en 1801, reçut de l'impératrice plusieurs commandes. Le prince Esterházy lui offrit chez lui le poste de vice-maître de chapelle pour seconder Joseph vieillissant, mais Michael refusa définitivement au début de 1803, préférant ne pas quitter Salzbourg, où il mourut en laissant inachevé son troisième requiem. Grand musicien, Michael Haydn ne le céda en son temps, parmi ceux qui évoluèrent dans l'orbite de Vienne, qu'à son frère et à Mozart. Par son style, il apparut d'ailleurs plus proche du second que du premier. Il fut et reste surtout célèbre comme compositeur de musique religieuse, mais ses œuvres instrumentales profanes, elles aussi, sont souvent de toute beauté et ne manquèrent pas d'influencer Mozart. Plusieurs furent faussement attribuées à Joseph, et sa symphonie en sol majeur de 1783 passa longtemps pour la 37e (K. 444) de Mozart, qui n'en écrivit que l'introduction lente. On lui doit notamment : quarante-trois symphonies, dont la dernière (en la majeur) du 26 juillet 1789, des sérénades et divertissements ; des musiques de scène, comme celle pour Zaïre de Voltaire (1777) ; l'opéra Andromeda e Perseo, sur un livret probablement dû à Giambattista Varesco (1787) ; l'oratorio Der bussende Sünden, deuxième partie d'une trilogie en collaboration avec Adlgasser et Krinner ; le singspiel Rebekka als Braut (1766) ; la pantomine Der Traum (1767 ; le singspiel Die Hochzeit auf der Alm (1768) ; deux admirables quintettes à cordres en ut et en sol majeur (1773) ; des chœurs d'hommes reconnus comme les premiers du genre ; une trentaine de messes, dont la Missa in honorem sanctissimae trinitatis (1754), la première de toutes, la Missa hispanica (1786) et la Missa sancti Leopoldi (1805), sa dernière œuvre achevée ; et de très nombreux ouvrages religieux allemands ou latins, écrits soit en style concertant, soit en style a cappella. Son requiem en ut mineur (1771), écrit pour les funérailles du prince-archevêque Sigismund von Schrattenbach, devait laisser dans celui de Mozart des traces très nettes. Cet ouvrage a acquis récemment une célébrité justifiée, comme la belle symphonie en mineur de 1784. Un catalogue thématique des œuvres de Michael Haydn, destiné à remplacer ceux de Perger (œuvres instrumentales) et de Klafsky (œuvres sacrées), a été réalisé par Charles H. Sherman et T. Donley Thomas (1993).

 
Un troisième frère Haydn, Johann Evangelist (Rohrau-sur-la-Leitha 1743-Eisenstadt 1805), passa sa vie comme ténor chez les Esterházy, Joseph l'ayant fait venir auprès de lui après la mort de leur père (1763).