Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
B

Bach (Johann Sebastian) (suite)

Le cantorat à Saint-Thomas

À l'automne 1720, Bach se rendit à Hambourg et improvisa devant le vieux Reinken sur le choral An Wasserflüssen Babylon (c'est ce choral qui, dans l'éblouissante exécution de Reinken, l'avait tenu lui-même sous le charme quelque vingt ans auparavant). À la fin, Reinken, d'ordinaire avare de louanges, s'écria : « Je pensais que cet art était mort, mais je vois qu'il vit encore en vous. »

   En 1722, le prince Léopold, au service duquel Bach pensait passer le reste de ses jours, se maria. Or sa femme n'aimait ni la musique ­ Bach la traita d'amusa ­ ni l'art en général, et les conditions à la cour de Köthen changèrent totalement. Mais il se trouva qu'après la mort de Johann Kuhnau, cantor à l'école Saint-Thomas de Leipzig, le conseil de la ville avait proposé le poste à Telemann et à Johann Christoph Graupner, qui, tous deux, l'avaient refusé, puis à Bach. Celui-ci, ayant accepté, fut nommé en mai 1723 ; il devait rester à Leipzig jusqu'à sa mort.

   À Saint-Thomas, Bach assurait l'enseignement musical aussi bien que les cours de latin. La chorale de l'école était formée de musiciens médiocres ; sur 55 élèves, 17 seulement étaient capables de remplir correctement leur tâche. Outre ces fonctions, il était chargé de la musique des églises Saint-Thomas et Saint-Nicolas, ainsi que de celles de la ville et de l'université pour les cérémonies officielles. Ses relations avec l'université, le recteur Ernesti et le conseil de la ville allaient être marquées par d'incessantes disputes. Le conseil se plaignait des fréquentes absences de Bach, qui se rendait à Weimar, à Cassel ­ où il joua sur l'orgue de la Martinuskirche (1732) ­, à Dresde, où vivaient Johann Adolf Hasse et son épouse, la célèbre cantatrice Faustina Bordoni. Dans cette dernière ville, il jouissait de l'estime du comte Hermann Carl Keyserling, pour qui il composa les Variations Goldberg (publiées en 1742), et joua sur l'orgue Silbermann de la Sophienkirche.

   En 1741, Bach visita Berlin, et, au printemps 1747, il se rendit à Potsdam sur l'invitation de Frédéric II de Prusse, au service duquel se trouvait son fils Carl Philip Emanuel. Bach improvisa une fugue sur un sujet donné par le roi, et, à son retour à Leipzig, en tira l'Offrande musicale. Mais une maladie des yeux, s'aggravant durant les dernières années, devait lui ôter presque entièrement la vue à la fin de 1749. Son élève ­ et gendre ­ Johann Christoph Altnikol allait écrire, sous sa dictée, ses dernières œuvres.

   Dans les premières années de son cantorat à Leipzig, Bach composa surtout des cantates d'église, ainsi que l'Oratorio de Pâques et le Magnificat. Cette période fut couronnée par la Passion selon saint Matthieu, exécutée en 1729, le jour du vendredi saint. Bach écrivit ensuite des cantates profanes pour les fêtes en l'honneur de la famille régnante de Saxe, duché dont la capitale était Dresde, mais sur le territoire duquel se trouvait Leipzig (de 1697 à 1763, les princes-électeurs de Saxe furent en même temps rois de Pologne). L'année 1733, qui vit Frédéric Auguste II succéder à son père, fut marquée par de nombreuses festivités, auxquelles Bach contribua par trois cantates différentes pour la fête du nouveau monarque et les anniversaires de son fils le prince héritier et de son épouse. À cette époque appartiennent aussi les deux premières parties de la Klavierübung : d'une part, les 6 partitas dont la publication s'étendit jusqu'en 1731 et, d'autre part, l'Ouverture dans le style français et le Concerto italien, publiés en 1735 (la troisième partie de la Klavierübung devait être constituée d'œuvres pour orgue et la quatrième des Variations Goldberg). L'Oratorio de Noël, en réalité succession de 6 cantates, date de 1734, l'Oratorio pour le jour de l'Ascension de 1735 et le livre II du Clavier bien tempéré de 1744.

   Au cours des dernières années de sa vie, Bach transcenda le passé, donnant la quintessence de l'art contrapuntique avec l'Art de la fugue, révisant des chorals pour orgue et complétant la Messe en « si » mineur, qui l'avait occupé de façon intermittente depuis 1733. Le 18 juillet 1750, il recouvra soudain la vue, mais il eut quelques heures après une attaque, suivie d'une fièvre qui l'emporta dix jours plus tard.

Une synthèse géniale

De toutes les formes musicales, l'opéra est la seule à laquelle Bach ne se soit pas essayé (mais de nombreux épisodes des cantates s'en rapprochent fort par l'esprit). Comme de coutume à son époque, sa production comporte presque entièrement des œuvres de circonstance étroitement liées aux exigences des postes qu'il occupait. Il ne fut pas créateur de formes ni de genres, mais il reprit ceux légués par ses prédécesseurs en les élargissant considérablement tant sur le plan structural qu'expressif, en les portant à un degré de perfection et d'universalité inconnu avant lui. Du point de vue architectural, il se renouvela sans cesse : ses inventions, ses fugues, ses cantates sont toutes construites différemment. L'œuvre de Bach se distingue également par un caractère nettement polyphonique allant néanmoins de pair avec la clarté et l'abondance mélodique. On peut, à ce propos, parler de synthèse d'éléments germaniques et italiens ; cela sans oublier les influences françaises, elles aussi miraculeusement assimilées et magnifiées, en particulier dans les suites ­ ou ouvertures ­ pour orchestre, qui approfondissent un modèle jadis créé par Lully.

   Si Bach fut l'héritier de la longue tradition polyphonique occidentale, il assuma parallèlement la grande révolution du XVIIe siècle (réduction de la structure sonore à une mélodie accompagnée par une basse) : son originalité essentielle est d'avoir été à la croisée de ces deux chemins, raison pour laquelle il ne devait pas avoir d'héritier musical direct. Sa synthèse ne pouvait intervenir qu'entre 1700 et 1750. L'évolution de l'esthétique musicale la rendait impossible ultérieurement, et, déjà à la fin de sa vie, Bach se trouva incompris et « dépassé » aux yeux de ses contemporains. À la tradition allemande, il reprit le choral luthérien, qui vivifia toute son œuvre, vocale et instrumentale.

Les œuvres instrumentales

Bach conçut la plupart de ses œuvres instrumentales à Weimar et à Köthen, où ses activités lui permirent d'acquérir la maîtrise des formes, du style, des combinaisons instrumentales. Il exploita les perfectionnements techniques apportés à la facture du violon, du violoncelle ou de la flûte. Le concerto à l'italienne l'intéressa particulièrement. Il transcrivit de nombreux concertos d'auteurs italiens, en écrivit lui-même pour violon et il fut aussi le premier à concevoir de véritables concertos pour clavecin et orchestre. Ceux-ci sont, presque tous, des transcriptions. Cependant, pour le 5e Brandebourgeois, il confia au clavecin non seulement un rôle de soliste, mais une audacieuse cadence de 65 mesures : on a pu dire de cet ouvrage qu'il était le premier en date de tous les concertos pour clavier. Sur les six Brandebourgeois, trois (nos 1, 3 et 6) font dialoguer divers « chœurs instrumentaux » d'égale importance, alors que les trois autres opposent aux cordes un groupe d'instruments solistes, et à ceux-ci un soliste principal (trompette dans le no 2, flûte dans le no 4, clavecin dans le no 5).

   Bach se passionna également pour le clavier (clavecin) seul. Là, il mena à terme les deux grandes formes léguées par ses prédécesseurs. Outre des œuvres plus ou moins isolées, mais d'une grande importance comme la Fantaisie chromatique et fugue ou le Concerto italien, il y eut, en effet, d'une part les trois recueils de six suites chacun ­ françaises (1722), revêtant encore le caractère de la danse populaire, anglaises (avant 1722), adoptant davantage celui de la danse de cour, et allemandes ou partitas (1726-1731), plus proches de la musique pure ­ et, d'autre part, les deux livres du Clavier bien tempéré (1722, 1744), comprenant l'un et l'autre 24 préludes et fugues dans toutes les tonalités majeures et mineures et démontrant l'intérêt musical ­ pas seulement théorique ­ du tempérament égal (division de l'octave en douze demi-tons strictement égaux).

   Quant aux Variations Goldberg, elles témoignent d'une grande richesse d'invention et d'une science extrême du contrepoint, du canon en particulier : Bach y présente 9 genres différents de canons. Synthèse de formes ­ l'air varié s'y mêle à la passacaille ­, cette œuvre est aussi une synthèse de procédés d'écriture. Dans le quodlibet final, deux mélodies populaires viennent se superposer au thème de la passacaille. Bach jeta ici les solides fondements de la grande variation moderne.

   De l'écriture canonique, le sommet fut l'Offrande musicale, série de variations contrapuntiques sur le thème proposé par Frédéric II. Cette œuvre, construite selon une structure symétrique chère à Bach, présente le plan suivant : ricercare/5 canons/sonate en trio/5 canons/ricercare. Cinq des canons sont à deux voix avec une troisième voix utilisant le thème royal comme cantus firmus, les cinq autres traitent des variations du thème de façon canonique. Sauf pour la sonate en trio et pour le 9e canon (flûte, violon et basse figurée), Bach n'a laissé aucune indication d'instruments pour cet ouvrage prenant appui, par sa virtuosité et sa rigueur polyphoniques, et en particulier par son usage du canon-énigme, sur la grande école franco-flamande des XVe et XVIe siècles.

   Pour le violon, Bach a écrit notamment 2 concertos, 1 concerto pour deux violons, 6 sonates avec clavecin adoptant la structure quadripartite de la « sonata da chiesa » (sonate d'église) et, surtout, 3 sonates et 3 partitas pour violon seul où il parvint à faire de cet instrument, en principe purement monodique, un instrument polyphonique. La chaconne en mineur de la 2e partita, avec ses 32 variations, est une page unique dans le répertoire du violon.