Kyriale
Mot latin désignant les recueils de mélodies afférentes au commun de la messe, dont le Kyrie eleison est la pièce inaugurale.
Les éléments du Kyriale peuvent être soit réunis pièce par pièce (recueil de Kyrie, puis de Gloria, etc.), soit groupés par ensembles constituant chacun une messe complète. Ce dernier classement, aujourd'hui normalisé, est relativement récent. Il groupe les pièces en 18 ensembles relativement homogènes ayant chacun une attribution liturgique définie et un titre souvent emprunté aux anciens tropes des Kyrie correspondants. Le Credo en est exclu et est numéroté à part, de même qu'un certain nombre de pièces isolées proposées en remplacement et étiquetées ad libitum. Le Kyriale est souvent réuni au graduel, dont il forme alors une section.
Kyrie eleison
Premiers mots d'une invocation en grec (« Seigneur, prends pitié ») qui inaugure le commun ou ordinaire de la messe latine. C'est donc le Kyrie qui figure en tête des messes polyphoniques ou chorales lorsque, comme cela est habituel en dehors des messes de requiem, celles-ci ne traitent que l'ordinaire. Dans le déroulement de l'office, il fait suite à l'introït, qui appartient au propre.
Sous sa forme préconciliaire traditionnelle, le Kyrie comprend trois invocations symétriques, répétées chacune trois fois et adressées respectivement aux trois personnes de la Sainte Trinité (Kyrie… Christe… Kyrie) : le même mot Kyrie désigne le Père dans le premier groupe et le Saint-Esprit dans le dernier. Cette amplification est propre à l'Église latine. Les Grecs disent seulement Kyrie eleison (ou eleison ymas), et comptent quatre syllabes sur eleison, tandis que les Latins avaient d'abord fait de ei une diphtongue ; les quatre syllabes ont été rétablies après le concile de Trente.
Avant d'avoir été incorporé à la messe, sans doute vers le VIe siècle, le Kyrie figurait fréquemment comme refrain litanique, et, à ce titre, se chantait souvent aux processions, soit en grec soit en latin (Domine, miserere). Ce rôle de refrain a longtemps survécu dans la chanson populaire, parfois sous des aspects déformés tels que Kyrioleis en Allemagne ou Criaulé en France ; Kyrieleis forme le refrain d'une célèbre chanson de marche des croisés germaniques, In Gottes Name fahren wir, rappelant ainsi son origine de chant de procession. La procession précédait souvent la messe, et lorsqu'on y chantait le refrain Kyrie eleison, cela pouvait dispenser de le répéter après l'introït.
Musicalement, le Kyrie est un morceau largement mélismatique (à l'exception de quelques variétés chantées principalement aux temps de pénitence), et la voyelle E y joue un rôle analogue à celui du A dans l'Alleluia. Ses neuf parties sont souvent alternées, soit entre deux demi-chœurs, soit entre un petit et un grand chœur. Il présente souvent une forme à répétitions dans laquelle le dernier Kyrie amplifie parfois le précédent. Dans la messe polyphonique, par exemple chez G. de Machaut, la version polyphonique prenait la place du petit chœur (c'est donc elle qui commençait) ; elle ne contenait par conséquent qu'une invocation sur deux : l'autre était chantée en plain-chant. Même principe, mais inversé, dans les messes d'orgue des XVIIe et XVIIIe siècles, où le Kyrie consiste en une suite de « versets " s'intercalant entre les plains-chants ; une ordonnance épiscopale parisienne du XVIIe siècle précisait même que ces versets d'orgue devaient obligatoirement faire entendre de façon suffisamment reconnaissable, tout au moins dans les premiers versets, la mélodie du Kyrie d'alternance. L'une des plus employées à cet égard était celle du Cunctipotens : on l'entend, par exemple, dans la Messe à l'usage des paroisses de Fr. Couperin. À partir de la Renaissance, on abandonne l'alternance et on confie la totalité à la polyphonie, qui regroupe les trois invocations de chaque type, et ne présente donc plus que trois parties : un premier Kyrie, un Christe et un second Kyrie. La messe avec orchestre agira de même.
Un nombre considérable de mélodies (plus de 200) ont été composées pour le Kyrie, avec une diffusion extrêmement variable : beaucoup n'ont pas dépassé l'usage local. Un certain nombre, à partir du IXe siècle, ont donné lieu à des versions tropées, intercalant un développement chanté syllabiquement entre les deux mots Kyrie (ou Christe) et eleison, ou même remplaçant totalement le premier. On considérait autrefois ces versions tropées comme des artifices mnémotechniques ajoutés après coup ; on en est moins sûr aujourd'hui, et il se pourrait que certains Kyrie eussent été directement composés avec leurs tropes ; les paroles de celui-ci auraient ensuite disparu pour faire place à la mélodie vocalisée ; celle-ci en a du reste souvent conservé l'incipit comme titre (v. Kyriale). Le Kyrie a été l'une des parties de la messe le plus tôt et le plus souvent mises en polyphonie : on en trouve à deux voix dès la fin du XIe siècle. Mais l'ensemble de la littérature musicale semble s'être très vite désintéressée de la signification suppliante du texte, et n'avoir retenu que l'aspect décoratif des vocalises (par ex. Palestrina) ou la majesté solennelle d'un morceau inaugural : le Kyrie de la Messe en « si » mineur de J.-S. Bach donne un exemple typique de cette dernière conception.