opéra (suite)
L'opéra en Italie au XVIIe siècle
On divise habituellement son évolution en trois étapes (opéra romain, opéra vénitien, puis opéra napolitain), classification commode, due au rôle prédominant joué successivement par ces trois centres, mais tenant mal compte des interférences entre leurs styles, leurs époques, et de la diffusion du genre dans diverses autres villes. Rome fut un important foyer de création de 1619 à 1643 et de 1660 à 1685, Venise de 1637 à la fin du siècle, Naples dès 1650, tandis que des salles accueillaient l'opéra à Bologne (1605), à Turin (1608), Parme (1628), Venise et Pesaro (1637), Ferrare (1638), etc. Privés ou publics, selon l'exemple fourni par Venise, ce sont plus de 40 théâtres qui s'ouvrent bientôt dans les grandes villes, une centaine dans toute l'Italie.
L'opéra romain
Rome, après avoir fourni plusieurs de ses artisans à l'école florentine, allait reprendre le flambeau, grâce à ses mécènes, et, notamment, les princes Barberini, alliés au pape Urbain VII. Or, déjà en 1600, De'Cavalieri avait mis en scène à l'oratoire della Vallicella de Rome sa Rappresentazione di Anima e Corpo, qui n'empruntait pas à la mythologie, mais comportait des personnages allégoriques (le Temps, la Fortune, le Vice, la Vertu, etc.). Avec son instrumentation étoffée, son récitatif assez richement orné, cette œuvre (dont on peut tenir l'oratorio et la cantate pour des branches rapportées), contenait en germe les principales caractéristiques du genre romain. Dès 1606, ce nouveau type de style représentatif s'épanouit dans les œuvres profanes de Paolo Quagliati (Il Carro di fedeltà d'amore), et d'Agostino Agazzari (Eumelio), et il allait inspirer Stefano Landi (v. 1590-1639), Filippo Vitali (env. 1590-1653) et Domenico Mazzocchi (1592-1665).
Véritable creuset des futurs opéras italien et français, cet opéra romain fourmilla d'inventions qu'on ne peut juger pleinement d'après les rares documents conservés, car ce furent plus de 100 œuvres qui furent exécutées dans les palais princiers, pour un public guère plus soucieux de mythe grec que de sémantique. Après quelques tentatives en dialecte, on prisa fort un genre où des personnages allégoriques côtoyaient des héros mythologiques ou historiques et ceux de la commedia dell'arte, tous confrontés à l'actualité, dans ce même esprit parodique qu'allait retrouver un Offenbach deux siècles et demi plus tard. Le comique, le sérieux et le sacré s'y mêlaient intimement, dans un luxe de costumes et de décors propre à satisfaire les goûts d'une aristocratie particulièrement dépravée. La musique ne jouait souvent qu'un rôle accessoire dans ces sortes d'opérettes à grand spectacle, dont le récitatif demeurait la base essentielle : la Morte d'Orfeo (1619), de Landi, une œuvre parodique, ne contient que 3 arias, et l'Aretusa (1620) de Vitali, un seul. En revanche, ce récit allait peu à peu tendre vers un arioso plus mélodique et inclure des passages de haute virtuosité par exemple, la Galatea (1639), œuvre du castrat L. Vittori , à moins que n'apparaisse une césure entre récitatif secco et aria, celui-ci comportant des couplets ou reprises, comme dans le Palazzo d'Atlante (1642) de Luigi Rossi (1598-1653). Le schéma de ces œuvres demeurait celui adopté par Monteverdi dans son Orfeo, en 5 actes avec chœurs et ballets, qu'il s'agisse de fable pastorale (la Catena d'Adone, 1626, de Mazzocchi), de tragicommedia (Diana schernita, 1629, de Giacinto Cornacchioli) ou du Sant'Alessio de Landi, qui, en 1632, osait porter à la scène la vie d'un personnage historique, faisant précéder l'œuvre d'un prologue allégorique où la ville de Rome s'adressait aux spectateurs. Notons encore que dans Erminia sul Giordano (1633), sorte de revue à grands tableaux, son auteur, M. A. Rossi, exécutait des solos de violon sur la scène ; dans le somptueux Palazzo d'Atlante, L. Rossi instituait cette ouverture bipartite, que copiera aussi Lully ; enfin, dans Del Male, il Bene (1653), de Marazzoli et d'Abbatini, tous les acteurs se trouvaient réunis dans les finales concertants.
Destinées aux palais princiers des Conti, des Corsini, plus tard des Colonna, etc., ces œuvres eurent bientôt pour cadre le splendide théâtre de 3 000 places bâti par les Barberini, inauguré par Sant'Alessio, avec des décors du Bernin. Mais la personnalité dominante de cette période demeure Giulio Rospigliosi, le futur Clément IX, qui, formé en Espagne, y avait puisé son goût pour ce théâtre réaliste et comique qu'il transposa sur les scènes romaines par le truchement de ses livrets, perpétuant ainsi la tradition des madrigaux de Banchieri. On trouve en effet des scènes comiques même dans les sujets religieux (cf. Sant'Alessio), où, toutefois, la part comique ne concerne que certains personnages, notamment les valets. Dès 1637, Rospigliosi écrivit une œuvre entièrement comique, il Falcone (ou Fiammetta), remaniée en 1639 sous le titre Chi soffre, speri, avec une musique de Virgilio Mazzocchi (1597-1646) et de Marco Marazzoli (1602 ou 1608-1662). Or, à Florence, cet élément burlesque dominait déjà largement dans La Flora (1626) de Gagliano, et c'est là que Jacopo Melani (1623-1676) fit jouer en 1656 une Tancia (1612), d'après Buonarotti, puis d'autres œuvres du même type sur des livrets de G. A. Moniglia. Les Barberini ayant été chassés de Rome par Innocent X, en 1644, leurs musiciens émigrèrent quelque temps à Venise ou à Paris (Mazarin avait été l'intendant de ces princes), où Luigi Rossi donna avec succès un Orfeo (1647).
La réhabilitation des Barberini, en 1653, signait la naissance d'une seconde période de l'opéra romain, désormais en étroit contact avec Venise, et dominé par le mécénat des Colonna et de Christine de Suède, fixée à Rome après sa conversion. Déjà, en 1653, Rospigliosi avait adapté de Calderón Del Male, il Bene (musique de Abbatini et de Marazzoli), une « comédie musicale », où l'alternance du récitatif secco et de l'aria s'imposait. Ce schéma n'évoluera plus sensiblement, alors qu'après la mort de Clément IX, en 1671, la papauté se montrera souvent hostile à l'existence de théâtres publics (ROME), une expérience tentée dès 1667. Les ouvrages comiques abondent désormais, notamment avec Alessandro Stradella (1644-1682), fixé à Rome jusqu'en 1677, et Bernardo Pasquini (1637-1710). Ce dernier, tout en restant attaché au vieux style d'écriture, insère de remarquables finales collectifs dans Tirinto (1672) et l'Alcaste (1673), et enrichit l'orchestre dans Lisimaco, dramma eroico où la virtuosité vocale se donne libre cours dans une longue suite de morceaux isolés ou pezzo chiuso (« structures fermées ») : 13 duos et 58 arias ; en effet, au type d'aria dit « romain », de forme ABB, se substitue l'aria da capo (ABA'), dont le chanteur ornemente les reprises à son gré, un usage mis en vogue par le castrat B. Ferri, protégé de la reine Christine. Stradella, novateur d'une autre trempe, s'efforça d'éviter cette césure trop brutale entre récit et aria, utilisant la forme intermédiaire de l'arioso.
En outre, dans La Forza dell'amore paterno (1678) le récit et l'aria participent également à l'action (au XVIIIe siècle, l'aria interrompra le récit pour exprimer un état d'âme), et 17 seulement des 49 arias adoptent la forme du da capo, une proportion qui s'inverse ensuite dans Moro per amore. Enfin, Trespolo Tutore, véritable opera buffa avant la lettre comporte une ouverture reliée à l'action, une suite de 63 arias, et confirme la typologie vocale du XVIIe siècle : basse, ténor, soprano, castrat y incarnant respectivement le barbon, la vieille femme, la soubrette et l'amoureux. En 1688, les théâtres de Rome excluent définitivement cantatrices et danseuses (cet interdit ne sera levé qu'en 1798), laissant ainsi se développer un opéra de pure virtuosité vocale, abandonné aux castrats, contribuant par là à éloigner de cette ville des musiciens tels que A. Scarlatti ou G. Bononcini (qui sera le rival de Haendel à Londres). Et c'est à Rome que s'ouvre en 1690 l'Académie des Arcadiens au sein de laquelle devaient se former tous les librettistes de l'opéra « moralisant » du siècle suivant.