Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
V

violoncelle

Instrument de musique à quatre cordes frottées, de la famille du violon, mais de sons plus graves, accordé en quintes, à l'octave inférieure de l'alto : do, sol, ré, la. Son origine est confuse et mal connue.

De par sa tenue verticale entre les genoux, il est fréquent de lui attribuer la viole de gambe pour ancêtre. Le violoncelle est cependant la « petite basse » de la famille du violon, dérivée des violes de bras. En 1592, Zacconi décrit l'ensemble des six violes dans Prattica di musica ; on aperçoit alors la similitude entre cette basse de viole et notre violoncelle actuel, par l'accord en quintes (baissé simplement d'un ton). La famille des violons existait déjà, et quelques gravures du XVIe siècle le prouvent. Mais, alors que les violes sont appréciées pour leur sonorité douce et chaude, les violons restent l'instrument propre à l'accompagnement des danses et des chansons à boire.

   Tout d'abord appelé « violoncino » en Italie ­ diminutif pour le distinguer de la basse de viole ­, il faut attendre 1665 pour voir apparaître le nom de « violoncello », dans un recueil de sonates anonymes. En France, cependant, la lutte entre les deux instruments est si féroce que, en 1740, H. le Blanc fait encore paraître à Amsterdam une Défence de la basse de viole contre les emprises du violon et les prétentions du violoncelle. C'est seulement à la fin du XVIIIe siècle que le violoncelle fait disparaître sa rivale.

   Sa tenue diffère selon les époques. Au XVIIe siècle, on le pose par terre ou sur un tabouret. Dans les cortèges, il est attaché au cou de l'instrumentiste. Lorsque Stradivarius, le grand luthier de Crémone, corrige les proportions de la famille des violons, il réduit la caisse de résonance du violoncelle à 75 cm de hauteur ; on peut alors le tenir entre les genoux, serré par les mollets. La position actuelle est trouvée par le violoncelliste Franchomme, au XIXe siècle, qui ajoute une pique à l'instrument, lui assurant ainsi une plus grande stabilité. Aujourd'hui la pique se rentre à l'intérieur du violoncelle, au niveau du bouton du cordier.

   Accordé à l'octave grave de l'alto, le violoncelle a une tessiture qui va de ut1 à mi5, donc de plus de quatre octaves. Sa facture est très proche de celle du violon. Il comprend une caisse de résonance, faite d'une table et d'un fond bombés (contrairement à la viole), pour résister à la pression des cordes. Les deux tables sont reliées par des éclisses, et sont échancrées au milieu, par les C, permettant ainsi à l'archet de jouer sur les cordes extrêmes do et la. De même que pour le violon, l'instrument n'aurait aucune sonorité sans l'ajout de deux pièces importantes, la barre d'harmonie et l'âme. La barre d'harmonie, collée sur la longueur de la table, a pour rôle d'empêcher l'affaissement de la voûte, et de renforcer les graves de l'instrument. L'âme, petite pièce cylindrique, se place à peu près sous le pied gauche du chevalet. Elle aussi retient la table d'harmonie, et renforce la sonorité aiguë du violoncelle. Le manche se prolonge par le chevillier ; quatre chevilles ou clés y maintiennent les cordes. On termine l'instrument par la volute, pièce décorative qui, autrefois, représentait des têtes de personnages ou d'animaux.

   Le cordier, en ébène, retient les cordes à l'autre extrémité et se maintient au violoncelle par un gros boyau enroulé autour du bouton planté dans l'éclisse inférieure. Le chevalet permet par sa courbure d'empêcher l'archet de toucher plusieurs cordes ensemble. On constate que la courbure du chevalet des violes est beaucoup moins accentuée que celle du violoncelle, facilitant ainsi le jeu des accords et de la polyphonie plus important à la viole dans les musiques des XVIIe et XVIIIe siècles.

   Les cordes sont accordées en quinte depuis plus de deux siècles, à la différence des violes de gambe comportant six cordes, accordées en quarte. Elles sont en boyau filé, et leur pression sur le chevalet est de 45 kg. Cependant, devant sonner à l'octave grave de l'alto, il faudrait au violoncelle des cordes deux fois plus longues. Cela étant irréalisable pour les possibilités physiques de l'exécutant, il a fallu changer légèrement les dimensions de l'instrument et la grosseur des cordes. Le dessin de la table et du fond reste identique, mais le manche devient plus trapu, les éclisses plus grandes proportionnellement à celles du violon (11 cm au manche, 12 cm au bouton du cordier), le chevalet plus haut. L'archet est plus gros mais plus court (70 cm) que celui du violon ; il pèse environ 70 à 75 grammes.

   La technique du violoncelle est aussi très proche de celle du violon, malgré leurs positions absolument différentes. La main gauche doit résoudre les mêmes problèmes de justesse, de vélocité et de vibrato. Cependant, le manche étant plus gros et plus long, les écarts entre les doigts deviennent plus importants. Alors qu'au violon à chaque doigt peut correspondre un ton, au violoncelle, chaque doigt abaissé donne un demi-ton. De ce fait, les démanchés, ou passages d'une position à l'autre, sont plus difficiles à effectuer.

   La main droite, celle de l'archet, utilise la même technique d'articulation que celle du violon, mais l'émission des cordes graves est plus délicate. Une autre difficulté que ne connaissent pas les violonistes est celle de la position du pouce, technique héritée du jeu de la trompette marine. Dans l'aigu, toujours à cause des grandes proportions de l'instrument, le violoncelliste doit se servir du pouce comme d'un sillet mobile, en l'appuyant sur sa partie latérale. Les doigtés se rapprochent alors de ceux du violon. Si cette position de pouce est utilisée très tôt par Boccherini, c'est le Français Berteau qui en fixe définitivement la technique à la fin du XVIIIe siècle. L'aspect polyphonique s'est aussi fort développé depuis le XVIIIe siècle, époque illustrée par les six suites pour violoncelle seul de J.-S. Bach.

   Les autres artifices, comme pizzicati ou sons harmoniques, sont, de même qu'au violon, pratiqués couramment.

Son rôle et son répertoire

À la fin du XVIe siècle, ses premiers emplois sont d'accompagner les voix, puis les violons ; il sert alors de base à l'orchestre, pour les symphonies ou les ritournelles d'opéra. En Italie, il prend très vite le rôle de la viole. Il joue la basse de petits ensembles, comme les sonates à trois, genre le plus important du XVIIe siècle. Il y double souvent le clavecin, mais parfois remplit quelques passages harmoniques d'improvisations. Certains écrits attestent même l'exagération de violoncellistes imaginatifs, et leur demandent de la modération ! Dès la fin du XVIIe siècle, on trouve les riccercari de Gabrieli et les sonates de Jacchini. Le répertoire s'enrichit considérablement au XVIIIe siècle avec les sonates de Caldaro, Marcello, Boccherini, les concertos de Leo, Vivaldi (une vingtaine).

   Boccherini semble le premier à s'être intéressé à toutes les possibilités techniques du violoncelle. De 1756 à 1785, il compose vingt-sept sonates et onze concertos. En augmentant la tessiture dans l'aigu, il veut rivaliser avec le violon et faire du violoncelle un instrument virtuose. Ses œuvres font toujours partie des programmes de concert ou de concours.

   En Allemagne, l'instrument est plutôt utilisé en ensemble avec Haendel, Telemann, J. S. Bach. Les concertos de C. P. E. Bach, en 1751, et de Haydn, en 1783, ne sont pas non plus négligeables.

   En France, l'instrument étant moins bien accueilli par les compositeurs et le public, le violoncelle s'implante plus tardivement. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir les premières sonates de B. de Boismortier en 1726, de Corette en 1740. Les grands noms de M. Marais, C. d'Herlevois, s'illustrent dans le répertoire de la viole, dédaignant ce « misérable cancre, hère et pauvre diable » de violoncelle (H. Le Blanc) ! Cependant, l'ancien violoniste Berteau sait imposer ses concertos au Concert spirituel, suivi par Duport, Bréval, Aubert. Leur but est de rivaliser avec le violon en virtuosité. La technique actuelle du violoncelle vient d'ailleurs en partie de Duport le Jeune, par son ouvrage didactique Essai sur le doigté du violoncelle et la conduite de l'archet (avant 1800).

   Au début du XIXe siècle, de même que pour le violon, l'importance quantitative des pièces pour violoncelle décline. Le romantisme affirme, cependant, la personnalité de l'instrument en tant que soliste, avec l'aide du piano-forte alors beaucoup plus en vogue. Les sonates de Beethoven, de Brahms et de Chopin en sont des exemples. Le violoncelle devient l'instrument lyrique par excellence, aussi bien en soliste qu'à l'orchestre d'ailleurs : on pense au fantastique récitatif de la 9e Symphonie de Beethoven. Deux grands concertos allemands marquent cette période romantique : ceux de Schumann et de Brahms (double concerto pour violon et violoncelle). À la même époque, de grands concertistes et pédagogues font de l'Europe centrale un important foyer pour l'enseignement du violoncelle. Il s'agit de Romberg, Bohrer, Dotzauer, Haussmann.

   Au XXe siècle, l'instrument connaît un véritable regain d'intérêt. Aux concertos de Saint-Saëns, Lalo, Dvořák, grands classiques du répertoire, s'ajoutent ceux de Honegger, Milhaud, Dutilleux (Tout un monde lointain). Un grand nombre de sonates enrichissent aussi le répertoire de la musique de chambre, celles de Fauré, d'Indy, Migot, Poulenc, Prokofiev, Britten. La Sonate de Debussy montre un violoncelle tout en finesse, tandis que Kodály va jusqu'aux limites des possibilités techniques dans sa Sonate pour violoncelle seul. Des auteurs plus contemporains, comme Dallapiccola ou Xenakis, s'intéressent aux nombreuses possibilités de l'instrument.

   Si la technique du violoncelle atteint son plus haut degré de virtuosité au XXe siècle, il faut dire qu'elle est parfaitement servie par de grands instrumentistes. Dans la lignée des virtuoses du début du siècle, comme Maréchal, Hekking, Cassado, le grand interprète Casals marque fortement la nouvelle génération de violoncellistes, tels Navarra, Tortelier, Fournier, Piatigorski, Starker, Rostropovitch.