Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
B

Beethoven (Ludwig van) (suite)

Apaisement et solitude

Au cours des dernières années de son existence, Beethoven sembla atteindre un étrange équilibre. Sa vie fut désormais tout intérieure, tournée vers l'œuvre ultime ­ les derniers quatuors. Indifférent au succès, d'un aspect extérieur négligé, sauvage, il communiquait avec son entourage uniquement par les " cahiers de conversation " (dans lesquels Schindler, son " famulus ", a pratiqué coupures et destructions). On pouvait voir Beethoven, lorsque la maladie intestinale ou la faiblesse de sa vue ne le faisaient pas trop souffrir, attablé avec quelques amis à l'enseigne du Cygne d'Argent, manger des huîtres arrosées de bière et poursuivre de longs monologues philosophiques ou politiques, pessimistes, critiques, sauf à l'égard des Anglais, qu'il idéalisait. Son affection exclusive, jalouse, pour Karl (dont il avait la mère en horreur) envenima complètement leurs relations, et le neveu, désaxé par ces conflits incessants, fit une tentative de suicide. Effondrement, réconciliation, séjour précipité à Gneixendorf chez Johann : des scènes éclatèrent entre les deux frères, Beethoven quitta précipitamment la propriété sous la pluie, dans une carriole, et rentra à Vienne avec une double pneumonie. Il mourut le 26 mars 1827, pendant un violent orage. Seul la veille, il fut accompagné au tombeau par un cortège de 20 000 personnes.

L'œuvre ultime

Les derniers quatuors sont les chefs-d'œuvre intérieurs de Beethoven. Leur numérotation n'est pas chronologique. Au 12e quatuor op. 127 (1824) et ses jeux de miroirs succède, dans l'ordre de la composition, le 15e op. 132, dont le troisième mouvement, Chant de reconnaissance, dans le mode lydien, est un des sommets de la musique. Le 13e quatuor, achevé en 1825, est en six mouvements. Dans l'avant-dernier, l'admirable Cavatine, les silences se font tout aussi éloquents que des sons. On sait que c'est la Grande Fugue qui devait terminer cette œuvre ; Beethoven l'en détacha ­ geste accompli à regret, dit-on, geste logique cependant, nous semble-t-il, car à quoi un tel organisme, aux proportions gigantesques, aux tensions harmoniques inouïes, pourrait-il se " rattacher « ? La Grande Fugue op. 133, qui fait éclater ­ dans la mesure même où elle semble y souscrire ­ un schème classique, est un chef-d'œuvre solitaire dans tous les sens du terme. Le 14e quatuor op. 131, achevé en 1826, est le plus audacieux du compositeur dans le domaine de la forme : ses sept mouvements si divers défient ­ et pourtant accomplissent, comme par l'effet d'une formidable pression ­ l'unité de l'œuvre. Le 16e quatuor op. 135 (1826), le dernier composé et le plus bref du groupe, a été l'objet particulier de gloses, en raison de son célèbre exergue inscrit en tête du mouvement final : " Muss es sein ? ­ Es muss sein " (" Cela doit-il être ? ­ Il faut que cela soit "). Mais il s'agit, croit-on, d'une boutade, non d'une interrogation tragique du destin. Dans le Doux Chant de repos, chant de paix qui précède, dans ses admirables variations, Beethoven fait entendre une voix apaisée, sereine, une voix d'adieu.

   Si les derniers quatuors, les Variations Diabelli, les dernières sonates constituent le suprême accomplissement de la pensée visionnaire de Beethoven, ils procèdent d'un esprit novateur qui se manifeste dès les premiers chefs-d'œuvre de sa vie créatrice. C'est là que, déjà et d'emblée, les fondements du langage hérité se voient contestés dans leurs hiérarchies musicales, dans leurs structures, ï sinon dans leurs formes. De la sonate op. 10 no 3 à celle de l'opus 53, de l'opus 57 à l'opus 111, du 3e quatuor op. 18 au 3e " Razoumovski " et à la Grande Fugue, chaque œuvre apporte à l'édifice nouveau ses matériaux inédits. Dès lors, les divisions rigides de l'œuvre beethovénienne en deux, trois ou quatre périodes (" période d'imitation-de transition-de réflexion ", selon Vincent d'Indy) paraissent fallacieuses, d'autant qu'elles impliquent une notion sommaire de " progrès ", notion trompeuse en art. Inclassable à l'intérieur de sa propre œuvre, Beethoven l'est aussi à l'intérieur des catégories historiques. Classique ou romantique ? Beethoven semble dépasser d'emblée cette alternative où l'on tente de l'enfermer. Aux confins de deux univers spirituels, son œuvre échappe, par sa nature, à l'histoire : infiniment singulière, perpétuellement au présent, cette œuvre est moderne, elle définit, éclaire, concrétise la notion même de modernité ­ notion que l'homme moderne à son tour explicite, recrée, façonne dans son langage propre. C'est dans ce dialogue, que chaque génération, chaque individu poursuit avec l'œuvre de Beethoven, que celle-ci se révèle actuelle et novatrice à jamais.

beffroi

Tour communale soit indépendante soit dominant un hôtel de ville, et abritant souvent une cloche ou un carillon, ce qui la distingue du clocher généralement adjoint à un édifice religieux. On a voulu rapprocher le mot de l'anglais bell frame (« charpente à cloches »), mais il semble s'agir plutôt d'un jeu de mots que d'une étymologie, car le terme eut d'abord une acception militaire indépendante de la présence des cloches : il désignait une tour à étages destinée soit à l'attaque (elle était alors mobile), soit à la défense des remparts, d'où son nom dérivé du haut allemand becvrit, tour de défense.

   Quand le « beffroi » était défensif, on y plaçait souvent une cloche destinée à donner l'alarme, d'où le glissement de sens. Le mot s'appliqua ensuite aux tours communales, où l'on installa fréquemment une cloche destinée, cette fois, à servir d'appel ou d'avertissement (bancloque ou « cloche à ban »).

   En Artois, en Hainaut et en Flandre, le droit d'élever un beffroi était octroyé comme conséquence des lettres de franchise communale, de sorte que cet édifice était considéré comme le signe visible de l'affranchissement des communes : d'où le soin apporté à sa construction dans ces régions. À partir du XIVe siècle, on y apposa de grandes horloges, et à partir du XVe, des carillons, qui donnaient à heure fixe des auditions que l'on pouvait entendre de toute la ville. Il en subsiste de fort beaux, principalement dans le nord de la France et en Belgique. On donne parfois, par extension, le nom de beffroi à la cloche installée dans celui-ci (sonner le beffroi).