Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
S

Solal (Martial)

Pianiste et compositeur de jazz français (Alger 1927).

Il s'imposa à Paris dès 1954, puis sur le plan international, comme l'un des plus brillants pianistes de sa génération. Artiste solitaire, un peu marginal, il se produit le plus souvent en concert, seul ou accompagné d'un ou deux musiciens. Très admiré pour sa virtuosité ­ seuls Tatum et Peterson peuvent lui être comparés sur le plan de la technique instrumentale ­, il apparaît, en raison de sa musicalité, de son imagination et de l'audace de ses conceptions, comme le soliste européen le plus important depuis Django Reinhardt à la guitare (On Green Dolphin Street). On lui doit de nombreux thèmes (Vice Versa), des partitions de musique de film (À bout de souffle, 1962), des œuvres pour ensemble (Suite en ré bémol, 1959) ou orchestre de jazz (Fluctuat nec mergitur, 1972), et Stress (en collaboration avec Marius Constant, 1980).

Soler (padre Antonio)

Compositeur espagnol (Olot, Catalogne, 1729 – El Escorial 1783).

Il fit ses études à l'école de chant de Montserrat, où l'organiste était Benito Valls, et, vers 1750, devint « maestro de capilla » à Lérida. Il rejoignit ensuite la communauté des moines de l'Escorial, et reçut les ordres mineurs en 1752. La même année, il composa son premier villancico à huit voix. Pour sa profession de foi en 1753, il écrivit un Veni Creator. Il put encore étudier à Madrid avec Domenico Scarlatti (mort en 1757), dont il fut le plus grand disciple, et, en 1762, fit paraître un grand ouvrage théorique qui devait susciter de nombreuses controverses, Llave de la modulación. En 1765, alors qu'il avait déjà composé quatre livres de sonates pour clavier, il entama avec le Padre Martini une correspondance suivie. Expert en mathématiques et en construction d'orgue, il mit au point pour le prince Gabriel d'Espagne, son élève, un instrument à clavier appelé afinador ou templante et destiné à illustrer les différences entre les diverses sortes de tons ou de demi-tons.

   Comme Domenico Scarlatti, le Padre Soler est connu presque exclusivement par ses sonates pour clavier. Elles sont au nombre de 120 (par opposition aux 555 de Scarlatti), et beaucoup parmi les plus tardives ont trois ou quatre mouvements, parfois avec fugue, rondo ou menuet. On y trouve davantage de pièces de tempo modéré que chez Scarlatti et, sur le plan de l'écriture, moins d'acciaccaturas et davantage de basses d'Alberti (ce qui indique le piano-forte plutôt que le clavecin). Mais leur virtuosité et leur utilisation de rythmes de danses ibériques sont aussi grandes. Sur le plan instrumental, Soler est également l'auteur d'un célèbre Fandango de 450 mesures, de six concertos pour deux orgues destinés au prince Gabriel, et de six quintettes pour deux violons, alto, violoncelle et orgue (1776). Sa production vocale est immense (plusieurs centaines d'œuvres religieuses) mais encore pratiquement inexplorée. Particulièrement séduisants apparaissent ses villancicos en langue vulgaire A Belen a ver (1753), Dos gitanas y un gitano (1765), Con garbo muchachos (1772) et Los negros vienen de zumba (en dialecte nègre, 1758). Un catalogue critique de sa production a été établi par le père Samuel Rubio (1980).

Solesmes

Abbaye bénédictine située près de Sablé (Sarthe), installée en 1833 dans les bâtiments d'un ancien prieuré.

Elle a acquis une renommée universelle par les travaux de restauration du chant grégorien qui y furent entrepris à partir de 1840 sous l'impulsion de l'abbé dom Guéranger, et se sont poursuivis sans interruption jusqu'à nos jours. Le premier travail notable de Solesmes fut en 1880 la publication du livre les Mélodies grégoriennes de dom Joseph Pothier, œuvre de pionnier à laquelle succédèrent en 1908 et 1927 les deux volumes du livre de base de la rythmique grégorienne, le Nombre musical de dom André Mocquereau, précédé d'un ample travail de documentation qui n'a cessé de se poursuivre autour des manuscrits, et qui s'est matérialisé par la création d'un « scriptorium » spécialisé et la publication périodique d'une importante collection de fac-similés ou d'études techniques, la Paléographie musicale (depuis 1889).

   Le chœur des moines de l'abbaye, dirigé d'abord par dom Joseph Gajard (1914) puis par dom Jean Claire, est renommé pour sa qualité, et ses enregistrements sont considérés comme des modèles de référence. Chassés de France en 1901 par la loi sur les congrégations, les moines s'étaient alors réfugiés en Angleterre (Appuldurcombe, puis Quarr Abbey dans l'île de Wight). Ils ont repris possession de leur abbaye en 1922.

solfège (en ital. solfeggio, dérivé de sol-fa)

Ensemble des conventions relatives à la manière de nommer les notes, et par extension de les lire et de les écrire.

Exercices destinés à assurer la connaissance de ces conventions.

   Récemment étendu à l'ensemble des sytèmes existants (P. Schaeffer l'applique même à la classification des bruits musicaux), le terme avait été primitivement réservé au seul système à sept noms de notes de valeur fixe aujourd'hui en usage (mais qui ne s'annexa qu'à la fin du XIXe siècle le domaine de la hauteur absolue). Il s'opposait aux anciennes méthodes à six noms comportant des mutations d'un hexacorde à l'autre, et qui furent finalement rangées sous le titre général de solmisation, bien que celui-ci n'eût été à l'origine que l'un des nombreux systèmes essayés, à côté d'autres à l'existence éphémère (bébisation, bocédisation, etc.). Le solfège s'implanta définitivement au cours du XVIIIe siècle et demeure aujourd'hui l'une des bases élémentaires exigées de l'éducation musicale.

solmisation

1. Terme dérivé des syllabes sol-mi, qui désignait l'ancienne manière de nommer les notes avant la généralisation du solfège. La solmisation, dont l'invention est attribuée à Gui d'Arezzo (XIe s.), a pour justification une grave ambiguïté de la nomenclature alphabétique ancienne. Celle-ci en effet, issue du système grec, désignait les sons par des lettres ou clefs (claves) de A à G (puis a à g, etc.) dont A correspondait à notre la actuel, mais il pouvait y avoir deux sortes de B : l'un bas ou « mou » (bémol), l'autre haut ou « dur », écrit carré (bécarre). L'objet de la solmisation était de déterminer à l'avance lequel des deux B devait être choisi. Pour cela elle divise le « clavier », c'est-à-dire l'ensemble des touches correspondant aux lettres (clefs), en tranches de six notes ou hexacordes comportant chacune un seul demi-ton.

   Il pouvait y avoir trois sortes d'hexacordes. Le modèle était donné par celui, dit naturel, qui ne comportait pas le B litigieux, et allait donc de C à A (pour nous, do à la). Le B, lui, se voyait inséré selon le cas dans l'un ou l'autre des deux hexacordes qui, tout en présentant la même suite d'intervalles que l'hexacorde naturel, plaçait le B l'un en position basse (c'est l'hexacorde mou ou par bémol, de F à D, pour nous fa à avec si bémol), l'autre en position haute (c'est l'hexacorde dur ou par bécarre, de G à E, pour nous sol à mi avec si bécarre). Dans chacun des trois hexacordes, dont les intervalles devenaient dès lors semblables, chaque son était désigné par une syllabe ou voix (vox), empruntée par mnémotechnie à un hymne à saint Jean-Baptiste, déjà remarquable par ses qualités symboliques.

   Les syllabes ou voix (voces) n'étaient donc pas l'équivalent des lettres (claves), et chacune des deux nomenclatures gardait sa fonction. Les syllabes doublaient les lettres en précisant à l'avance, selon la syllabe choisie, si le B, losqu'il se présenterait, serait haut (bécarre) ou bas (bémol). Ces deux termes n'étaient pas, comme ils le sont devenus, un adjectif accolé (si bémol, si bécarre), mais le nom même de la note B, précisé dans son acception. Dans la théorie, le nom complet de la note se déduisait du tableau et réunissait la clef et la voix tels qu'ils y apparaissent ci-dessus : F fa-ut, G sol-ré-ut, A fa-mi-ré, B fa ou B mi, C sol-fa-ut, D la-sol-ré, E la-mi. Pour " solfier ", on ne chantait pas les clefs, mais l'une des syllabes au choix, selon l'hexacorde qui convenait. Si l'on débordait l'hexacorde, on passait d'une nomenclature à une autre ; c'est ce qu'on appelait faire muance ou mutation.

   Ce système, en soi fort ingénieux, est resté en usage jusqu'au XVIIIe siècle. Bien adapté à son objet tant qu'il n'y eut, comme dans le plain-chant, qu'une seule note mobile, le B, il commença à grincer lorsque, notamment dans la polyphonie, en apparurent d'autres (fa dièse dès le XIIe siècle). On s'en sortit par le procédé compliqué et absurde de la musica ficta qui, sans résoudre les problèmes, aboutit à de véritables rébus. Devenues de plus en plus graves, ses inconséquences finirent par rendre nécessaire la refonte du système. Cette réforme se fit attendre jusqu'à la fin du XVIIe siècle et s'effectua graduellement. Elle commença par l'invention d'une 7e syllabe, si, qui permit de diminuer le nombre des muances : on disait par exemple E la-mi-si, et on pouvait dès lors tout ramener au modèle de l'hexacorde naturel (d'où l'expression « si naturel »).

   Cela fait, il apparut assez vite que les deux nomenclatures désormais se doublaient inutilement ; on fut d'accord pour ne conserver que l'une des deux, mais non pour décider laquelle. Il en résulta une nouvelle inconséquence, encore aujourd'hui en cours : les pays latins ont renoncé aux lettres et conservé les syllabes, les pays anglo-saxons ont fait le contraire, mais sans se mettre d'accord entre eux sur le B, qui désigne le si naturel pour les Anglais et le si bémol pour les Allemands, mais rien ne distingue plus les deux momenclatures dans la façon d'employer lettres ou syllabes.

   Fait plus grave, lorsqu'on inventa en 1859 (1885 dans d'autres pays) le diapason normalisé, c'est-à-dire la hauteur absolue, on lui appliqua indifféremment la nomenclature en usage sans rien conserver pour la distinguer de la hauteur relative, et les malentendus sur ce point n'ont cessé depuis lors de se multiplier et de s'aggraver. Quoi qu'il en soit, la solmisation alors disparut d'elle-même, cédant la place au solfège, avec sa nomenclature unique entraînant une redéfinition des altérations, qui devinrent des adjectifs qualifiant l'" état " des notes " naturelles " en s'appliquant indifféremment à n'importe laquelle des " notes " du clavier.

   Toutefois, les problèmes non résolus des rapports entre hauteur absolue et hauteur relative n'ont cessé de tourmenter les théoriciens les plus clairvoyants, et ont entraîné les résurgences de solmisation qui vont être à présent examinées.

2. Intervention, dans certaines pédagogies, de principes de hauteur relative empruntés à l'ancienne solmisation, mais adaptés au solfège moderne, pour remédier à ses déficiences en ce domaine. Ayant renoncé en effet au principe de la double nomenclature (SOLMISATION) et ayant attribué à sa nomenclature unique la valeur de hauteur absolue introduite au milieu du XIXe siècle par les mesures de normalisation du diapason, il ne possède plus le moyen de différencier celle-ci de la hauteur relative, qui ne connaît que des successions d'intervalles, sans intervention de hauteur absolue.

   Les solmisations modernes ont pris le parti d'appliquer la nomenclature par lettres à la hauteur absolue et d'adapter à celle-ci un système de syllabes mobiles inspiré de l'ancienne solmisation pour la hauteur relative, en l'adaptant toutefois au système en cours. Ces principes, toutefois, sont restés limités à l'usage scolaire et n'ont pas modifié la pratique professionnelle.

   Les deux principaux systèmes de solmisation relative sont le tonic sol-fa, proposé en Angleterre par John Curwen en 1840, et le système Kodály généralisé en Hongrie depuis plusieurs décennies. Ils sont basés sur l'analyse tonale et leur valeur formatrice s'est révélée très supérieure à celle du système en usage en France, mais ils n'ont pas su encore surmonter toutes leurs difficultés d'adaptation, et leur internationalisation se heurte à de difficiles problèmes.