Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
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Liszt (Franz)

  • Franz Liszt, les Préludes, poème symphonique n° 3

Pianiste et compositeur hongrois (Raiding, près de Sopron, 1811 – Bayreuth 1886).

Il naquit d'un père hongrois, Adam Liszt, fonctionnaire du prince Esterházy et violoncelliste dans son orchestre, et d'une mère autrichienne, Anna Laager. L'origine hongroise des Liszt (à l'origine List) est d'autant plus douteuse que la famille venait probablement du canton de Neusiedl, et que sa langue usuelle était l'allemand.

Études et premiers succès

Tout jeune, Liszt fit, grâce à son père, la connaissance des œuvres de Haydn, Mozart et Beethoven. À dix ans, il partit pour Vienne (1821-1823), où il reçut l'enseignement de Salieri et de Carl Czerny, grand virtuose et dernier représentant de l'école viennoise de piano issue de Mozart, et où il se produisit en public en décembre 1822. De 1823 à 1835, Liszt vécut principalement à Paris, où il avait été emmené par son père, et où Cherubini lui refusa l'entrée de l'École royale de musique (conservatoire). Il fit ses débuts à Paris en mars 1824, et y devint l'élève de Paer et de Reicha pour la fugue et le contrepoint. Il composa alors à quatorze ans, en collaboration avec Paer, son opéra Don Sanche ou le Château d'amour (1824-25), et fit plusieurs tournées en Angleterre. Au retour de l'une d'elles, son père mourut brusquement à Boulogne (1827). C'est à cette époque que, pour la première fois, Liszt manifesta le désir d'entrer dans les ordres, vocation sincère qui devait surgir à nouveau plus tard.

   Liszt rencontra vite le plus grand succès dans les salons parisiens. Il y fit la connaissance de Berlioz (1830), de Chopin et de Paganini (1831), qui, tous trois, devaient jouer un très grand rôle dans son évolution musicale. C'est ainsi qu'après avoir entendu Paganini il résolut de réaliser au piano les effets obtenus par celui-ci au violon. Il se lia également avec George Sand et Alfred de Musset. En 1834, sa rencontre avec la comtesse Marie d'Agoult (en littérature Daniel Stern) décida de sa carrière. De sa liaison avec elle naquirent trois enfants : Blandine (1835-1862), qui devait épouser Émile Ollivier ; Cosima (1837-1930), qui devait épouser Hans de Bülow, puis Richard Wagner, et Daniel, né en 1839 et mort de phtisie en 1859.

Une carrière itinérante

Mais la bonne société parisienne ne pardonna pas à Liszt cette union illégitime, et, après un court séjour à Genève, il entreprit une carrière itinérante de pianiste-virtuose ­ de loin le plus grand de son temps ­, qui devait le mener dans toutes les capitales et dans toutes les grandes villes européennes, jusqu'au cœur de la Russie. Durant cette période, il composa pour ses propres besoins une grande partie des Rhapsodies hongroises et des Études d'après Paganini. Il est d'ailleurs curieux de constater que ses programmes de récital ne comprenaient, outre ses œuvres et celles de Chopin (ainsi qu'une sonate de Scarlatti), que des pages de musique allemande.

   En 1842, le grand-duc de Weimar le nomma Kapellmeister extraordinaire. Ainsi débuta une nouvelle période de sa vie et de sa production musicale. Après avoir failli devenir musicien français, il s'engagea résolument dans une synthèse culturelle franco-allemande très féconde sur le plan de la création. On peut dire que, à partir de ce moment, il fut « culturellement français, musicalement plutôt allemand, et, pourrait-on ajouter, sentimentalement plutôt hongrois » (Serge Gut). Ces années virent naître le chef-d'œuvre qu'est la Sonate en « si » mineur (1853), la Faust symphonie (1854-1857), la Dante symphonie (1855-56), la Messe de Gran (1855 ; rév. 1857-58) et bien d'autres grands ouvrages. Ce début de « germanisation » de Liszt fut essentiellement le fait de Marie d'Agoult, allemande par sa mère et élevée en partie à Francfort.

L'entrée en religion

Liszt finit par quitter la comtesse d'Agoult pour la princesse de Sayn-Wittgenstein, rencontrée lors d'un concert à Kiev en 1847, et qui devait devenir la grande égérie de la deuxième partie de sa vie, avant qu'il ne se décidât à entrer en religion. C'est elle qui le persuada de renoncer à sa carrière de pianiste-virtuose pour se consacrer uniquement à la composition. Durant ses années à Weimar, Liszt non seulement écrivit la majorité de ses œuvres les plus célèbres, mais monta et dirigea comme maître de chapelle d'innombrables ouvrages de ses contemporains, créant notamment Lohengrin de Wagner en 1850. À la tête d'un orchestre, il put écrire, réviser et expérimenter dans un domaine qu'auparavant il avait peu pratiqué (d'où notamment la série de ses poèmes symphoniques). En outre, il attira autour de lui un grand nombre d'élèves, parmi lesquels Hans de Bülow et Peter Cornelius. Weimar devint en quelque sorte le lieu de ralliement de l'avant-garde de l'époque.

   À la suite d'une cabale menée contre lui et qui se transforma en incident, lors de la création du Barbier de Bagdad de Peter Cornelius, le 15 décembre 1858, Liszt démissionna de son poste à Weimar. Il ne quitta la ville qu'en août 1861, et, après un séjour à Paris, arriva à Rome en octobre. Ses espoirs d'épouser la princesse de Sayn-Wittgenstein s'étant évanouis, car le pape avait refusé de prononcer le divorce de cette dernière, il prit les ordres mineurs en 1865. Les convictions religieuses de l'abbé Liszt ont souvent été un sujet de plaisanterie, mais il reste que le compositeur, profondément croyant, devint homme d'église après que cette vocation l'eut accompagné toute sa vie. Il demeura installé à Rome jusqu'en 1869, et ce séjour marqua dans son évolution un jalon important, celui de sa découverte du répertoire vocal de la Renaissance, ce qui devait lui donner le goût des grandes œuvres religieuses. De ces années datent les splendides variations sur le thème de Bach, Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen (1862), écrites sous le coup de la mort de sa fille Blandine, Christus (1862-1867), son plus bel oratorio, et la Messe du couronnement (1867).

Une « vie trifurquée »

À partir de 1869, et jusqu'à sa mort, le grand voyageur reprit la route, partageant son temps entre Rome, Weimar et Budapest : lui-même devait parler de sa « vie trifurquée ». À chacun de ces pôles correspondit alors une partie de ses activités. À Weimar, il redevint compositeur et chef d'orchestre au service des autres, il y fit créer en 1877 Samson et Dalila de Saint-Saëns. Rome fut pour lui un lieu de réflexion et de méditation mystique (il n'en perdit jamais le goût). Budapest, où il plaçait de vains espoirs et où sombrèrent définitivement ses prétentions de compositeur nationaliste, fut pour lui lieu d'ambiguïté. Lui, qui se définissait comme « moitié franciscain, moitié tsigane », et qui évoquait « cet étrange pays dont je me constitue le rhapsode », ne parlait pas le magyar ! À sa mort, le président du conseil hongrois devait même s'opposer au retour des cendres de ce grand compositeur hongrois.

   Ces années, celles de sa vieillesse, Liszt sut les remplir de nouveaux chefs-d'œuvre : les très beaux Jeux d'eau à la villa d'Este (1877), que devait entendre par le compositeur lui-même, à Rome, le jeune Debussy médusé, Via crucis (1878-79), qui sont les 14 stations de la croix, la 3e Année de pèlerinage, les pièces prophétiques pour piano que sont Gondole lugubre (1882), Csardas macabre (1881-82) ou la Bagatelle sans tonalité. Ces œuvres tardives ne devaient rencontrer pendant près d'un siècle qu'ironie et incompréhension, même de la part de Richard Wagner, gendre de Liszt, qui mettait leurs côtés visionnaires sur le compte de la sénilité et de l'abus d'alcool. Franz Liszt mourut de congestion pulmonaire, dans les bras de sa fille Cosima, à Bayreuth, le 31 juillet 1886, après avoir vu Parsifal le 23 et Tristan le 25, et en laissant une œuvre prophétique, dont le souffle n'est pas près de s'éteindre.

Une évolution remarquable dans l'histoire de la musique romantique

Une fois mises à part les œuvres de première jeunesse, influencées par Czerny, rien chez lui ne peut être comparé à la musique de son temps. Vers 1830 déjà (Liszt a dix-neuf ans), les premières mesures de Malédiction témoignent d'une audace qu'il devait conserver toute sa vie. De même, en 1834, il écrivit une des Harmonies religieuses et poétiques sans indication de tonalité et avec des changements de mesure de la plus moderne facture. Et cette évolution devait se poursuivre jusqu'aux dernières œuvres, qui rejoignent Schönberg ou Debussy. Liszt parcourt le XIXe siècle en ouvrant toutes grandes les portes aux bouleversements du XXe, et se révèle, de plus en plus, n'être pas uniquement le compositeur du Rêve d'amour ou de quelques galopantes et populaires Rhapsodies hongroises.

   Des mille aspects de la légende de Franz Liszt, son amitié pour Richard Wagner est un épisode important. Pourtant, quelle différence de comportement entre les deux hommes, comme entre les deux compositeurs ! Il serait vain et inutile de revenir sur les problèmes de plagiat qui ont tant alimenté les discussions, mais, l'œuvre de F. Liszt sortant aujourd'hui du purgatoire, il est amusant de découvrir que Richard Wagner, le révolutionnaire, n'était pas aussi audacieux qu'il se plaisait à le proclamer. À partir de l'Or du Rhin (1854), on remarque bien chez Wagner certaines libertés avec la tonalité, mais la conduite tonale reste toujours apparente. Ce n'est qu'avec Tristan (1859) qu'une certaine atonalité prend de l'importance, sans toutefois jamais rompre vraiment le fil tonal sécurisant. Dès 1854, Franz Liszt, en novateur acharné, prend au contraire le chemin de la polyharmonie ­ qui mènera à la suppression de la tonalité (1873) ­ tout en prévoyant un système impliquant les quarts de ton. Il apparaît maintenant évident que, à sa mort, Liszt ouvrait la porte du XXe siècle, alors que Wagner fermait celle du XIXe. L'affirmation « Wagner, continuateur de Liszt » (Kœchlin) est une erreur fondamentale, due en partie à la négligence et à la méconnaissance de l'œuvre de Franz Liszt.