Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
S

Sarrette (Bernard)

Officier et administrateur français, fondateur du Conservatoire de musique de Paris (Bordeaux 1765 – Paris 1858).

Capitaine de la garde nationale, il forme dans ce corps une école de musique en 1789, ayant pour double but la participation aux fêtes patriotiques et l'enseignement des instruments à vent aux jeunes soldats. Pour en affermir les bases, il obtient sa transformation en Institut national de musique (8 novembre 1793). Puis, afin d'élargir l'enseignement musical au chant, aux instruments à cordes et à clavier, il demande la fusion de cet Institut et de l'École royale de chant, et, grâce à l'appui oratoire de Marie-Joseph Chénier, il fait adopter par la Convention la loi du 16 thermidor an III (3 août 1795), qui ordonne la fondation du Conservatoire de musique de Paris. Après un directorat de vingt années, considéré comme « révolutionnaire », il est renvoyé en décembre 1815. En 1822, il décline l'offre de reprendre son poste, par amitié pour Luigi Cherubini, qui continue brillamment son œuvre, et meurt trente-six ans plus tard dans l'oubli. Il n'était pas musicien, mais ses qualités d'organisation, d'adaptation et d'initiative firent de lui un personnage de premier plan de la vie musicale française sous la Révolution et l'Empire.

sarrusophone

Instrument à vent composite, de construction métallique, inventé en 1866 par le chef de musique Sarrus.

L'aspect général du sarrusophone est celui d'un ophicléide (sauf la version soprano qui est de forme droite), mais il est muni d'une anche double de basson au lieu d'une embouchure. Son doigté l'apparente au saxophone, ce qui a grandement facilité son adoption par les musiques militaires, les ensembles d'harmonie et même les orchestres symphoniques.

Sarti (Giuseppe)

Compositeur italien (Faenza 1729 – Berlin 1802).

Violoniste apprécié, organiste et compositeur de talent, il quitta l'Italie pour se fixer à Copenhague, en 1753, comme maître de chapelle puis directeur de l'Opéra italien et de la musique de cour ; il y demeura jusqu'en 1775, exception faite d'un bref voyage en Italie (1765-1768). De retour à Venise, il y donna quelques opéras, enseigna à Milan où il forma le jeune Cherubini et fit créer Giulio Sabino (1781) puis Fra i due litiganti (1782) qui fit fureur à Vienne, et que Mozart cita deux fois, en particulier dans Don Giovanni.

   En 1784, il succéda à Paisiello auprès de Catherine II à Saint-Pétersbourg où il demeura désormais. De même qu'il s'était consacré à former un théâtre de langue danoise, il s'employa à l'organisation de la musique en Russie, écrivant dans le plus pur style mozartien des oratorios russes, et organisant les spectacles de la cour avec un faste inattendu chez ce typique belcantiste (il alla jusqu'à joindre à son orchestre des carillons et des salves de canon). Il collabora avec Pashkevitch et Cannobio à la composition d'un opéra sur un livret de l'impératrice, puis se consacra essentiellement à ses fonctions d'enseignant, organisateur, critique, etc.

Sartori (Claudio)

Musicologue italien (Brescia 1913 – Milan 1994).

Il fut élève de Zampieri à l'université de Pavie, de Vittadini au conservatoire de cette ville, et de Gérold à Strasbourg. Après avoir été bibliothécaire, il fut, à partir de 1943, professeur de lettres au conservatoire de Bologne, puis à celui de Milan (1967). Il a collaboré à l'édition « Classici musicali italiani » et au Répertoire international des sources musicales. Il a effectué d'importants travaux de bibliographie, dont Bibliografia delle opere musicale stampate de Petrucci (1942) et Bibliografia della musica strumentale stampata in Italia fino al 1700 (1952). Ses recherches ont porté sur la musique italienne tant ancienne (Monteverdi, Scarlatti) que plus récente (Puccini, Malipiero), et tout particulièrement sur l'histoire musicale de Milan (Josquin Des Prés cantore del duomo di Milano, 1956 ; Musica nell'duomo e nella corte fino alla seconda metà del '500, 1961). Il a été rédacteur du Dictionnaire musical et de l'Enciclopedia Ricordi (1959, 1963-64), et a participé à la rédaction du nouveau Répertoire Vogel (1977).

Satie (Erik)

Compositeur français (Honfleur 1866 – Paris 1925).

Il naît d'une mère anglaise, de confession protestante, qui meurt en 1870, et d'un père courtier maritime, catholique. Sortant de pension en 1878, et marqué par la mort dramatique d'une grand-mère, il suit d'abord des leçons de piano d'un certain Vinot, élève de Niedermeyer. Son père se remarie avec Mlle Barnetsche, une pianiste, et il entre au Conservatoire de Paris (classes de piano, d'harmonie, de solfège ­ avec Lavignac), tout en se liant avec le poète Contamine de la Tour.

   Ses Ogives (1886), œuvres brèves et sérieuses pour piano, dans un style de « plain-chant » rigidifié et verticalisé par une harmonisation pleine, portent la trace de son intérêt pour le Moyen Âge, un Moyen Âge rude et stylisé, mystique. Elles sont suivies de Sarabandes (1887), dont on vantera plus tard la simplicité et l'harmonie, révolutionnaire dans son « tachisme », et des Trois Gymnopédies (1888), pour piano, qui sont devenues avec les Six Gnossiennes (1890-91) son œuvre la plus populaire (Debussy orchestra la première et la troisième) : le Satie aimé du grand public est là, avec sa mélancolie infinie.

   Il commence par gagner sa vie comme pianiste accompagnateur au cabaret du Chat-Noir, puis à l'auberge du Clou, où il fait la connaissance de Debussy. La découverte de la musique de l'Asie et de l'Europe centrale, à l'Exposition de 1889, aurait marqué les Gnossiennes, qui clôturent une première période d'œuvres effusives, sans autre but que l'expression. En effet, il éprouvera bientôt le besoin de mettre systématiquement son art, encore sobre et basé sur un « vocabulaire » assez réduit, au service d'une foi, d'une cause esthétique, fût-ce celle de la dérision. Bref, il ne se contente pas d'offrir sa musique toute seule, mais l'accompagne de mots, de manifestes, la fait épauler par des amis ­ tandis que lui-même demeure, dans sa vie la plus privée, un homme très seul.

   Ses premières pièces « engagées » et militantes sont pour le « Sâr » Joseph Péladan, sorte d'occultiste et mage, rénovateur du mouvement de la Rose-Croix : ce sont la musique de scène pour le Fils des étoiles (1891), un drame de Péladan, Trois Sonneries de la Rose-Croix (1891-92), pour piano, son instrument de prédilection, auquel sont destinés quelques préludes ainsi que des Danses gothiques (1893), et enfin un Prélude de la porte héroïque du ciel (1894) qu'orchestre Roland-Manuel.

   Puis Satie prend ses distances avec Péladan et fonde, peut-être pour rire, une Église métropolitaine d'art de Jésus conducteur, dont il est seul adepte, et dont il rédige le bulletin paroissial. Il y manifeste déjà son très grand talent d'écrivain humoriste. Sa Messe des pauvres (1895), pour orgue, prolonge, comme son titre l'indique, son esthétique « minimale », à base de juxtaposition d'accords très nus, enchaînés d'une manière statique et antifonctionnelle, qui fait penser à l'« archaïsme » reconstitué de certaines musiques pour films historiques.

   En 1898, Satie s'installe à Arcueil, dans une chambre retirée, « tour d'ivoire » où il ne laissait entrer, paraît-il, personne, et où il habitera jusqu'à sa mort. Sans doute tourmenté par la crainte que son inspiration ne réponde pas aux exigences de son orgueil (la crainte de l'impuissance artistique, pour tout dire), et aussi, peut-être, marqué par des déceptions d'ordre privé sur lesquelles il fut d'une très grande pudeur, c'est à Arcueil qu'il commence à « organiser son échec », donnant des titres dérisoires à une foule de recueils de pièces pour piano souvent pleins de talent et d'expression (Pièces froides, 1897 ; Trois Morceaux en forme de poire, 1903, pour piano à quatre mains ; Nouvelles Pièces froides, 1906-1910 ; Aperçus désagréables, 1908-1912 ; Préludes flasques et Véritables Préludes flasques pour un chien, 1912 ; Descriptions automatiques, 1913 ; Embryons desséchés, 1913 ; Vieux Sequins et Vieilles Cuirasses, 1913 ; Trois Valses distinguées du précieux dégoûté, 1914 ; Avant-Dernières Pensées, 1915 ; etc.) ­ pièces musicales qui volontairement visent court, et qu'il « parasite », comme le dit très bien Anne Rey, par des annotations burlesques d'exécution, ou par des petits poèmes qui sont de véritables « haïkus » humoristiques.

   Ses Mélodies pour chant et piano, destinées à Paulette Darty (1900) [Je te veux, la Diva de l'Empire, Tendrement, Poudre d'or], sont des parodies moins truculentes que celles de Chabrier, situées exprès à la limite où l'on ne peut décider si elles se situent au « second degré ».

   Mais il entretient une amitié admirative pour son confrère Debussy, qui de son côté l'estime sincèrement. Et quand, en 1905, Satie essaie de repartir sur un nouveau pied, entreprenant à trente-neuf ans des études de contrepoint à la Schola cantorum (dans la classe de Roussel, notamment), il ne faut pas y voir une provocation de plus, mais une tentative sincère (et menée avec sérieux, comme ses professeurs l'attestent) pour enrichir sa syntaxe et son vocabulaire musicaux. Des pièces comme En habit de cheval (1911), pour orchestre, nées après une certaine période de stérilité, profitent de cette expérience, puisqu'elles contiennent des fugues, du contrepoint ­ ce qui ne les a pas empêchées d'être mal reçues. Mais en même temps, l'esprit de révolte de Satie se durcit, il fait un principe de sa non-réussite, et décrète que l'art en est arrivé au « temps du dérisoire ».

   Même s'il est touché par le fait que des « jeunes » comme Ravel ou Alexis Roland-Manuel le découvrent, lui consacrent des concerts entiers et ressortent ses premières Sarabandes, il sent bien qu'il est souvent utilisé comme porte-étendard, comme prétexte pour diverses croisades dont il n'est pas lui-même l'initiateur : croisade anti-d'Indyste et anti-académique, puis croisade anti-impressionniste menée par Cocteau et le groupe des Six, croisade anti-art de Dada, etc. C'est le drame de Satie d'avoir vécu « dans sa chair » certaines impasses esthétiques, et d'avoir ouvert la voie à des innovations sur lesquelles d'autres bâtiront leur carrière d'un cœur beaucoup plus léger : musique « de fond » (qu'il appelle musique d'« ameublement ») ; musique graphique et conceptuelle, avec ses partitions calligraphiées accompagnées de dessins et de poèmes qu'il « défend de lire à haute voix » (Sports et Divertissements, 1914) ; musique de collage, avec les citations et les effets réalistes et bruitistes de Parade ; musique ininterrompue, de méditation, avec Vexations, pour piano, etc.

   Avec le ballet Parade (1917), créé au théâtre du Châtelet sur un argument de Cocteau, et des décors et costumes de Picasso, vient pour lui le temps du succès-malentendu. C'est en 1914 que Cocteau avait noué avec lui certains liens, en vue d'une collaboration future qui devait aboutir à ce « ballet cubiste », où Satie a fait sagement une musique conforme à l'esprit du projet : objective, orchestrée en « à plat », avec des effets de bruits très sommaires (machine à écrire, sirènes), des répétitions de thèmes élémentaires, des rythmes mécaniques (la machine fascinera toujours Satie) et sans trace de sentimentalité, mais aussi sans trace de la personnalité complexe de son auteur. Là encore, il ouvre la voie à la musique objective et apollinienne des répétitifs américains, mais dans un style marqué par l'autodérision, le « paupérisme » affiché.

   Il semble que le succès de scandale de Parade n'ait pas abusé Satie, et qu'il ait bien senti que sa musique y fonctionnait comme élément de décor, plutôt que comme objet esthétique. Cocteau, dans son libelle le Coq et l'Arlequin, jeta Satie en pâture à la postérité, comme exemple d'une nouvelle musique dégraissée, régénérée, saine, stylisée ­ une musique de la « ligne ».

   Mais l'œuvre où Satie met à la fois son ambition propre et son ambivalence, c'est le « drame symphonique » Socrate (1918), pour trois mezzo-sopranos, soprano, et orchestre de chambre, utilisant des fragments de dialogues de Platon dans la traduction de Victor Cousin pour évoquer la figure et la mort du sage grec. La commande en venait de cette généreuse mécène que fut la princesse de Polignac, et elle devait en principe permettre à Satie de se libérer de son encombrante « image de marque » de provocateur.

   Écrit dans un style de récitatif nu et austère, anti-expressif, c'est une gageure dans son parti pris de « blancheur » et de pauvreté, et on y voit à l'œuvre les procédés autodestructeurs par lesquels Satie barre délibérément la route à toute expressivité, à toute couleur ­ immobilisant et dévitalisant sa musique au maximum, comme si, à l'instar de Socrate, elle avait elle aussi bu la ciguë.

   En 1920, il s'associe à une autre expérience d'avant-garde, en collaboration avec Darius Milhaud, une « musique d'ameublement » servant d'intermède à une pièce de Max Jacob ­ nouvelle provocation anti-artistique. Puis voilà Satie, déjà traité en patriarche précurseur, bien qu'il ne soit guère âgé (mais son affectation de s'habiller en vieux professeur à lorgnons et barbiche y prêtait), qui se trouve associé au mouvement dada, à Tristan Tzara, à Picabia, pour lequel il écrit la musique du « ballet instantanéiste » Relâche (1924), comprenant une partition pour le film muet de René Clair Entr'acte, œuvre quasi suicidaire dans sa « simplicité saugrenue », comme le releva avec justesse et cruauté Roland-Manuel. Déjà, le ballet Mercure (1924), avec Picasso et Massine, avait fait crier à la lassitude devant cette musique trop dégarnie.

   En apparence, Satie n'est pas seul : des jeunes compositeurs qui le respectent, Henri Clicquet-Pleyel, Roger Desormière, Henri Sauguet, Maxime Jacob, s'associent avec lui et Charles Kœchlin pour former une « école d'Arcueil », du nom de sa « retraite », et dont il est l'esprit tutélaire, le grand-oncle. Mais, par une sorte de malédiction, tout ce mouvement se fait comme sur son dos : son personnage, plus que sa musique, est pris comme emblème. Il a tellement « marqué » sa musique de sa pittoresque figure, de ses titres, ses actes, ses manifestes, son humour, etc., que cette musique, dénudée de tout cela, dont elle semble indissociable, paraît souvent réduite à l'os. Et Satie ne s'est jamais entièrement consolé de ne pas avoir fait une œuvre autonome par rapport à lui-même, une œuvre qui, comme celle de ses pairs, puisse vivre toute seule, au-delà des étiquettes et des mouvements esthétiques.

   Vers la fin de sa vie, Satie se fâche plus ou moins avec une partie de ses admirateurs ; on le brouille avec la mémoire de Debussy, mort avant lui, et qui lui aurait « volé », prétend-on, l'esthétique de Pelléas et des innovations harmoniques. La manière, provocante et amère à la fois, avec laquelle Satie cultive son ressentiment donne à penser qu'il n'avait pu ou voulu « localiser » l'origine de son propre sentiment d'échec. Il meurt assez tristement le 1er juillet 1925 à l'hôpital Saint-Joseph, des suites, disent certains, d'une cirrhose du foie soigneusement cultivée.

   Puis son œuvre suit son chemin dans l'histoire, toujours revendiquée au service d'esthétiques diverses, rarement aimée de manière directe, pour elle-même. Aux États-Unis, notamment, John Cage rend un hommage retentissant au travail « indispensable » de pionnier accompli par Satie, qui devient, après avoir été considéré comme un « amuseur » ou un « mystificateur » par ses compatriotes, le musicien français le plus vénéré par l'avant-garde internationale. Mais ces œuvres à la fois faciles et inimitables que sont les Gymnopédies et les Gnossiennes lui valent une popularité authentique, dans le cœur du très grand public, loin de toute revendication posthume d'« avant-gardisme ».

   Satie n'était pas un créateur étriqué : il manie merveilleusement les mots, et se montre, quand il le veut, très musicien. Mais s'il fut « en porte-à-faux », c'est moins par rapport au public que par rapport à lui-même. Il ne renonça jamais vraiment à être le « grand musicien » qu'il reprochait aux autres de prétendre devenir, et sa musique n'est jamais complètement désinvestie de tout besoin d'exprimer quelque chose de son auteur, puisque son côté narquois ne fait souvent qu'en ressasser la dénégation. Rien de moins populaire et de plus « populiste », dans le sens militant et fastidieux du mot, que certains flonflons de Parade ou de Relâche, à côté d'une poignée d'œuvres brèves et sensibles, comme les Gymnopédies, qui méritent de conquérir le semi-anonymat et le repos des Classiques favoris.