Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
S

suite (fr., succession)

Forme musicale à plusieurs mouvements, à l'origine série de différentes danses (réellement dansées ou stylisées) écrites dans la même tonalité et pour le même instrument ou ensemble instrumental.

Les mouvements de la suite peuvent comporter des éléments thématiques commmuns (ce sont souvent les formules initiales), des structures harmoniques et formelles similaires : relations possibles, mais non obligatoires. Les mouvements peuvent aussi être thématiquement indépendants et unifiés uniquement par la présence de la même tonalité. La suite est constituée de mouvements fort différents : danses anciennes ne faisant plus partie de la pratique sociale de la danse, danses à la mode, danses stylisées et ornementées, pièces de type lied ou marche, pièces musicales non liées à la danse (cf. les suites de H. Purcell, Fr. Couperin, J. S. Bach). La suite en tant que forme cyclique de la musique instrumentale a une structure formelle beaucoup plus libre que celle de la sonate : elle a, en principe, un nombre variable de mouvements (danses ou non-danses), elle peut aussi être constituée d'une succession de plusieurs danses du même type, comporter des contrastes métrorythmiques et thématiques dans la succession des mouvements ou, au contraire, des mouvements similaires (c'est le cas des doubles qui varient la danse précédente). La différence entre suite et sonate, en tant que formes principales de la musique instrumentale, devient explicite au cours du XVIIIe siècle : après une période d'interaction et de mélange très fréquents des principes formels de sonate et de suite à l'époque baroque, la pratique musicale du XVIIIe siècle pose la distinction explicite entre la suite, forme cyclique liée à la danse, et la sonate, forme cyclique continuant la tradition de la sonata da chiesa.

Origine du terme

Le terme « suite » apparaît d'abord dans les publications d'Attaignant à Paris (cf. les Suyttes de bransles dans le 7e Livre de danceries [1557] d'Estienne du Tertre). La plupart des suites de branles sont alors constituées de morceaux à usage pratique et ne cherchent pas à former une œuvre cyclique unifiée. Les relations thématiques, mais aussi la présence de la même tonalité dans tous les mouvements, sont rares. Au XVIe siècle, la suite française comporte d'habitude 4 branles, avec accélération progressive vers la fin : branle double (lent), branle simple (calme), branle gai (animé) et branle de Bourgogne (rapide). Les deux premiers sont binaires, les deux autres ternaires.

   Autres dénominations pour la suite : partita (ital. partire, « partager », « séparer », « diviser »), c'est-à-dire succession de parties, de morceaux ou de danses ; ordre (cf. fr. succession, série), c'est-à-dire série de pièces (cf. les Ordres de F. Couperin) ; et, aussi, ouverture (ouverture française) en tant que suite ou succession de mouvements.

Évolution historique

À l'origine de la suite, aux XVe et XVIe siècles, se trouvent les couples de danses . La suite en deux mouvements comporte d'habitude une danse binaire relativement modérée ou lente (pavane, padoane, passamezzo) et une danse ternaire rapide (gaillarde, saltarello, proportio, Huplauf, Hopeldantz). Dans la pratique populaire, ces couples de danses sont connus sous les noms de Dantz et de Huplauf ; dans la musique de cour au XVIe siècle, ce sont la pavane et la gagliarde, puis la pavane et le saltarello, remplacés au cours du XVIIe siècle par le couple allemande-courante. Les suites les plus anciennes (XVe-XVIe siècles) sont constituées de deux, parfois de trois mouvements, toujours dans la même tonalité. Au cours du XVIe siècle, et surtout à la cour d'Henri IV (1589-1610), la suite française joue un rôle particulièrement important : étroitement liée à la pratique du ballet de la cour, elle se montre aussi influencée par les « masques » anglais ou les « balli » ou" mascherate » italiens. Le ballet de cour commence d'habitude par une « entrée », introduction solennelle en métrorythme binaire, et comporte une série de plusieurs danses relativement courtes (branles, gaillardes, courantes, gavottes, canaries, sarabandes, etc.), se succédant selon le principe de contraste métrorythmique et de tempo.

   La tradition italienne de la suite est marquée par le goût pour la variation. Les exemples les plus anciens du XVe siècle reposent en fait sur le principe de la variation rythmique. Un même « tenor » peut servir de base à plusieurs danses fortement différentes : la bassadanza grave, la quadernaria modérée, le saltarello animé et la piva très vive.

   Les tablatures de O. Pettrucci (1506-1508), les cycles triparties de J. Dalza ou les tablatures de luth de A. Rotta et D. Bianchini comportent des séries de danses qui poursuivent la tradition de la variation, tout en introduisant de nouvelles danses (passamezzo, gaiarda, padovana, etc.). La succession de trois danses est particulièrement fréquente dans la suite italienne. Ainsi, dans Intabulatura de lauto (1506) de Petrucci, le compositeur et arrangeur J. Dalza signale : " Nota che tutte le pavane hanno el suo Saltarello e Piva. " Les suites de D. Bianchini comportent aussi très souvent trois mouvements ­ pass'e mezzo, padoana et saltarello ­ fondés sur la variation du même matériau thématique. Assez fréquentes dans la musique instrumentale italienne de cette époque sont aussi les suites comportant plusieurs danses du même type (cf. les suites de P. Borrono, constituées d'une pavane et de trois saltarellos successifs), ainsi que les suites conçues comme compilations relativement hasardeuses de pièces de différents auteurs. La pratique des couples de danses est aussi très répandue : les suites italiennes à deux mouvements sont constituées de bassadanza et saltarello sur le même tenor au cours du XVe siècle, de pavana (ou pazzamezzo) et gaillarde (ou saltarello) sur le même matériau au cours du XVIe siècle.

   Les suites des luthistes italiens du XVIe siècle (Borrono, Rotta, Bianchini) deviennent très connues en Europe après leur publications par H. Gerle à Nurnberg et par Phalèse à Anvers. Chez M. Praetorius (Terpsichore, 1612), la suite égale la seguitur, c'est-à-dire la succession de plusieurs pièces. Dans sa préface, M. Praetorius précise que plus de 400 des mélodies dans Terpsichore lui ont été données par A. Emeraud, maître danseur français à la cour du duc de Brunswick. Les mélodies sont typiques pour le répertoire de la musique de cour sous Henri IV, liées à la pratique des ballets et des suites de branles. De ce fait, l'œuvre de Praetorius s'avère particulièrement significative en ce qui concerne l'évolution de la musique de danse française et la suite instrumentale liée à cette pratique.

   En Italie, en France et en Angleterre, l'évolution de la suite jusqu'à la fin du XVIe siècle est étroitement liée à la danse théâtrale en tant que pratique sociale. Les mascherate et balli en Italie, les ballets de cour en France, les masques anglaises déterminent les principes formels des suites instrumentales. Elles commmencent, en règle générale, par une entrée (intrada) et enchaînent des danses à la mode et des pièces, composées spécialement pour accompagner les actions théâtrales et le jeu mimique.

   Au début du XVIIe siècle, on observe une montée considérable de la musique instrumentale en Europe et une interaction permanente des styles nationaux italien, français, allemand, anglais, espagnol. La France exporte des maîtres danseurs et des luthistes virtuoses, les anthologistes allemands publient des collections comportant des œuvres instrumentales de musiciens étrangers et contribuent à l'expansion de la suite partout en Europe. La pratique instrumentale des suites est liée encore à la tradition des couples de danses et à la pratique vivante de la danse, mais aussi à la pratique vocale. La suite instrumentale est souvent la version sans texte d'une œuvre vocale. Ainsi, A. Brunelli publie en 1616 un « balleto » dans une version vocale à 5 voix avec texte (selon la tradition du madrigal) et une version instrumentale ornementée pour chitarrone per sonare solo senza cantare (« pour jouer seulement sans chanter »)[cf. Scherzi, lib. III, Venezia, 1616]. Ce « balleto » vocal et instrumental est structuré comme une suite à 3 mouvements, avec un ballo grave au début, une gagliarda comme deuxième mouvement et une corrente à la fin.

   L'interaction de la musique vocale et de la musique instrumentale dans le domaine de la suite est explicite aussi chez les compositeurs allemands (cf. les Neue liebliche Melodien, 1598-1606, ou Neue artige und liebliche Täntze, 1598-1606, de W. Haussmann). Parmi les premiers compositeurs auteurs de suites conçues en tant qu'œuvres cycliques pensées dans leur intégrité formelle, citons Peuerl (cf. Neue Padouan, Intrada, Däntz und Galliarda, 1611) et Schein (son Banchetto musicale, 1617, contient 20 successions de paduana, gagliarda, courante, allemande et tripla).

   La succession des mouvements typique pour la suite devient, au cours du XVIIe siècle, allemande, courante, sarabande et gigue. À ces mouvements principaux s'ajoutent souvent d'autres danses, une introduction, des doubles (versions ornementées de la danse précédente) ou des pièces relativement éloignées de la pratique vivante ou historiquement antérieure de la danse. C'est à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle que la gigue devient progressivement mouvement obligatoire de la suite, après l'allemande, la courante et la sarabande. On continue tout de même à écrire à la même époque des suites tripartites (allemande, courante et sarabande, sans gigue). Ce type de suite est très répandu chez les luthistes français et les maîtres danseurs de la cour française, chez les compositeurs de la English Consort Music (W. Lawes) et les compositeurs allemands, auteurs de suites pour clavier (J. Kindermann, J. Froberger) ou pour ensembles instrumentaux (J. Rosenmül-ler, N. Hasse, W. Fabricius, J. Beck, C. Abel). Les compositeurs italiens de la même période sont particulièrement attachés à la sonata da camera pour ensembles instrumentaux (Torelli, Concerti da camera, 1686), mais aussi à la suite pour instrument solo à 3 mouvements (chez les guitaristes A. Bartolotti, Fr. Corbetta) et pour ensembles instrumentaux (Torelli, Pasquini, B. Gianoncelli).

   La gigue s'impose commme mouvement obligatoire de la suite autour de 1650 dans les œuvres de J. Froberger en Autriche, de D. Gaultier en France, de Playford en Angleterre. Sa place à l'intérieur du cycle est, au départ, instable. Le manuscrit de Kassel de musique orchestrale française (1650-1688) comporte des successions : allemande-courante-gigue-sarabande. M. Weckmann écrit des suites pour clavier ; dans l'ordre : allemande-gigue-courante-sarabande, mais aussi allemande-courante-sarabande-gigue. Les anthologies de suites pour ensembles instrumentaux de J. Beck (1664, 1666) et K. Rieck (1658) comportent des suites selon l'ordre : allemande-gigue-courante-sarabande, avec interpolation d'autres danses. La place de la gigue à l'intérieur de la suite ­ la deuxième, juste après l'allemande, ou la dernière, terminale ­ est définie très souvent au XVIIe siècle non pas par le compositeur, mais par l'éditeur. Les premières suites avec la succession devenue classique (allemande-courante-sarabande-gigue) publiées en Allemagne sont destinées au luth (E. Reusner, Delitiae testudinis, 1667). La première publication allemande de suites pour ensemble instrumental avec cette succession date de 1668 (D. Becker, Musikalische Frühlings-Früchte). La structure ancienne tripartite (sans gigue) reste néanmoins largement répandue. C'est donc dans la suite baroque allemande (chez Froberger, Kuhnau, Pachelbel, Buxtehude, Reincken, Böhm) que s'affirme la succession typique de la suite. Le principe de variations relie très souvent l'allemande à la courante, ce qui donne au cycle plus d'unité et de cohérence. Généralement, les 4 mouvements sont thématiquement indépendants, mais toujours unifiés par la même tonalité. Vers la fin de l'époque baroque, la succession allemande-courante-sarabande-gigue est élargie par l'insertion de mouvements de type intermezzo, aria ou ballo (très souvent entre la sarabande et la gigue), voire introduction ou sonatina (au début). Au cours du XVIIe siècle, en Allemagne, se développe aussi le type suite-variations. C'est une suite en plusieurs mouvements, composés dans la même tonalité et fondés sur le même matériau thématique (cf. les suites-variations de Peuerl et de Schein). La succession habituelle pour les suites de Peuerl est la suivante : paduan-intrada-Dantz-galliarde.

   Les premières publications de suites du type allemande-courante-sarabande-gigue apparaissent en Angleterre : le Court-ayres de Playford est constitué de suites à 4 mouvements, écrites par les compositeurs W. Lawes, J. Cobb, W. Gregory, G. Hudson. Les structures en 3 mouvements (sans gigue) et en 4 mouvements (avec gigue) sont très fréquentes chez les clavecinistes anglais (Locke, Rogers, Sandley).

   Dans Der volkommene Capellmeister (1739), J. Mattheson définit la suite en tant que succession déterminée de quatre danses : « L'allemande… avant la courante, et celle-ci avant la sarabande et la gigue. On nomme leur succession de mélodies suite. » Cette définition correspond à une pratique concrète, largement répandue déjà au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle. Il n'existe pourtant, à l'époque de Mattheson, que relativement peu de suites constituées uniquement de ces 4 mouvements considérés comme obligatoires. Dans la plupart des cas s'ajoutent à ces mouvements principaux, au début de la suite, un prélude (praeludium) [chez H. Purcell, J. Fischer], une sinfonia ou sonata (chez J. Rosenmüller, D. Becker, J. Reincken), ou une ouverture (chez J. Kusser, G. Muffat, J.-S. Bach, G. F. Haendel). D'autres mouvements (loure, gavotte, menuet, aria, etc.) sont intercalés entre les mouvements de la suite, très souvent entre la sarabande et la gigue. Au XVIIe siècle, les préludes dans les suites pour instrument solo ne sont souvent que partiellement notés, et destinés en fait à l'improvisation de l'instrumentiste.

   La suite française de J. Champion de Charbonnière à Fr. Couperin a une structure particulière. Le nombre des mouvements, fort élevé, est très variable. Les suites de Couperin, par exemple, appelées ordres, comportent parfois plus de 20 mouvements. Les mouvements de la suite française sont d'habitude thématiquement indépendants, et souvent, quoique pas nécessairement, liés aux mouvements typiques de danses. Ils portent aussi des titres, sortes de programmes minimes qui indiquent le caractère général de la pièce (la Majestueuse, par exemple). Les principes formels des mouvements sont très simples : formes bipartites ou formes rondos. La suite française semble étroitement liée à la tradition du ballet scénique avec ses épisodes dansés (cf. les suites de Lully, Rameau). Au cours du troisième quart du XVIIe siècle, on trouve de nombreuses suites, conçues comme des successions de pièces dans la même tonalité, mais pas nécessairement du même compositeur. Cette pratique est un reflet de la vie musicale du temps, particulièrement active, et de l'expansion de la musique instrumentale, qui cherche largement son répertoire dans les opéras et les ballets les plus connus (les suites de D'Anglebert, par exemple, incluent des transcriptions de pièces provenant des ballets et des opéras de Lully). Au cours du XVIIIe siècle français, la suite occupe une place très importante dans l'œuvre instrumentale de Fr. Couperin, qui élabore trois types distincts de suites : les Nations : sonates et suites de symphonies en trio (1726), pour cordes et clavecin, sont, en fait, des « ordres » qui superposent les principes formels de la sonata da chiesa à ceux de la suite classique à la française, et sont destinées aux académies de musique et aux concerts particuliers ; les Concerts royaux (1722), pour clavecin, cordes et vents, sont constitués d'un prélude et d'une succession assez libre de pièces avec titres-programmes (Air tendre, Plainte, la Tromba, par ex.) ; les Concerts et Apothéoses (1724-25) sont des suites liées aux représentations théâtrales et, de ce fait, supposent une mise en scène et un contenu sémantique explicité dans les titres. Les Concerts royaux et les Apothéoses sont destinés aux concerts de chambre pour le roi. La suite chez Couperin est conçue comme un ordre libre et relativement ouvert : elle comporte les pièces obligatoires, mais aussi des pièces à titres, et n'exige pas l'exécution de toutes les pièces de l'ordre. Les similarités thématiques entre les mouvements de la suite française sont en principe relativement rares. Les mêmes pièces peuvent parfaitement faire partie de différentes suites. Toutes ces particularités de la suite française indiquent qu'elle n'est pas pensée comme une « œuvre totale » (comme c'est le cas de beaucoup de suites allemandes et surtout des suites-variations), mais comme une œuvre ouverte, toujours apte à accepter de nouveaux mouvements, conformément à l'usage et aux nécessités concrètes de la vie musicale. Parmi les auteurs les plus importants de suites pour clavecin et ensembles instrumentaux : Louis et François Couperin, J. F. Dandrieu, L. Marchand, E. Jacquet de la Guerre, N. Siret, L. A. Dornel, J.-Ph. Rameau.

   La suite joue un rôle particulièrement important dans les œuvres instrumentales de Bach et de Haendel. Bach a écrit plus de 40 suites instrumentales. Ses Suites françaises (1720) comportent les 4 danses fondamentales, auxquelles s'ajoutent, entre la sarabande et la gigue, d'autres danses, de 2 à 4. Le titre original Suites pour le clavecin a été remplacé plus tard par le titre Suites françaises, par opposition, très vraisemblablement, aux Suites anglaises, composées « pour les Anglais ». Les Suites françaises n'ont pas de prélude et comportent un nombre variable de pièces entre la sarabande et la gigue. Les Suites anglaises (autour de 1720) commencent toujours par un prélude (d'où leur titre original Suites avec préludes) et comportent la succession des 4 mouvements obligatoires, avec l'insertion de doubles ou d'autres pièces entre la sarabande et la gigue. Les partitas (1731) ont des préludes d'une écriture très variée, avec des titres différents. Elles comportent aussi une aria (ou air) entre la courante et la sarabande, ainsi que d'autres danses entre la sarabande et la gigue. Les 6 Suites pour violoncelle solo, toujours avec prélude, reproduisent le principe des Suites anglaises. Les 3 Sonates et les 3 Partite pour violon solo ont une structure plus libre et plus riche et forment une encyclopédie musicale extraordinaire de l'art du violon (cf. la chaconne de la Partita no 2 en mineur ou la fugue de la Sonate no 3 en do majeur). Les 4 suites orchestrales sont aussi d'une écriture musicale et d'une structure formelle assez libres.

   Les suites orchestrales de Haendel, mais aussi ses ouvertures à plusieurs mouvements, témoignent d'une grande liberté dans le choix de leurs mouvements constitutifs. Les suites pour clavecin, par contre (plus de 20), contiennent toujours les 4 danses devenues obligatoires : allemande, courante, sarabande et gigue (c'est également la structure des deux Suites pour la princesse Louise, 1736). Dans les suites de Haendel, on observe aussi l'interaction des différents styles, l'italien et l'allemand, par exemple, dans ses grandes suites de 1720.

   La suite baroque évolua jusqu'à la première moitié du XVIIIe siècle. Plus tard, elle fut presque remplacée par le divertimento, la sérénade, et surtout par la sonate et la symphonie. Dans la pratique de la danse, les vieilles danses cèdent leur place au Ländler, à la valse, à la polka, etc. Des diverses danses de la suite, seul le menuet survécut dans la sonate ou la symphonie classiques. À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, l'évolution de la suite prend diverses directions. Les suites de L. Mozart (cf. Notenbuch seinem Sohne Wolfgang Amadeus… geschenkt, 1762) sont en fait des successions de pièces de différents auteurs. Le successeur direct de la suite baroque est le divertimento. Le principe formel de la suite subsista néanmoins pour certaines œuvres musicales de l'époque classique, et même jusqu'à l'époque contemporaine, parfois sous l'aspect de copies ou de pastiches stylistiques (cf. Mozart, Klaviersuite KV 399 ; Reger, Suite im alten Stil op. 93 ; Debussy, Suite bergamasque ; Ravel, le Tombeau de Couperin ; Poulenc, Suite française ; Schönberg, Suite op. 25 ; Berg, Suite lyrique).

   À l'époque classique, la suite est évincée par la sonate et la symphonie. La tradition de la suite baroque est maintenue dans les suites de danses (de 6, voire de 12 du même genre), souvent organisées par des relations tonales symétriques (chez Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Dittersdorf, Hummel). Après 1800, la suite évolue exclusivement en tant que suite de ballet, pot-pourri d'opéras ou suite de musique militaire. Au cours du XIXe et du XXe siècle, la suite est très souvent une série de pièces issues d'un ballet, d'un opéra, d'une musique de scène, d'un spectacle théâtral ou d'un film. La suite du XIXe siècle est d'habitude liée à un programme (cf. la suite Schéhérazade de Rimski-Korsakov, la suite Peer Gynt ou la suite Aus Holbergs Zeit op. 40 de Grieg) et comporte plusieurs pièces contrastantes, liées aux genres musicaux très différents. Une forme particulière de la suite romantique est constituée par les cycles de miniatures chez Schumann : Papillons, Kreisleriana, Carnaval, Faschingsschwank aus Wien sont en fait des suites de pièces aux caractères forts différents, liées à une idée poétique unifiante et à des relations thématiques, tonales ou de texture agissant à distance. Les suites de miniatures représentent une des manifestations les plus significatives de la musique à programme et des recherches formelles de l'époque romantique. Les principes formels de la suite interfèrent souvent avec ceux de la sonate et du cycle de la sonate ou la symphonie (cf. les Études symphoniques pour piano de Schumann ou son Manfred, « poème dramatique : fragments disposés en suite d'orchestre »). Au cours du XIXe et du XXe siècle les danses continuent à faire partie des mouvements de la suite, sans que leur rôle soit aussi important qu'à l'époque baroque. La valse, mais aussi la marche, l'élégie, le scherzo, le nocturne, la romance, ainsi que des pièces avec des titres-programmes indiquant leur caractère général (cf. le Jeu des sons, les Rêves de l'enfant dans la Deuxième Suite pour orchestre de Tchaïkovski) sont également admis dans la suite. Les relations tonales et thématiques à l'intérieur de la suite du XIXe siècle deviennent beaucoup plus libres : chaque mouvement peut être écrit dans une tonalité différente ; la même tonalité n'est même plus obligatoire pour le premier et le dernier mouvement du cycle ; les relations thématiques à distance sont liées dans chaque cas au programme sémantique concret et au projet formel global de l'œuvre. La structure formelle des mouvements est aussi beaucoup plus complexe que celle des danses de la suite baroque : les pièces qui constituent la suite peuvent avoir la structure formelle de forme bi– ou tripartite simple, mais aussi la structure de forme tripartite complexe, de rondo, thème et variations, sonate ou rondo-sonate. Le nombre des mouvements qui constituent la suite est aussi très variable.

   Après le déclin de la suite baroque, sa tradition se perpétue, considérablement transformée, dans les suites de ballets (cf. Tchaïkovski, Casse-Noisette ; Prokofief, les suites de l'Amour des trois oranges et de Roméo et Juliette). Au XXe siècle, la suite évolue dans une optique néoclassique (cf. les suites « à l'antique » de Hindemith d'après Gervaise, de Stauss d'après Couperin, d'Egk d'après Rameau, de Stravinski d'après Pergolèse) et dans des orientations stylistiques très différentes (cf. Satie, Chapitres tournés en tous sens ; Bartók, Tanzsuite pour orchestre, Suite op. 14 ; Schönberg, Suite pour cordes, Suite pour piano op. 25 ; Berg, Suite lyrique ; Stockhausen, Momente, etc.).