Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
C

clavicorde (en angl. clavichord ; en all. klavichord) (suite)

La musique écrite pour le clavicorde

À ses débuts, aux XVe et XVIe siècles, les pièces écrites « en tablature » concernent indifféremment tout instrument à clavier quel qu'il soit. Nous avons vu que la possibilité d'adjoindre un pédalier au clavicorde lui permet même d'aborder la littérature propre à l'orgue. Les choses n'évoluent qu'au cours du XVIIIe siècle, à une époque où l'instrument commence à être reconnu et apprécié pour ses qualités sonores spécifiques et non plus comme simple instrument de travail. Tous les grands organistes allemands pratiquent le clavicorde, sans que ce choix soit précisé outre mesure dans leurs œuvres : l'écriture seule permet de choisir un instrument plutôt qu'un autre. Ainsi écrivent Froberger (1616-1667), Buxtehude (1637-1707), Pachelbel (1653-1706), Fischer (1665-1746) et Kuhnau (1660-1722). Avec J. S. Bach (1685-1750), les choses évoluent : si les suites anglaises et les partitas nécessitent un instrument relativement étendu comme le clavecin d'alors (de sol à ), les œuvres purement didactiques comme les inventions, les suites françaises ou le Clavier bien tempéré se cantonnent dans la limite des quatre octaves du clavicorde, d'ut à ut. Il appartiendra à deux de ses fils, Wilhelm Friedemann (1710-1784) et surtout Carl Philipp Emanuel (1714-1788) de valoriser le caractère si particulier du clavicorde. Ce n'est certes pas par hasard que Mozart possède un clavicorde (« lié ») qu'il affectionne tout particulièrement, et c'est avec une sorte de tendre complicité que Carl Philipp Emanuel écrit, en 1781, un merveilleux rondo Abschied von meinem Silbermann'schen Clavier. En effet, aucun autre instrument ne peut traduire avec autant de délicatesse et de spontanéité les états d'âme des musiciens de cette fin du XVIIIe siècle. Instrument de la plus rigoureuse intimité, l'art du clavicorde saura être cultivé en secret des dizaines d'années encore, puisqu'un Busoni n'hésitera pas à lui dédier ses « pièces pour clavicorde à pédalier ».

clavicytherium

Instrument de musique à clavier et à cordes pincées de la famille du clavecin.

Sébastien Virdung emploie le premier le terme de clavicytherium pour désigner un type de clavecin vertical, dans le Musica Getutscht de 1511. Il en signale la nouveauté en précisant que les cordes sont généralement en boyau, ce dont doutent les organologues modernes. Le plus ancien clavicytherium connu est conservé au Royal College of Music de Londres et s'apparente à la facture italienne ; il semble remonter au premier quart du XVIe siècle.

   Le mécanisme du clavicytherium est un peu plus complexe que celui du clavecin, car les sautereaux, disposés horizontalement dans leurs registres, ne peuvent retomber par leur propre poids. Les facteurs eurent l'idée d'attacher chaque sautereau à une sorte d'équerre, solidaire du levier de touche : le poids supplémentaire de ce « renvoi » suffit en principe à ramener le sautereau à sa position initiale. Certains facteurs ont cependant utilisé des ressorts à cet effet, compliquant ainsi le mécanisme tout en le rendant plus fragile.

   Bien entendu, le clavicytherium a suivi l'évolution de la facture au cours des siècles, mais la production en a toujours été limitée. Quelques facteurs semblent s'en être fait une spécialité, ainsi qu'en attestent certains instruments prestigieux, comme celui de l'empereur Léopold Ier de Habsbourg, construit vers 1675 par Martin Kaiser (Kunsthistorisches Museum de Vienne), et surtout ceux fabriqués à Tournai par Albert Delin entre 1750 et 1780.

   Ce type de construction permet un gain de place important par rapport au clavecin traditionnel, et le musicien assis à son clavier bénéficie pleinement de la sonorité de la table d'harmonie disposée verticalement, face à lui. Le réglage de la mécanique, plus délicat, a cependant freiné l'expansion de ce type d'instruments.

clavier

Ensemble de touches mettant en fonctionnement les organes émetteurs du son d'un instrument de musique (tuyaux, anches, cordes, lames, oscillateurs électroniques, etc.), sous l'action des doigts, des mains ou des pieds de l'exécutant ­ dans ce dernier cas, on l'appelle généralement pédalier.

On trouve des claviers sur de nombreux instruments à vent (orgue, accordéon, régale, harmonium), à cordes pincées (clavecin, épinette, virginal), à cordes frappées (piano, hammerflügel, clavicorde), à percussion (célesta, glockenspiel, carillon), ainsi que sur les instruments électroniques (orgues, synthétiseurs). Le clavier peut également ne faire que modifier la hauteur des sons sans en provoquer l'émission : c'est le cas de la vielle à roue.

   La forme et l'étendue des claviers ont beaucoup évolué avec les siècles et selon les instruments. Un clavier rudimentaire apparaît dès les hydraules de l'Antiquité et les premiers orgues connus (époque carolingienne). Ce ne sont tout d'abord que quelques tirettes ouvrant le passage de l'air aux tuyaux de l'instrument, comme le feraient des clés ­ d'où le nom de clavier. Progressivement, des baguettes associées à des soupapes se substituent aux tirettes. Au XVe siècle, des touches larges et peu profondes remplacent définitivement les dispositifs antérieurs ; elles sont alignées en deux rangées et correspondent à la gamme chromatique complète : les sept notes diatoniques (ou notes blanches de notre piano actuel), côte à côte, et un second rang présentant les cinq notes altérées, ou « feintes ». Peu à peu, les touches s'allongent et se font plus étroites ; au début du XVIIe siècle, le clavier est constitué à peu près sous la forme que nous lui connaissons au XXe siècle. Les touches sont généralement faites en tilleul et plaquées d'ivoire ou d'ébène, en une alternance de noir et de blanc qui a varié selon les époques ; basculant autour d'une pointe, en leur centre ou en leur extrémité, elles actionnent soupapes, sautereaux, marteaux, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un système de transmission du mouvement mécanique, quand elles ne se contentent pas de réaliser un simple contact électrique.

   L'étendue du clavier du clavecin, puis du piano, ne va cesser de s'accroître trois siècles durant. Au début du XVIIe siècle, elle atteint en général quatre octaves. Mais dès cette époque, des facteurs tendent à l'accroître vers le grave, en « aval », d'une quinte (clavier à « ravalement »), parfois même d'une octave entière (« grand ravalement »). À l'orgue, on utilisa assez souvent les deux ou trois premières touches altérées dans le grave, inemployées par l'écriture musicale de cette époque, pour leur faire jouer les notes diatoniques inférieures sans allonger le clavier ; on appela cette disposition l'« octave courte ». Jusqu'à Mozart, le clavier du clavecin ne dépasse pas cinq octaves. Le piano-forte atteint six octaves au début du XIXe siècle (Beethoven), et bientôt six octaves et demie (Schumann, Chopin). Le piano va peu après se stabiliser à sept octaves et une note, soit 85 touches, de la à la. Aujourd'hui, on monte à 88 notes, jusqu'au do aigu ; et certains pianos de concert prolongent dans le grave leur étendue, de deux notes et même davantage (parfois jusqu'au do grave, réalisant un instrument de 8 octaves, soit un clavier de 97 touches), pour donner plus de profondeur aux résonances.

   Les claviers d'orgue, au contraire, se sont beaucoup moins agrandis : les jeux sonnant à l'octave ou à la double octave n'en rendaient pas l'extension nécessaire. Au XVIIIe siècle, ils ne comptent que 54 notes (quatre octaves et demie, de do à fa), portées à 56 notes au XIXe siècle (do à sol). Au XXe siècle, ils atteignent parfois 61 notes (cinq octaves, de do à do). Aux différents claviers de l'orgue correspondent des types de jeux et des caractères de timbres qui s'organisent en plans sonores. Ils portent des noms que leur ont légués la tradition et la fonction qui leur est dévolue : grand orgue et récit ou positif, sur les instruments à deux claviers ; grand orgue, positif et récit sur ceux à trois claviers. Les claviers supplémentaires sont nommés écho, bombarde ou grand chœur, selon l'esthétique des instruments. Les orgues de facture allemande distinguent souvent deux claviers de positif : positif de dos (Rückpositiv) et positif de poitrine (Brustwerk).

   Diverses tentatives de modification du clavier ont été proposées, pour jouer des notes supplémentaires (quarts de tons), ou pour permettre une virtuosité ou des effets que l'on espérait accrus. Elles ont toutes avorté. Seul s'est répandu, sur les harmoniums, le système de clavier transpositeur : l'ensemble des touches peut se déplacer dans un châssis par rapport à la mécanique de l'instrument, pour permettre aux exécutants ne sachant pas transposer de jouer toujours un morceau de façon identique sur le clavier, tout en le faisant entendre dans une autre tonalité.