Dictionnaire de la Musique 2005Éd. 2005
R

Reinagle (Alexander)

Pianiste, pédagogue et compositeur américain d'origine anglaise (Portsmouth, Angleterre, 1756 – Baltimore 1809).

Né de parents autrichiens, il correspondit avec Carl Philip Emanuel Bach. En 1786, il s'embarqua pour les États-Unis et s'installa à Philadelphie. Organisateur de concerts, directeur musical de plusieurs théâtres ou sociétés artistiques, il composa des œuvres vocales et instrumentales, en particulier des sonates pour clavier avec ou sans accompagnement.

Reinecke (Carl)

Compositeur, pianiste et chef d'orchestre allemand (Altona 1824 – Leipzig 1910).

Formé par Mendelssohn et Schumann, pianiste à la cour de Christian VII à Copenhague (1846-1848), il occupa divers postes avant de devenir chef d'orchestre des concerts du Gewandhaus de Leipzig (1860-1895) et, à partir de 1860, professeur de piano et de composition au conservatoire de la même ville, qu'il dirigea de 1897 à 1902. Pianiste éminent, il a écrit dans tous les genres : opéras, 3 symphonies, 4 concertos pour piano, concertos pour violon, violoncelle, harpe, flûte, musique de chambre, dont la sonate pour flûte et piano opus 167 Undine (v. 1885).

Reiner (Fritz)

Chef d'orchestre hongrois naturalisé américain (Budapest 1888 – New York 1963).

À l'Académie Franz-Liszt de Budapest, il étudie le piano avec Istvan Thoman et la composition avec Hans Koessler (qui furent également les professeurs de Bartók), tout en poursuivant des études de droit. Il débute à l'opéra-comique de Budapest en dirigeant en 1909 Carmen. Il est successivement chef d'orchestre du Landestheater de Laibach en 1910 (aujourd'hui Ljubljana), du Volksoper de Budapest (1911-1914), où il donne la première audition hongroise de Parsifal, et du Hofoper de Dresde, où il succède à Ernst von Schuch comme chef principal (1914-1921).

   Quelques rencontres le marquent profondément : celles des chefs d'orchestre Nikisch et Muck, des compositeurs Richard Strauss (il dirige en 1919 la première allemande de la Femme sans ombre) et Mahler, qu'il s'attachera à faire connaître aux États-Unis où il émigre en 1922, pour succéder à Ysaye à la tête de l'Orchestre symphonique de Cincinnati. Il y donne notamment les premières américaines de la Suite de danses (1925), de la suite du Mandarin merveilleux (1926) et du Premier Concerto pour piano (1928) de Bartók, avant d'être en 1943 le créateur auprès du compositeur et de sa femme du Concerto pour deux pianos, percussion et orchestre, tiré de la Sonate pour deux pianos et percussion.

   Se consacrant essentiellement à l'enseignement de 1931 à 1938, au sein du Curtis Institute de Philadelphie (Leonard Bernstein compte parmi ses élèves), il se produit régulièrement avec l'orchestre symphonique local, celui de Chicago et le Philharmonique de New York. Il dirige en 1937 à Philadelphie la création d'Amelia au bal de Menotti. De 1938 à 1948, il prend en main les destinées de l'Orchestre symphonique de Pittsburgh, dirige au Metropolitan Opera de New York de 1948 à 1953 (notamment, en 1953, la première américaine du Rake's Progress de Stravinski) et, à partir de 1953, l'orchestre symphonique de Chicago, qui devient sous sa baguette l'un des meilleurs du monde.

Reinken (Johann Adam)
ou Johann Adam Reincken

Compositeur et organiste allemand ( ? 1623 – Hambourg 1722).

Après un séjour en Hollande, à Deventer, il s'établit à Hambourg où il devint l'élève de Scheidemann, avant d'être son assistant (1658), puis son successeur (1663) à l'orgue de l'église Sainte-Catherine, l'un des plus beaux et des plus riches de toute l'Allemagne.

   Lorsqu'il était élève de la Michaelisschule de Lüneburg (1700-1703), Jean-Sébastien Bach vint à plusieurs reprises écouter celui qu'avec Buxtehude on considérait alors comme le plus grand organiste de son temps. Il se fit plus tard entendre de lui, en 1720, quand il postula le poste d'organiste de l'église Saint-Jacques ; Reinken, âgé de quatre-vingt-dix-sept ans, lui déclara, après l'avoir écouté improviser sur le choral An Wasserflüssen Babylons, que lui-même avait traité : « Je croyais cet art mort, mais je vois qu'il vit encore en vous » ­ témoignage qui montre bien l'influence des maîtres du Nord sur le jeune Bach. Mais celui-ci put aussi entendre à Hambourg les ouvrages lyriques représentés sur la scène de l'opéra du Gänsemarkt (ou « marché aux oies »), fondé en 1678 par Reinken et Johann Theile, puis dirigé par Reinhardt Keiser.

   L'essentiel de l'œuvre connue de Reinken a été publié en un recueil, Hortus musicus (« Jardin musical ») en 1687, pièces de musique de chambre pour deux violons, viole de gambe et basse continue. On possède aussi de lui des variations instrumentales (Partite diverse), des pièces d'orgue (deux fantaisies et des variations sur des chorals, deux toccatas, quelques fugues) et une cantate d'église, Es erhub sich ein Streit. Reinken est l'un des plus brillants représentants de l'école d'orgue de l'Allemagne du Nord, caractérisé par sa virtuosité des mains et des pieds et la richesse de ses registrations.

Renaissance

Période de l'histoire des arts en Europe que l'on situe à peu près, en ce qui concerne la musique, dans la seconde moitié du XVe siècle et au XVIe siècle.

Comme son nom l'indique, on la considère comme une ère de floraison, de réveil des idées et d'humanisme, après ce couvre-feu obscurantiste qu'aurait été le Moyen Âge. La réalité n'est pas si simple et bien des traits que l'on considère comme caractéristiques de la Renaissance étaient annoncés depuis longtemps.

   Plusieurs traits dominants caractérisent la période de la Renaissance du point de vue musical. D'abord, ce qui justifie le nom donné à cette période, c'est un renouveau d'intérêt pour l'Antiquité grecque et latine, et notamment pour les écrits de théorie musicale légués par ces cultures : Platon, Aristote, Aristoxène de Tarente, Aristide, Quintilien, Boèce, etc. On spécule beaucoup sur ce que ces écrits laissent entendre quant aux « effets » moraux ou magiques liés à l'emploi de certains modes et de certains rythmes, et on essaie plus ou moins de faire revivre la lettre ou l'esprit de cette musique mythique, dont il ne reste pratiquement aucune trace musicale directe. Le célèbre Marsile Ficin (1433-1499), prêtre helléniste, platonicien déclaré, élabore une théorie sur les « effets » de l'art des sons, qui aura une certaine influence sur ses contemporains (traité De Triplici Vita, 1489). Cette théorie reprend aux Anciens le principe de l'« ethos », c'est-à-dire de l'effet moral attribué à chaque mode en particulier, et prêche pour les retrouvailles d'une unité « perdue » entre texte et musique, comme du temps de Platon. On publie ainsi de nombreux traités théoriques (V. Galilei, Dialogo della musica antica e moderna, 1581, et surtout Gioseffo Zarlino, 1517-1590, auteur des Institutioni harmoniche, 1558, dont le travail contribuera à la définition de la gamme tempérée). Quelques-uns tentent même de refaire de la musique « à l'antique » : Ludwig Senfl, Paul Hofhaimer (1459-1537), qui s'attaque à la mise en musique des Odes d'Horace, comme le feront aussi Claude Goudimel (1555) et P. T. Tritonius.

   Avec Jacques Mauduit et Claude Le Jeune, Goudimel est le plus grand chercheur dans le domaine de la musique « mesurée à l'antique », s'efforçant de retrouver les mètres de la musique ancienne, fondés sur des alternances de longues et de brèves, et parfois ses modes particuliers, tout en visant une étroite fusion du texte et de la musique. Ce projet « volontariste » et savant (on peut le comparer au courant français sériel d'après la Seconde Guerre mondiale) aboutit à un nombre limité d'œuvres plutôt expérimentales, qui en raison de leur difficulté et de leur caractère dissymétrique et tourmenté seront sans postérité directe, mais contribueront à assouplir la rythmique de la musique française (le Printemps, de Claude Le Jeune). Dans cette entreprise, l'Académie de poésie et de musique, fondée vers 1570 par Jean-Antoine de Baïf et Thibault de Courville, a joué un certain rôle, en se donnant pour objectif de « renouveler l'ancienne façon de composer des vers mesurés pour y accommoder le chant, pareillement mesuré selon l'art métrique » ; il s'agit aussi de mettre au point une métrique spécifique à la langue française, et non calquée sur le chant italien. C'est pendant la Renaissance qu'on situe l'apparition d'une conscience verticale de la musique, non plus seulement comme superposition de lignes, mais aussi comme enchaînements d'accords ­ ceci en liaison avec des recherches « expressives » souvent accrochées au mot à mot du texte. De cette naissance de la mélodie accompagnée, les Italiens, en favorisant le chant du soprano, auraient été les principaux responsables.

   La primauté de l'Italie s'affirme, qui vole à la Flandre son sceptre de « patrie de la musique » en Europe, et qui s'impose comme le centre de la création musicale, comme elle l'est aussi pour les arts plastiques. Au début du XVIe siècle, l'Italie importe beaucoup d'étrangers, des Français, des Allemands, des Flamands, possédant la prestigieuse science polyphonique, mais qui, au contact de la musique populaire italienne, et surtout de cette langue si propice au chant, créent un style plus coulant et plus « cantabile » : le Flamand Willaert, maître de Zarlino et de Gabrieli, est élu maître de chapelle de Saint-Marc à Venise en 1527, et c'est là qu'il fonde l'école vénitienne, développant (avec d'autres, comme Philippe Verdelot, à Florence) le genre du madrigal, et aussi celui du ricercar. Lancé par des non-Italiens, le madrigal, forme savante issue de la chanson populaire italienne, ou frottole, croisée avec la chanson polyphonique franco-flamande, trouve en Italie son apogée, en tant que genre expressif, inspirant, pour coller au texte et provoquer de l'effet sur l'auditeur, des chromatismes échevelés et des accords très marqués comme tels. Après les madrigalistes de la « deuxième génération », comme Ingegneri, Merulo, Palestrina, de Monte, c'est la frénésie expressive des madrigalistes de la « troisième génération » : Luca Marenzio, Monteverdi, Gesualdo. Le modèle du madrigal sera repris et adapté par les Anglais à la fin du XVIe siècle (Byrd, Gibbons, Dowland, Wilbye, etc.) et sera à l'origine des différents genres de chant accompagné. Par ailleurs, la musique italienne commence à se diffuser et à s'exporter à l'étranger, s'implantant dans les capitales étrangères, Paris, Londres.

   L'imprimerie se développe au cours du XVe et du XVIe siècle, avec des éditeurs comme Pierre Attaingnant, Adrien le Roy en France, Susato et Phalèse en Flandre, Schöffer en Allemagne, et plus tardivement Tallis en Angleterre. Un des grands faits liés à la floraison de musique imprimée est l'invention de la tablature pour noter les parties destinées à l'exécution instrumentale, par le luth, l'orgue, la viole de gambe, la guitare, etc., favorisant l'émergence d'une musique spécifiquement instrumentale, émancipée de sa fonction de doublure ou de substitut du chant. Dans ces tablatures, en effet, la partie supérieure est souvent seule destinée au chant, les autres devant être exécutées en accompagnement par l'instrument, qui d'instrument accompagnateur (et plus seulement doubleur) deviendra bientôt « soliste » à part entière. Les premières tablatures de luth et d'orgue datent du début du XVIe siècle. Parallèlement, se développe la facture instrumentale ; on élargit le registre des instruments, on en diversifie les formes, les fabriquant systématiquement par « familles » de quatre (nommées aujourd'hui : basse, ténor, alto, soprano) : c'est le cas des flûtes à bec, des violes, des cromornes, etc. Le luth devient au XVIe siècle l'instrument domestique le plus utilisé, comme plus tard le clavecin, et plus tard encore le piano. Des genres spécifiquement instrumentaux, qui s'appuient plus ou moins sur la virtuosité, le toucher, commencent ainsi à naître : le ricercar, le prélude, la variation, etc.

   La Réforme religieuse suscite un renouveau, voire un bouleversement de la musique religieuse, notamment par le choix de la « langue vulgaire » pour célébrer les rites. Luther, contrairement à d'autres, est favorable à l'emploi de la musique et du chant ; il répand l'usage du cantique populaire en langue allemande, ou choral, ce choral dont Walther, Senfl, Dietrich, et, dit-on, Luther lui-même ont créé le répertoire de base, et qui sera le soubassement de la musique religieuse germanique pendant des siècles. En France, Calvin fait mettre en musique des psaumes en vers français de Marot et Théodore de Bèze, par les compositeurs Janequin, Goudimel, Philippe Jambe de Fer, etc., qui constituent un répertoire de psaumes harmonisés ou de polyphonies (Psautier genevois, 1562, publié par Calvin), lequel sera très loin d'avoir le même retentissement populaire et historique que le choral luthérien ; là encore, on retrouve les problèmes typiquement français de créer une tradition en langue vulgaire, et de faire le lien entre musique religieuse savante et musique populaire.

   Dans le monde catholique, le concile de Trente répond aux innovations liturgiques des protestants par un effort pour assainir sa propre liturgie, et pour la rendre en même temps plus proche des vraies sources et plus efficace : ainsi, il préconise une simplification de la luxuriance polyphonique, pour rendre son intelligibilité au texte et son rang premier à la parole sacrée, que noient les arabesques d'écriture. On encourage ainsi le style « note contre note », homorythmique, dont sortira une conscience harmonique plus forte. Cependant, même si Palestrina, Lassus, en Espagne Juan del Encina, en Angleterre Byrd et Dowland évoluent vers un style plus simple, il reste que, dans la tradition musicale catholique, c'est le « stilo antico » sévère, apollinien et parfaitement horizontal du contrepoint palestrinien qui sera définitivement consacré comme style classique, comme source à laquelle s'efforceront de revenir les vagues successives de « retour à la tradition » dans la musique religieuse, au XVIIe, au XVIIIe, au XIXe et même au XXe siècle, pour combattre les dégénérescences mondaines, théâtrales ou expressionnistes de la musique religieuse catholique.

   La circulation des textes et des hommes et le développement des échanges commerciaux et culturels contribuent à la fois à propager des styles (comme le style italien), et à faire se cristalliser, par réaction, des tendances nationales. Roland de Lassus est considéré comme le type du grand musicien cosmopolite reconnu et demandé dans toute l'Europe, et qui prend son bien où il le trouve. En même temps, les genres nationaux s'affirment, comme le madrigal italien, ou le madrigal anglais, d'un autre style (Byrd, Morley, Dowland, Gibbons), dont le développement est contemporain de l'âge d'or élisabéthain ; la chanson française (Janequin, Costeley, Certon, Sermisy, etc.) ; les genres religieux, comme le choral luthérien ; et les genres instrumentaux, évoqués plus haut. À travers ces formes, qui tendent souvent vers le style « note contre note », l'équilibre initial entre contrepoint et harmonie est subtilement dérangé en faveur de l'harmonie : de la prise de conscience harmonique, et du style « mélodie accompagnée » sortira naturellement l'opéra comme genre expressif et dramatique polarisé sur des héros individuels.

   La coupure définie par le découpage traditionnel entre un « Moyen Âge » et une « Renaissance » reprenant la musique plus ou moins à zéro est complètement fausse : les préoccupations savantes platoniciennes, par exemple, existaient depuis longtemps dans la culture du Moyen Âge, et rien ne se produit dans la Renaissance qui n'ait sa source dans la période précédente. Mais il faut bien envisager l'histoire de la musique selon une perspective dynamique, et pas seulement énumérative.