opéra (suite)
En Italie
Dépasser l'expérience vériste sans combattre non plus Puccini sur son terrain fut la préoccupation des nouvelles générations, qui devancèrent les ultimes interrogations de Turandot (1926), de l'austère Néron de Boito (1924, posthume), et ne se virent opposer que cet autre dérisoire Néron (1935) de Mascagni, qui voulut son œuvre « résolument antimoderne ». Wolf Ferrari (1876-1948) avait, dès 1903, trouvé une ingénieuse solution en mettant son talent subtil au service des comédies de Goldoni, première manifestation du siècle à un retour vers un comique de qualité (Le Donne curiose, 1903 ; I Quattro rusteghi, 1906 ; Il Segreto di Susanna, 1909, etc., jusqu'au Campiello, 1936) ; Respighi (1879-1936) en proposa d'autres, faisant rutiler une palette orchestrale héritée de Rimski-Korsakov dans le climat vériste et fantastique de Belfagor (1923) et de La Fiamma (1934), souscrivant au dépouillement néoclassique dans Marie l'Égyptienne (1932). Mais c'est plus à une sorte de néogrégorien qu'allait aspirer la « génération de quatre-vingt » : Pizzetti (1880-1968) rechercha un nouveau recitar cantando dans ses puissants drames, de Phèdre (1915, d'après D'Annunzio) à Meurtre dans la cathédrale (1958) ; G. F. Malipiero (1882-1973) joua de langages divers à l'ombre du plain-chant, dans ses « opéras à panneaux », étrangement lyrique dans La Favola del figlio cambiato (1933), presque extroverti dans Giulio Cesare (1936).
Enfin, Alfredo Casella (1883-1947), marqué par ses contacts avec la France et avec Stravinski, rejeta tout romantisme dans La Donna serpente comme dans La Favola d'Orfeo (1932). Citons encore Arrigo Pedrollo (1878-1964), Mario Castelnuovo Tedesco (1895-1968) et surtout G. F. Ghedini (1892-1965), qui signa son dernier chef-d'œuvre en 1956 (Lord Inferno), ayant su faire éclater la matière sonore sans jamais négliger les prérogatives du théâtre, alors qu'une plus jeune génération démarquait encore tranquillement Puccini : Menotti, émigré aux États-Unis, et Renzo Rossellini (1908-1982), qui appuyait un sens théâtral aigu sur les excellents sujets du Vortice (le Tourbillon, 1958), de Vu du pont (1961) et de l'Annonce faite à Marie (1970). Autrement exigeant, Gioffredo Petrassi (né en 1904) demeurait, lui aussi, profondément lyrique dans Il Cordovano (1949), tout en adoptant le sérialisme ; cette technique inspira encore à Dallapiccola (1904-1975) des chefs-d'œuvre tels que Vol de nuit (1940), le très intense Prisonnier (1950), Ulysse, etc. Cette même opposition se retrouve entre Nino Rota (1911-1979), qui mit son talent multiforme au service de savoureux pastiches appréciés de tous les publics, et le langage difficile mais aussi immédiat de Berio (né en 1925), de Luigi Nono (né en 1924), auteur notamment de Intollerenza (1961) et de Al gran sole carica d'amore (1975), de Vlad (né en 1919), de Bussotti (né en 1931), de Maderna (1920-1973) et de Luciano Chailly (né en 1920), auteur très lyrique du Manteau, de l'Idiot, Procédure pénale, etc.
En Russie
Située à l'avant-garde à la fin du XIXe siècle, l'école russe marqua un temps de réflexion. Le folklore épique ou merveilleux fut encore exploité, mais d'autres thèmes apparurent avec Raphaël (1894) d'Arensky (1861-1906), avec la très belle Orestie (1895) du docte Serge Taneev (1856-1915), ou se modifièrent, comme dans Dobrynia Nikititch (1903) de l'aimable Gretchaninov (1864-1956). L'influence française se fit sentir chez Rebikov (Dans la tempête, 1894) et Nicolas Tcherepnine, tandis que les particularismes locaux se reflétaient chez Ippolitov Ivanov (1859-1935), auteur de Ruth (1887) et Atya (1900), chez Vassilenko, Korostchenko, Lissenko, Soloviev, et chez le Géorgien Paliashvily (Absalon et Eteri, 1919). Tchaïkovski influença davantage Kalinnikov (Tsar Boris, 1897) et Serge Rachmaninov (1873-1943), dont Aleko (1892) fut suivi de drames plus audacieux, le Chevalier avare (1899-1904) et Francesca da Rimini (1906). Mais c'est en marge de tous ces courants que se développe le génie multiforme et plus cosmopolite de Stravinski et de Prokofiev. Le premier se réfère partiellement à Rimski-Korsakov dans le Rossignol (Paris, 1914), allie Glinka à Dargomyjski dans sa farce Mavra (1922), son œuvre favorite, puis fait créer en anglais à Venise, en 1951, son Rake's Progress, savoureux pastiche de tous les langages du passé. Prokofiev (1891-1953), quittant la Russie révolutionnaire après avoir écrit le Joueur, donne en français à Chicago son satirique et cocasse Amour des trois oranges (1921) d'après Gozzi, et termine en 1927 le dramatique Ange de feu, donné bien plus tard en Italie et en France. Rentré en Union soviétique, il y glorifie l'homme du peuple dans Simeon Kotko (1939), retourne à l'humour des Fiançailles au couvent (1940), et révèle son talent épique dans Guerre et Paix (1941-1952), fidèle durant quarante ans à une même veine mélodique naturelle, doublée d'une très riche palette orchestrale qui fit de lui l'un des grands classiques du XXe siècle, auprès de Puccini, Janáček et Strauss.
Mais la Russie soviétique, privée dès sa naissance de ses plus authentiques musiciens, ne pouvait compter sur le docile mais trop anachronique R. Glière (1875-1956). Elle dut donc se forger une génération nouvelle, aussitôt dominée par le génie sans concession de Chostakovitch (1906-1975), auquel, en 1928, le Nez, de Gogol, inspire une partition satirique, d'une audace inouïe à l'échelon européen. Staline ayant plus tard condamné Lady Macbeth (1934), chef-d'œuvre d'une grande intensité lyrique, Chostakovitch dut remanier sa partition (Katerina Ismailova, 1959), se retourna vers l'opérette humoristique, puis renonça à achever son Joueur. En fait, les directives officielles ne donnèrent ni n'enlevèrent de talent à quiconque, et la meilleure œuvre inspirée par le nouveau régime demeura Pauline Goebel (1925) de Youri Shaporine (1889-1966), antérieure aux consignes draconiennes de démocratisation, et rebaptisée les Décembristes en 1938, comme on le fit pour maintes œuvres du passé, des Huguenots à Tosca !
Cependant que Pachtchenko, Triodine, Gladkowski et Prussak souscrivaient à cette esthétique du « naïf », aussitôt caduque, une tentative de dépayser les thèmes d'inspiration réussit mieux, avec les opéras de Shishov, Potoski, Krein, Vassilenko, et surtout avec le Vent du Nord (1930) de Lev Knipper (1898-1974), mais un académisme de rigueur édulcorait le très officiel Don paisible (1935) de Dzerjinski, le Potemkine (1937) de Shishko, la Mère (1939) de Jelobinski, et même Dans l'orage (1939) du solide Tikhon Khrennikov (né en 1913). Après que Colas Breugnon de Dimitri Kabalevski (1938) eut encore mieux affirmé ce folklore sentimental, le retour à la musique instrumentale devait, pendant la guerre, permettre aux meilleurs musiciens d'esquiver les normes imposées aux livrets, avant qu'une très relative libéralisation du langage ne permît à la nouvelle génération une timide émancipation.
L'Europe centrale
Hongrie
Béla Bartók, dans son Château de Barbe-Bleue (1911), écrit sur le texte même de Bélazs, recourt, comme Debussy dans son Pelléas (dont il fut la réplique nationale), à de brefs commentaires symphoniques reliant les scènes isolées de cet acte unique, mais exalte une phonétique plus riche, témoignant d'une intensité lyrique plus efficace. On peut ne voir qu'un aimable singspiel national dans Harry Janos (1926) de Zoltán Kodály (1882-1967), son succès éclipsant tous ses autres opéras. Quant à Ernö Dohnanyi (1877-1960), son Voile de Pierrette (1910) n'était guère qu'une pantomime de style berlinois. C'est seulement après 1960 que naîtra une école moderne véritable, sur laquelle pèse la double influence de Bartók et de Laszlo Lajtha (1892-1963), moins pour l'unique opéra bouffe de ce dernier (le Chapeau bleu, 1948) que pour ses liens étroits avec la France. À cette école se rattachent notamment Emil Petrovics, Sandor Szokolaï et Sandor Balassa.
Tchécoslovaquie et Roumanie
De peu le cadet de Novák, Otakar Ostrčil (1879-1935) était resté fidèle à une esthétique romantique (la Mort de Vlasta, 1904) ; après les Balatka, Chubna, Polascek, Suda et Zelinka, Alois Habá (1893-1973) apporta sa personnalité de chercheur infatigable, utilisant le quart de ton dans la Mère (1931), œuvre dont l'intensité tragique approche celle de Wozzeck, et le sixième de ton dans Que ton règne arrive (1940-1942). À la même époque, l'école de Paris regroupa, au côté du Hongrois Tibor Harsanyi et du Polonais Al. Tansmann, le Tchèque Bohuslav Martinů (1890-1959), qui écrivit en français Juliette ou la Clef des songes (1938), intéressante tentative de surréalisme, puis la Passion grecque (1958). L'œuvre lyrique du Roumain Marcel Mihalovici (né en 1898) appartient également au répertoire français, mais l'opéra roumain reste dominé par la personnalité de George Enesco (1881-1955), dont l'audacieux Œdipe, opéra atonal utilisant aussi le quart de ton, commencé en 1914, fut créé à Paris en 1936.
Pologne
Elle sortit de l'ombre grâce à Karol Szymanowsky (1882-1937), qui, dans le Roi Roger (1926), sut allier un langage chanté très accessible à une écriture influencée par Berg, Bartók et Janáček. C'est de lui, et non de Lutoslawski, que se réclamera la jeune école dont sortirent le sérialiste Taddeusz Baird (1928-1981), auteur d'un drame lyrique Demain (1966), à la vocalité très décantée, et le pointilliste Penderecki (né en 1933), qui, avec ses Diables de Loudun (1969), donna au théâtre lyrique une œuvre fascinante, aux nombreux tableaux habilement enchaînés, dont l'avant-gardisme sembla représenter le meilleur effort de renouvellement depuis Wozzeck et qui connut aussitôt une audience internationale.