France (XVIIe s.) (suite)
L'opéra italien, la tragédie en machines
C'est à Mazarin, passionné d'opéra, qu'est due, au milieu du siècle, une tentative d'introduction en France des formes prises en Italie par l'art lyrique. Après avoir fait venir à Paris des chanteurs de renom (Leonora Baroni, Melani) et des décorateurs (Torelli), le ministre tente à Paris de grandes représentations d'opéra : La Finta Pazza de Sacrati (1645), l'Egisto de Cavalli (1646), l'Orfeo de Rossi (1647) : le genre ne plaît guère. Lors de tentatives ultérieures (Le Nozze di Peleo e di Teti, de Caproli (1654), Serse de Cavalli (1660), Ercole amante, du même (1662), la musique italienne sera agrémentée de ballets français, dus pour les deux dernières œuvres à Lully : c'est cette tentative de fusion qui permettra l'introduction de l'opéra. Simultanément, la « tragédie en musique », où une part modérée de chant et importante de ballet se mêle à une tragédie récitée, remporte un immense succès. Preuve que le public français est à la recherche d'un genre mixte, où la musique ne lui fasse pas renoncer à son goût pour le ballet et à sa passion pour la tragédie : Andromède de Corneille et d'Assouci (1650, musique perdue), le Triomphe de l'amour sur des bergers et bergères de M. de la Guerre (1655, musique perdue). Le goût de la pastorale influe aussi sur les destinées de l'art lyrique (les Amours d'Apollon et de Daphné, d'Assouci [1650] ; la Pastorale d'Issy, Cambert [1659] ; Pomone, Cambert [1671] ; le Triomphe de l'amour, Sablières [1672] ; les Peines et les Plaisirs de l'amour, Cambert [1672], etc.). La multiplication d'œuvres de ce type vers 1670 laisse présager l'apparition de l'opéra.
La comédie-ballet
Lully, dont l'apparition à la cour date du Ballet de la nuit (1653), va progressivement prendre possession du ballet de cour et lui imposer sa marque : essentiellement par la cohérence issue du fait qu'un compositeur unique se substitue à la composition collégiale traditionnelle. Les grands ballets des années 1660-1670, tout en restant fidèles au type du ballet à entrées, sans action dramatique suivie, deviennent d'amples constructions homogènes, même si les tons, comique, lyrique et pittoresque, s'y succèdent (Ballet de la raillerie [1659], Ballet de l'impatience [1661]). Les derniers grands ballets (Ballet des arts [1663], Ballet des muses [1666], Ballet de Flore [1669]) auront un caractère grandiose très proche du ton, sinon de la structure, de l'opéra. Simultanément, l'introduction de la comédie dans le ballet de cour et la participation de Molière aux divertissements royaux vont progressivement rendre à ce genre la cohérence dramatique perdue depuis l'abandon, vers 1620, du ballet dramatique : la Princesse d'Élide (1664), le Sicilien (1667), le Bourgeois gentilhomme (1670) font mûrir un genre dont les composantes chorégraphiques, musicales, lyriques, dramatiques étaient restées juxtaposées. La rupture de Lully et de Molière après Psyché (1671) marque l'instant exact où le théâtre lyrique français, après soixante ans de tentatives délatoires pour éviter l'opéra, va se décider à l'affronter.
L'opéra de Lully
L'opéra français est ainsi, tel que Lully l'a conçu, la résultante d'une série de forces d'origines diverses ; c'est la synthèse, puissamment conçue par le Florentin, de termes d'art que rien ne prédestinait à leur alliance : air de cour, ballet, tragédie, voire comédie. L'apport essentiel de Lully est le récitatif, que toutes les tentatives extérieures tentaient d'éviter, et que, fort peut-être de son ascendance italienne, il a su mener à bien. Ce récitatif est issu d'une amplification par la musique du discours déclamé de la tragédie française. C'est à lui et non à l'air issu de l'air de cour que sont confiées les grandes scènes dramatiques, à la différence de ce qui se passe en Italie (Adieux de Cadmus et Hermione, Lamentation d'Armide, etc.). Calquant de la manière la plus scrupuleuse les inflexions de la parole déclamée, il se refuse à l'expansion lyrique de l'air, et reste fidèle au goût français pour la tragédie, dont la tragédie lyrique prétend être l'extension. Simultanément, l'opéra de Lully intègre à l'action dramatique une action chorégraphique, issue directement du ballet de cour, où les entrées dansées sont mêlées d'airs, eux-mêmes issus de l'air de cour, et donc essentiellement différents de l'aria italienne. Enfin, tous les prestiges de la mise en scène de la « tragédie en machines » et du ballet de cour réunis se donnent libre cours dans ce genre qui, même diffusé à Paris par l'Académie royale de musique, demeure le reflet d'un art royal et aristocratique. De Cadmus et Hermione (1673) à Armide (1686), l'art de Lully qui, par un abus de pouvoir du surintendant, résume à lui seul l'opéra français, évolue peu, si ce n'est pour resserrer son style et son impact dramatique.
Aucun compositeur, du vivant de Lully, ne s'autorise à composer un opéra. Après sa mort seulement, M. A. Charpentier, après avoir composé des divertissements lyriques (les Arts florissants, Orphée descendant aux enfers) ou des tragédies sacrées destinées aux jésuites (David et Jonathas), osera une Médée (1693) où un art lullyste par le genre et la structure s'étoffera d'une écriture plus italianisante. Les successeurs de Lully ses fils Louis et Jean-Baptiste, Colasse (1649-1709), Desmarets (1661-1741), Marin Marais (1656-1728) ne modifieront en rien le genre créé par lui. Seul Campra (1660-1744) apportera un souffle nouveau, grâce en particulier à une inspiration plus légère, et à une tentative d'assimilation de l'aria italienne, et par la création d'un genre : l'opéra-ballet. L'Europe galante (1697), le Carnaval de Venise (1699), les Festes vénitiennes (1710), rompant avec la construction dramatique de la tragédie lyrique, reviendront avec leurs entrées séparées à une structure mi-chantée, mi-dansée qui n'est pas sans rappeler la tradition du ballet de cour, enrichie de l'apport lullyste.
La « cantate française »
Occultée sous la surintendance de Lully, la musique italienne ne disparaît pas absolument ; elle reste en dehors des cercles officiels, et quelques rares musiciens, tel le chanoine Oudot (mort en 1696), tentent une acclimatation ; c'est à M. A. Charpentier (Orphée descendant aux enfers, v. 1683) qu'on doit son introduction véritable en France. Mais c'est durant les dernières années du règne de Louis XIV que, en quelques années, le genre va devenir florissant : J.-B. Morin (v. 1677-1745) publie une série de recueils, suivi par É. Jacquet de la Guerre (1665-1729), Bernier (1664-1734), Clérambault (1676-1749) et Campra. Tous font paraître, entre 1706 et 1730, quantité de petites œuvres grâce auxquelles l'acclimatation de l'aria italienne et sa fusion avec le récitatif lullyste vont pouvoir se faire : pièces délicates, gracieuses, plus légères que dramatiques, par lesquelles se prépare l'opéra français du XVIIIe siècle.
La musique instrumentale
L'histoire de la musique instrumentale en France au XVIIe siècle est essentiellement celle de son émancipation de la polyphonie vocale, qui s'accomplit lentement, avec plus de difficulté qu'en Italie, et qui affecte le luth, le clavecin, l'orgue, l'ensemble de violes et de violons après des évolutions différentes et à des dates différentes.
Le luth
C'est l'instrument soliste essentiel du XVIIe siècle. Dès le siècle précédent, les chansons réduites en tablature ont développé sa pratique. Le répertoire n'est pas encore indépendant, mais l'instrument lui-même développe lentement l'air d'une harmonie simplifiée et d'un chant aisé. La littérature du luth s'élaborera à partir de trois sources : la danse et l'air, d'une part, le prélude, nécessité par son accord difficile, d'autre part, et dans lequel la liberté de l'instrumentiste se donne libre cours. Le Thesaurus harmonicus (1603) de J.-B. Besard (v. 1567-v. 1625) constitue la première étape, groupant les trois genres. Le milieu du siècle verra les pièces s'organiser en suite, autour d'une même tonalité, avec en particulier Gaultier le Vieux (1575-1651) puis son cousin Denys Gaultier (v. 1603-1672), auteur de la Rhétorique des dieux. Le milieu du siècle voit l'apogée de l'instrument, dont les qualités de douceur et de raffinement correspondent à la sensibilité qu'anime par ailleurs l'air de cour, dont le luth est l'accompagnement obligé. Le clavecin ne commence qu'alors à le concurrencer sur son propre terrain et avec ses propres armes. Mais une dernière génération, avec Charles Mouton (1626-v. 1699) et Robert de Visée (v. 1650-v. 1725), tentera de lui garder son lustre, en partie par des concessions au style du clavecin et de la guitare. Mais l'heure du déclin a irrémédiablement sonné, l'instrument s'efface définitivement vers 1700.