Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
P

photographie et peinture (suite)

La photographie comme reproduction d'œuvres d'art

Les peintres ont vite compris les services précieux que pouvait rendre la photographie pour la conservation et la diffusion de leur œuvre. Ingres, qui n'avait pas pour cette technique la curiosité d'un Delacroix, a pourtant été le premier à faire daguerréotyper ses tableaux. Delacroix, lui, fit photographier ses tableaux par Durieu, et Courbet ses œuvres exposées en 1855 dans le dessein d'en faire vendre des reproductions. Quant aux photographes, ils ont d'emblée vu dans la reproduction des compositions peintes par la photographie, se substituant alors à la gravure, une des applications importantes de cette dernière découverte, et tous, dès le début, l'ont éventuellement pratiquée : Baldus, Nègre, Marville surtout, qui fut photographe des musées impériaux. Talbot, qui déjà en 1842 réservait un chapitre de son Pencil of nature —sorte de manuel des emplois possibles de la photographie— à la reproduction de tableaux, illustra de ses calotypes d'après des peintures le premier livre de ce type paru en 1847 : les Annals of the Artists of Spain, de Maxwell, dont le tirage, il faut le dire, fut assez restreint. Blanquart-Evrard (1802-1872) ouvrit en 1851 à Lille sa maison d'édition, destinée à la diffusion d'une photographie de grande qualité. Il avait découvert un moyen chimique pour développer les positifs sans avoir recours à l'action du soleil, qui lui permettait de tirer des épreuves, à grande échelle pour l'époque, et donc de baisser les prix ; sans se spécialiser dans la reproduction d'œuvre d'art, il lui a fait la part belle : notamment dans l'Album de l'artiste et de l'amateur de 1851 (avec de nombreuses reproductions d'après Poussin) ou dans l'Art religieux. Il s'est adressé dans ce dessein à des spécialistes du genre : Bayard (1801-1887) et Renard. La fixation de l'épreuve aux sels d'or assurait à l'image une permanence relative, mais non parfaite. En 1856, le duc de Luynes ouvrit un concours pour remédier à ce problème, et couronna en 1862 le procédé de Poitevin (1819-1882), lequel, par un traitement au charbon du papier, assurait la fixation durable de l'image.

   La même année, Braun ouvrit un atelier à Mulhouse et commença des campagnes systématiques dans toutes les collections publiques et privées d'Europe ; dès 1858, les Alinari à Florence (1852-1920) se concentrent plutôt sur l'Italie, mais n'atteignent pas moins une renommée internationale ; en Angleterre, le grand spécialiste est Thurston-Thompson. Cependant, un problème subsiste ; en l'absence de filtres, la photographie ne restituait alors les valeurs justes que pour certaines couleurs, le bleu et le violet, ce qui pouvait donner une idée très fausse de la peinture. C'est pourquoi les premières reproductions de tableaux furent faites le plus souvent d'après des gravures. Les premières campagnes photographiques furent faites dans les cabinets de dessin, tant par Marville que par Braun (le Louvre en 1867, l'Albertina en 1868, puis Bâle). Braun avait même trouvé moyen de restituer le dessin comme un fac-similé en remplaçant éventuellement le charbon par une autre matière organique, sanguine ou mine de plomb.

   Les plaques orthochromatiques (sensibles au rouge) furent mises au point par Ducos de Hauron (1837-1920), bientôt utilisées par Braun puis, à partir de 1896 seulement, par les frères Alinari : Leopoldo (1832-1865), Giuseppe († 1890) et Romualdo († 1890). Puis ce furent les plaques panchromatiques (sensibles à toutes les couleurs). Braun et les Alinari n'avaient pourtant pas attendu ces perfectionnements pour aborder les grands cycles de peintures : Santa Croce par les Alinari, la Sixtine par Braun en 1868.

   Le procédé de restitution non plus seulement des valeurs correspondant aux couleurs, mais des couleurs mêmes fut découvert simultanément par Ducos de Hauron et Charles Cros (1842-1888), qui firent une communication à l'Académie des sciences en 1869. Il était fondé sur le principe de la trichromie développé par Chevreul : pour restituer toutes les couleurs, il suffisait d'opérer l'analyse des 3 couleurs fondamentales (ou plutôt de leur complémentaire) par 3 filtres donnant 3 négatifs en noir, puis d'opérer la synthèse en une seule épreuve positive (par superposition des 3 positifs correspondants après teinture dans les couleurs complémentaires de celles des filtres). Ce procédé ne fut mis en application qu'en 1907, par les frères Lumière (Auguste [1862-1954] et Louis [1864-1948]), qui le simplifièrent en incorporant les 3 filtres en une seule plaque, positif direct ou " cliché-verre ". En 1935, Kodak en Amérique et Agfa en Europe mirent au point des systèmes de prise de vue et de restitution des couleurs par synthèse soustractive qui dispensaient d'avoir besoin d'une trame quelconque (à la différence des frères Lumière qui utilisaient la fécule de pomme de terre comme support des colorants) et permettant la reproduction et l'agrandissement, ce qui allait être d'une grande conséquence.

La photogravure

C'est en voulant améliorer la reproduction lithographique des œuvres d'art en la remplaçant par un procédé chimique plus rapide et plus satisfaisant que Niepce a découvert la photographie en 1826, bien avant la publication des inventions de Daguerre et Talbot. Les premières épreuves, " héliographiques ", furent ainsi obtenues en exposant à la lumière des lithographies retournées sur une plaque de métal recouverte de bitume de Judée, lequel, en durcissant à la lumière, devenait insoluble, permettant de graver la planche à l'acide. Malheureusement, le procédé de Niepce permettait moins encore que la lithographie de rendre compte des demi-teintes et ne semblait pouvoir s'appliquer qu'à la gravure au trait. Le procédé, également au bitume, perfectionné par Fizeau en 1842, pour graver les daguerréotypes, ne fut pas exploité, quoique satisfaisant. Talbot, en 1858, eut l'idée de remplacer le bitume de Judée par de la gélatine —pouvant s'appliquer aussi bien à la gravure en relief qu'à la gravure en creux— et d'appliquer un écran quadrillé pour retenir l'encre de façon régulière, et ce furent 2 découvertes capitales pour l'avenir de la reproduction photomécanique. Le procédé de Poitevin, sélectionné en France par le duc de Luynes, dérive de celui de Talbot et fut perfectionné en photolithographie et phototypie. En Angleterre, Woodbury (1834-1885), après la mise au point de l'épreuve au charbon, invente la woodburytypie, ou photoglyptie, qui permettait de faire passer la production journalière de 20 à 100 épreuves et dans laquelle l'émulsion à la gélatine est tellement durcie qu'elle sert de moule à la plaque à graver. La dynastie des Goupil eut le privilège d'exploitation de cette technique en France et elle utilisait en même temps la phototypie. Après s'être spécialisés dans la reproduction des maîtres par la gravure dès l'ouverture de la maison en 1832, les Goupil en vinrent naturellement à utiliser la reproduction photomécanique, parfois retouchée à la main.

   À partir de 1862, c'est la publication du Musée Goupil, dont les reproductions sont encore souvent réalisées d'après des gravures, puis, vers 1880, le Musée photographique, sans parler des photographies d'artistes anciens et modernes. Longtemps après l'invention de la photographie, l'association entre graveurs et photographes dans le domaine de l'édition fut étroite, comme le montre encore l'exemple des Alinari.

   Mais, fatalement, les procédés mécaniques ont fini par tuer la gravure de reproduction en permettant d'abaisser le prix de la reproduction photographique, qui, en 1859, malgré les efforts d'un Blanquart-Evrard, représentait pour une seule épreuve 10 fois celui d'une gravure (ce sont les chiffres en Italie). Les Braun utilisèrent également la phototypie et bientôt la rotogravure (procédé de gravure en creux, par encrage mécanique rotatif, le plus rapide, qui permettait d'obtenir 2 000 épreuves à l'heure au lieu de 60 par jour dans l'héliogravure avec encrage à la main). L'inventeur du procédé était Karl Klic (1840– ?), et le procédé fut mis au point en Angleterre par la Rembrandt Intaglio Print Company. En 1895, C. G. Petit créa la similigravure, qui introduisait la reproduction photomécanique au cœur de la typographie et dont le principe reposait sur celui du réseau tramé inventé par Talbot. Ce furent les Américains et les Allemands qui exploitèrent d'abord la découverte de Petit. De 1892 date le premier emploi de la similigravure en couleurs, ou quadrichromie (composée de 4 clichés : 3 pour les couleurs fondamentales, 1 pour le noir), dont Braun encore s'est fait un des spécialistes.