impressionnisme (suite)
Durand-Ruel
Paul Durand-Ruel fut le marchand et l'apôtre des impressionnistes ; il osa s'engager le premier et longtemps le seul, n'hésitant pas à risquer sa fortune sur ses choix. Il joua un rôle déterminant dans la survie, puis dans le triomphe de cette peinture.
Les précurseurs, les découvertes
L'Impressionnisme n'est pas une école, mais d'abord une attitude commune de quelques artistes devant les problèmes essentiels de leur art. Même lorsque les moyens sont mis en commun et qu'ils sont proches les uns des autres, les résultats restent profondément individualisés. C'est seulement à la faveur de courtes périodes de travail en commun, dans un site donné, qu'une vision collective se crée. Les peintres qui ont participé à l'Impressionnisme ne sont pas très nombreux, et, pour chacun d'eux, il faut considérer l'ensemble de son œuvre. Ce que l'on nomme aujourd'hui " Impressionnisme " est le résultat d'une longue évolution qui place la peinture du XIXe s. sous le signe du paysage. Les tentatives s'enchaînent et se situent de chaque côté de la Manche. En Angleterre, Constable peut oublier, dans ses esquisses, le sujet et étudier les incessantes transformations du paysage ; pour Turner, le sujet n'est plus que le support sur lequel se réfléchit la lumière. En France, Delacroix, qui a longuement interrogé les Vénitiens, pressent les lois de la division des couleurs, des complémentaires et des contrastes. Corot est l'apôtre du " plein-airisme " et reste fidèle au paysage qu'il décrit en l'harmonisant. Courbet, enfin, recompose inlassablement les structures des hautes futaies, des falaises crayeuses de son pays natal.
Mais les véritables précurseurs de cette nouvelle peinture sont d'une part Daumier avec ses recherches de rythmes et d'autre part Millet, les peintres de Barbizon, Rousseau, Daubigny, Diaz, et enfin les peintres de la mer et de l'eau, Boudin et Jongkind. Deux grandes découvertes réalisées durant le XIXe s. vinrent libérer la perception et, du même coup, bouleversèrent les canons traditionnels : l'invention de la photographie et la codification des lois de la couleur par Chevreul.
L'invention par Niepce de la photographie fut rapidement considérée comme un moyen extraordinaire d'investigation. C'était en quelque sorte l'aboutissement de tous les moyens utilisés depuis la Renaissance pour permettre aux artistes de retrouver le vrai, d'imiter avec précision la nature. La photographie est apparue comme le moyen de réduire préalablement des spectacles naturels à des surfaces où ils prennent leur juste place.
Ainsi, le paysage est ramené à des plans et à des masses, mais l'œil découvre aussi dans l'épreuve photographique des effets optiques que l'artiste peut prendre comme une base irréfutable. Certains impressionnistes furent les premiers à en tirer un parti systématique.
Enfin, les découvertes du chimiste Chevreul sont d'une importance majeure. Directeur des Gobelins, celui-ci publie de 1828 à 1831 ses leçons de chimie appliquée à la teinture, en 1839 son mémoire De la loi du contraste simultané des couleurs et de l'assortiment des objets colorés considéré d'après cette loi dans ses rapports avec la peinture, puis en 1864 son ouvrage Des couleurs et leurs applications aux arts industriels à l'aide des cercles chromatiques.
Ayant observé que la juxtaposition des objets colorés, la " loi des contrastes simultanés des couleurs ", permet de prévoir les modifications que subit chaque objet coloré au voisinage d'un autre objet coloré, il résume ses observations en deux points : chaque couleur tend à colorer de sa couleur complèmentaire les couleurs avoisinantes. Si deux objets contiennent une couleur commune l'effet de leur juxtaposition est d'atténuer considérablement l'élément commun. Les impressionnistes trouvent dans les théories de Chevreul à la fois un élargissement de la vision et une confirmation de leur intuition. Mais ils ne s'y intéressent que dans la mesure où ces données expérimentales leur permettent de mieux révéler leurs émotions personnelles et subjectives.
Désormais, l'Impressionnisme peut se passer des conventions traditionnelles de l'art de peindre : le dessin, la perspective, l'éclairage d'atelier.
Les artistes
Hormis Camille Pissarro, né aux Antilles en 1830, les peintres qui formèrent le groupe impressionniste sont tous nés en moins d'une décennie, entre 1832 et 1841. La majorité d'entre eux sont parisiens, et leurs familles de bourgeoisie aisée. Manet (1832), Degas (1834), Sisley (1839) [de parents anglais], Monet (1840), Guillaumin (1841), Cézanne (1839) [provençal], Renoir (1841) [de famille limousine modeste], Bazille (1841) [montpelliérain], Berthe Morisot (1841). À ces noms, il convient d'ajouter ceux du Grenoblois Fantin-Latour (1836) et de l'Américain Whistler (1834). Aux générations suivantes appartiennent Gauguin, Van Gogh, Seurat, Toulouse-Lautrec, qui procèdent tous de l'Impressionniste au début de leur carrière.
Rôle de Manet
Un pas décisif est franchi avec l'exposition de la Musique aux Tuileries en mars-avril 1863. C'est devant ce tableau que le jeune Monet, qui ne connaît pas encore son auteur, éprouve une terrible commotion. La réaction éclate le 15 mai de la même année devant le Déjeuner sur l'herbe (Paris, musée d'Orsay), exposé au Salon des refusés, organisé sur la décision de l'empereur, tant la sévérité du jury du Salon avait suscité de protestations. Le scandale atteindra son apogée au Salon de 1865, où Manet expose l'Olympia (id.), peinte deux ans plus tôt.
Monet et le plein air
C'est à Jongkind que Monet, après ses premières expériences avec Boudin, doit, selon son propre aveu, l'" éducation définitive " de son œil. En 1863, Monet entraîne ses camarades à aller peindre en forêt de Fontainebleau, où Renoir rencontrera par hasard Diaz, qui, généreusement, lui accordera son aide. Il admire Daubigny, qu'il fréquente et qui ne cessera de soutenir les futurs impressionnistes, notamment lorsqu'il sera membre du jury au Salon. Après la fermeture de l'atelier Gleyre (1864), il fait avec ses amis divers séjours à Chailly-en-Bière. C'est là qu'il tentera de réaliser en plein air une immense toile de 28 m² qu'il intitule à son tour Déjeuner sur l'herbe (1865). Cette toile, restée inachevée, puis découpée en morceaux (Paris, musée d'Orsay), semble être dans l'esprit de Monet une tentative pour pousser plus loin l'expérience de Manet.
Renoir, recherche de la densité
Ainsi, l'association amicale Monet-Renoir à deux moments décisifs montre la part que Renoir a prise dans l'élaboration de la technique impressionniste. L'œuvre de ce peintre se caractérise alors par une recherche de l'unité et une utilisation systématique des complémentaires. Dans ses œuvres d'Argenteuil, Renoir emprunte à Monet sa touche allongée. Il utilise de fins coups de pinceau, qui donnent une impression de foisonnement à laquelle Monet ne sera pas indifférent. Mais il demeure soucieux de volume, de densité et passionné par la figure humaine, qu'il peigne ses amis ou les visages et les corps des femmes qui lui sont chères. Jamais il ne tente une investigation psychologique ; il cherche seulement à donner de ces beaux corps généreux une représentation qui traduise l'apparence charnelle et une satisfaction à la fois visuelle et tactile.
Dans ses compositions de 1875-76, la Balançoire, le Bal du Moulin de la Galette, Montmartre (Paris, musée d'Orsay), Sous la tonnelle (Moscou, musée Pouchkine), il utilise la figure humaine d'une façon très originale, comme un motif constitutif du paysage, sur lequel la lumière peut jouer avec plus de richesse et de fantaisie.
L'évolution de Pissarro de Cézanne, de Sisley
De retour à Louveciennes en 1871, Pissarro se fixe jusqu'en 1884 à Pontoise, et ses premiers paysages de Louveciennes sont très proches de ceux qu'il faisait en 1870. Sisley s'installe lui aussi à Louveciennes, puis à Port-Marly, où il demeure jusqu'en 1877. Les deux peintres travaillent dans un esprit voisin. Pissarro est plus ferme, plus assuré ; Sisley est plus poétique, un peu incertain devant l'immensité des ciels, devant l'étincellement des eaux. Il va poursuivre son œuvre non seulement avec persévérance, mais aussi avec une sorte de nonchalance qui explique qu'il affleure plutôt ses thèmes qu'il ne les approfondit.
Pissarro, au contraire, peut détacher des paysages qui lui sont familiers des éléments importants pour en faire des motifs suffisants. Il accorde ainsi une fermeté et même un ton épique à ses plus légères notations de la vie rurale en les traitant sur un plus grand registre.
Son rôle humain est considérable. Sont redevables à Pissarro, Mary Cassatt, Guillaumin et tout particulièrement Cézanne, qui, durant plusieurs mois, entre 1872 et 1873, a travaillé à ses côtés à Pontoise ; cette retraite studieuse, auprès d'un ami respectueux et attentif, a transformé la technique et l'art du peintre ombrageux, encore empêtré dans ses intentions allégoriques et littéraires. La conclusion apparaît lorsque, à l'occasion d'un séjour chez le docteur Gachet à Auvers-sur-Oise, Cézanne exécute la Maison du docteur Gachet et surtout la fameuse Maison du pendu (Paris, musée d'Orsay), où il fait preuve d'un métier enfin allégé.