Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
I

Ingres (Jean Auguste Dominique)

Peintre français (Montauban 1780  – Paris 1867).

Son père, Joseph Ingres, peintre, miniaturiste, sculpteur et ornemaniste, lui apprit le dessin et aussi le violon. Mais l'instruction de l'enfant, au collège des frères des Écoles chrétiennes de Montauban, fut limitée, et Ingres le déplora toujours. En 1791, il entra à l'Académie royale de Toulouse, où il eut comme maîtres le peintre Joseph Roques, ancien élève de Vien, et le sculpteur Jean-Pierre Vigan. Il reçut également des leçons du paysagiste Jean Briant et du violoniste Lejeune. Il fut même deuxième violon dans l'orchestre du Capitole. Pendant toute sa vie, la musique fut son " violon d'Ingres ". Muni de certificats élogieux de ses maîtres, il partit en 1797 pour Paris.

Paris (1797-1806)

Dès son arrivée, il entra dans l'atelier de David, qui peignait alors les Sabines. Studieux et sauvage, il ne se mêla pas aux turbulentes fantaisies de ses camarades. Les uns — les " Muscadins " — étaient attirés par le Moyen Âge ; les autres — les " Primitifs " ou " Penseurs " ou encore " Barbus " — ne s'intéressaient qu'aux formes archaïques de l'art et de la littérature (les vases grecs ou " étrusques ", les peintures des Primitifs italiens, Homère et les poèmes du pseudo-Ossian). Néanmoins, il fut profondément marqué par le milieu artistique, à la fois classique et archaïsant, dans lequel il travailla jusqu'en 1801. Il peignit alors plusieurs Académies d'hommes (musée de Montauban ; Paris, E. N. S. B. A.). Il obtint en 1801 le premier grand prix de Rome avec les Ambassadeurs d'Agamemnon (Paris, id. ; esquisse à Stockholm, Nm). Ne pouvant se rendre immédiatement à Rome en raison de la situation politique et financière, il s'installa dans l'ancien couvent des Capucines, non loin de plusieurs autres anciens élèves de David, Gros, Girodet, Granet et le sculpteur florentin Bartolini. C'est là qu'il exécuta ses premières commandes et ses premiers chefs-d'œuvre, qui sont tous des portraits : Autoportrait à l'âge de vingt-quatre ans (1804, remanié plus tard, Chantilly, musée Condé), les 3 portraits de la Famille Rivière (1805, Louvre), Napoléon Ier sur le trône impérial (1806, Paris, musée de l'Armée). Ces œuvres, exposées au Salon de 1806, furent sévèrement jugées par la critique : on leur reprochait leur " genre sec et découpé " et leur style " gothique " imité de " Jean de Bruges " (Jan Van Eyck). Ingres fut profondément et durablement affecté de cette incompréhension, qui devait se renouveler souvent.

Rome (1806-1820)

Arrivé à la Villa Médicis en octobre 1806 après avoir admiré à Florence les fresques de Masaccio, il découvrit Rome avec enthousiasme, surtout les chambres de Raphaël au Vatican et la chapelle Sixtine, mais aussi les églises, les ruines des monuments romains et les collections d'antiques. Après les 2 beaux portraits de Granet et de Madame Duvauçay (1807, musées d'Aix-en-Provence et de Chantilly), il peignit plusieurs nus, notamment la Baigneuse à mi-corps (musée de Bayonne) et la Baigneuse dite " de Valpinçon " (1808, Louvre), " envoi de Rome " qui fut apprécié en raison de la finesse du modelé et de l'éclairage par reflet. En revanche, les déformations expressives de son dernier envoi, Jupiter et Thétis (1811, musée d'Aix-en-Provence), provoquèrent les quolibets des milieux académiques parisiens. À la fin de 1810, son temps de pensionnaire achevé, Ingres décida de rester à Rome, où l'administration impériale et une colonie française nombreuse lui assuraient des commandes. Il peignit plusieurs portraits de fonctionnaires (Marcotte d'Argenteuil, 1810, Washington, N. G. ; Moltedo, 1810, Metropolitan Museum ; Cordier, 1811, Louvre ; Bochet, id. ; Devillers, 1811, Zurich, fondation Bührle) et de grandes compositions : Romulus vainqueur d'Acron (1812, Paris, E. N. S. B. A., dépôt au Louvre), d'un dessin archaïsant, et le Songe d'Ossian (1813, musée de Montauban), d'inspiration préromantique, tous deux pour le palais impérial de Monte Cavallo au Quirinal, et Virgile lisant l'Énéide (1812, musée de Toulouse) pour la Villa Aldobrandini, résidence du gouverneur de Rome. De 1814, au retour d'un séjour à Naples (où il peignit une Dormeuse, auj. disparue, et le portrait de la Reine Caroline, coll. part.), datent 3 œuvres capitales où l'art des arabesques expressives atteint son point culminant : le portrait de Madame de Senonnes, terminé en 1816 (musée de Nantes), la Grande Odalisque (Louvre) et Paolo et Francesca (Chantilly, musée Condé). Ingres s'était marié, en 1813, avec une modiste de Guéret, Madeleine Chapelle.

   À la chute de l'Empire, en 1815, il perdit toute son ancienne clientèle. Il dut exécuter pour vivre des portraits, dessinés à la mine de plomb, des membres de la nouvelle colonie anglaise (les Sœurs Montagu, 1815, Londres, coll. part.) ou des portraits de famille (la Famille Stamaty, 1818, Louvre), genre qu'il méprisait, mais où il fit preuve d'un talent remarquable par l'élégance et le naturel des attitudes, la précision incisive du trait.

   Il peint alors des tableaux de petites ou moyennes dimensions à sujets historiques : Henri IV recevant l'ambassadeur d'Espagne (1817, Paris, Petit Palais), la Mort de François Ier (1818, id.), le Duc d'Albe à Sainte-Gudule (1815-1819, musée de Montauban) et Roger et Angélique (1819, Louvre).

Florence (1820-1824)

À l'appel de son ancien condisciple, le sculpteur Lorenzo Bartolini, Ingres s'établit pour quatre ans à Florence, peignit quelques admirables portraits (Bartolini, 1820, Louvre ; Gouriev, 1821, Ermitage ; Monsieur Leblanc et Madame Leblanc, 1823, Metropolitan Museum) et exécuta une importante commande du gouvernement français : le Vœu de Louis XIII (1820-1824, mis en place à la cathédrale de Montauban en 1826, avec exécution de la Messe du sacre de Cherubini).

Paris (1824-1835)

En octobre 1824, Ingres accompagna à Paris son tableau, qui reçut au Salon un accueil triomphal : par son sujet religieux, par les souvenirs des Madones de Raphaël, il apparaissait comme le symbole du Classicisme et de la tradition en face des Massacres de Scio de Delacroix, manifeste du Romantisme, présentés au même Salon. Dès lors, Ingres se posa en défenseur de la doctrine classique et connut une carrière officielle brillante : croix de la Légion d'honneur, élection à l'Académie des beaux-arts (1825). Il ouvrit un atelier et commença à former de nombreux élèves. L'Apothéose d'Homère (1827, Louvre), destinée à un plafond du Louvre, obtint un grand succès dans les milieux classicisants en face du Sardanapale de Delacroix : par le choix des artistes et des écrivains antiques et modernes qui entourent le poète, Ingres y affirmait en une sorte d'" art poétique " ses convictions et sa doctrine.

   Le Portrait de M. Bertin (1832, Louvre) est l'un des sommets de l'art d'Ingres par la vérité du caractère individuel et en même temps par la portée générale du portrait social, celui de la grande bourgeoisie de l'époque de Louis-Philippe. L'échec du Martyre de saint Symphorien (1834, cathédrale d'Autun), dont Ingres fut très affecté, le détermina à ne plus exposer aux Salons et à accepter le poste de directeur de l'Académie de France à Rome.

Rome (1835-1842)

Accueilli triomphalement à la Villa Médicis par plusieurs de ses anciens élèves, Ingres consacra la plus grande partie de son temps à l'administration et aux transformations de la Villa, à l'aménagement d'une bibliothèque, à l'enrichissement des collections de moulages de sculpture antique, à la création d'un cours d'archéologie. Il peignit peu : l'Odalisque à l'esclave (1839, Cambridge, Mass., Fogg Art Museum), Antiochus et Stratonice (1840, Chantilly, musée Condé). Il fit un voyage à Ravenne, où il dessina les monuments byzantins, à Urbino, en pèlerinage raphaélesque (1839), à Assise, où il copia les fresques de Giotto.

Paris (1842-1867)

De cette période date une série de portraits mondains qui lui causaient des peines infinies, mais qui sont de grandes réussites : la Comtesse d'Haussonville (1845, New York, Frick Coll.), la Baronne James de Rothschild (1848, coll. part.), Madame Gonse (1845-1852, musée de Montauban), Madame Moitessier debout (1851, Washington, N. G.) et assise (1856, Londres, N. G.), la Princesse de Broglie (1853, New York, Metropolitan Museum, coll. Lehman). Ingres, dont la gloire ne cessait de croître, reçut plusieurs commandes importantes de décorations monumentales : l'Âge d'or, grande peinture murale au château de Dampierre (1842-1849, inachevé) ; l'Apothéose de Napoléon Ier, plafond pour l'Hôtel de Ville de Paris (1853, détruit en 1871 ; esquisse au musée Carnavalet) ; 2 séries de cartons pour les vitraux de la chapelle Saint-Ferdinand à Paris et la chapelle de Saint-Louis à Dreux (1842 et 1844, Louvre). Il peignit aussi des tableaux religieux : la Vierge à l'hostie (1854, Paris, musée d'Orsay), Jeanne d'Arc au couronnement de Charles VII (1854, Louvre), Jésus au milieu des docteurs (1842-1862, musée de Montauban), auxquels on a reproché un raphaélisme conventionnel, responsable des fadeurs du " style Saint-Sulpice ".

   Cependant, Ingres n'avait rien perdu de sa vigueur créatrice. Trois tableaux de nus couronnent son œuvre : Vénus Anadyomène, commencée dès 1808 à Rome, mais achevée seulement à Paris en 1848 (Chantilly, musée Condé) ; la Source (1856, Paris, musée d'Orsay) ; et surtout le Bain turc (daté de 1862, Louvre), chef-d'œuvre des dernières années.

   Ingres, qui avait perdu sa première femme en 1849, épousa en secondes noces, à soixante et onze ans, Delphine Ramel (son portrait, datant de 1859, est à Winterthur, coll. Oskar Reinhart). Il mourut à Paris le 14 janvier 1867.