Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
P

Poliakoff (Serge)

Peintre français d'origine russe (Moscou 1900  – Paris 1969).

Après de brèves études à Moscou, interrompues par la révolution d'Octobre, il quitte l'U. R. S. S. en 1919 avec une proche parente. Il séjourne successivement à Constantinople, à Sofia, à Belgrade et enfin à Berlin avant de s'installer à Paris en 1923. À partir de 1930, il fréquente l'Académie de la Grande Chaumière, subvenant à ses besoins en jouant de la guitare dans les cafés russes de la capitale. Durant un séjour de deux ans à Londres, il suit les cours de la Slade School et revient à Paris en 1937. Il rencontre alors Kandinsky, Robert et Sonia Delaunay, avec lesquels il découvre les qualités spécifiques de la couleur, et Freundlich, dont il retiendra les constructions chromatiques. C'est en 1938 qu'il peint ses premières toiles abstraites, présentées au Salon des indépendants jusqu'en 1945. La gal. l'Esquisse, à Paris, organise en 1945 sa première exposition personnelle, qui le révèle au public parisien. Poliakoff participe alors régulièrement au Salon des réalités nouvelles et au Salon de mai ; en 1947 se tient chez Denise René sa deuxième exposition personnelle, suivie de nombreuses autres, à Paris et dans divers pays. Au lendemain de la guerre, Poliakoff est de ceux qui donnent son essor à la Nouvelle Abstraction : réagissant à la rigueur géométrique des dix dernières années, il choisit de s'appuyer presque entièrement sur la couleur, délimitant de grandes surfaces en tons vifs, imbriquées. Lorsqu'en 1946 Charles Estienne le loue d'avoir " fait des toiles aussi agréablement bariolées qu'un tapis de Boukhara ou de Samarcande ", Poliakoff prend conscience du danger vers lequel il glisse insensiblement : le décoratif. Il s'engage alors sur la voie d'une " ascèse enrichissante ", utilisant des gammes plus grises, plus sourdes (Composition abstraite, 1950, New York, Guggenheim Museum). Peu à peu, dans sa volonté d'accuser la juxtaposition des plans, il se sert le plus souvent de tons voisins, un orange et un rose à côté d'un rouge, un vert à côté d'un bleu. Désorganisant l'espace plastique, il décentre sa toile et refuse l'illusion de la troisième dimension. S'il s'est parfois laissé prendre au piège de ses jeux chromatiques, il reste l'un des grands coloristes de l'après-guerre.

   Il est bien représenté au M. N. A. M. de Paris (9 tableaux sont entrés lors de la dation de 1972), au M. O. M. A. de New York, à la Tate Gal. de Londres, aux musées de Lille, de Grenoble, de Nantes, de Bâle, de Hambourg, de Vienne, de Liège ainsi que dans de nombreuses coll. part. Une exposition Poliakoff a été présentée (Paris, fondation D. Vierny/musée Maillol) en 1995.

Polidoro da Caravaggio (Polidoro Caldara, dit)

Peintre italien (Caravaggio, Lombardie, v.  1490 ou 1500  – Messine 1546 ?).

Selon Vasari, à l'âge de dix-huit ans, Polidoro travailla au Vatican (Loges, v. 1517-1519 ; grisailles du soubassement de la Salle de Constantin). C'est surtout à travers G. da Udine, G. F. Penni et Giulio Romano qu'il connut Raphaël, ce qui l'aida à se détacher assez vite de l'idéal classique, auquel l'opposait son tempérament violent, tourné vers l'expressionnisme et un certain réalisme. Dès 1522, il est célèbre à Rome comme peintre des façades de palais, en collaboration avec le Florentin Maturino. Ces fresques, en grisaille, inspirées par l'exemple de B. Peruzzi, presque toutes disparues, ont été souvent copiées et gravées : Palais Ricci, encore en place, très repeint ; Palais Milesi, son chef-d'œuvre, connu par les dessins et les gravures ; Casino del Buffalo (v. 1525-26, fragments au Museo di Roma). Les thèmes sont tirés de la mythologie ou de l'histoire romaine, et leur style héroïque est influencé par l'antique (la colonne Trajane). Vers 1524-25, à la suite de Giulio Romano, Polidoro peint un salon à la Villa Lante au Janicule (fresques auj. à la Biblioteca Hertziana). Il est sensible aux artistes novateurs qui travaillent alors à Rome (Peruzzi, Rosso, Parmesan, Perino). Son originalité s'affirme dans la décoration de la chapelle de Fra Mariano à S. Silvestro al Quirinale : les fresques avec les Scènes de la vie de la Madeleine et de sainte Catherine, influencées par la peinture hellénistique, préludent remarquablement à l'art du paysage européen du XVIIe s. Il reçut l'aide de Maturino (1489 ?-1528) dont on essaie de dégager la personnalité, ce que Vasari jugeait difficile en son temps ; les deux artistes ont travaillé aux fresques du palais de la Chancellerie à Rome. On peut situer antérieurement un certain nombre de tableaux (Hampton Court), débris de décorations disparues et exécutées à Rome ou à Naples lors d'un premier voyage en 1524. Après le sac de 1527, Polidoro abandonne définitivement Rome, retourne à Naples (1527-28), il peint alors Saint Pierre et saint André avec les âmes du Purgatoire et la Mise au Tombeau (Naples, Capodimonte), il se fixe à Messine (1529) jusqu'à sa mort. Son évolution vers un expressionnisme et un maniérisme s'accentue au contact d'une civilisation profondément différente du milieu romain, sous l'influence des polyptyques gothiques flamands et espagnols, peut-être aussi grâce à ses collaborateurs (Roviale Spagnolo [F. Ruviales]). La Montée au calvaire (1534, Naples, Capodimonte) est inspirée par le Portement de croix de Lucas de Leyde.

   En 1535, Polidoro travaille pour les fêtes en l'honneur de Charles Quint. Dans cette dernière période, il peint des tableaux religieux mystiques et réalistes, au dessin aigu, aux compositions étrangement décentrées (Adoration des bergers, 1553, musée de Messine ; Incrédulité de saint Thomas, Londres, Institut Courtauld, coll. A. Seilern ; Montée au Calvaire, Naples, Capodimonte.

   Le style rapide de ses tableaux rappelle celui de ses nombreuses esquisses (musée de Palerme) et du Saint Ange carme (Turin, Gal. Sabauda), fragment du polyptyque du Carmine de Messine (v. 1545). Sans avoir connu directement, semble-t-il, les dernières œuvres de Michel-Ange, sa propre peinture est celle d'un visionnaire dont la passion s'exprime avec une étonnante liberté. Cet aspect anticlassique, qui annonce à la fois le Maniérisme et Caravage, ne fut pas toujours compris et reste mal connu. Par contre, son œuvre romaine de décorateur, largement diffusée par la gravure, a été d'une extrême importance pour les artistes du XVIe s. (Vasari, Salviati) comme elle le sera pour Pietro da Cortona, Rubens, qui apprécia la clarté de ses compositions, et Füssli.