Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
G

Grimaldi (Giovanni Francesco) , dit il Bolognese

Peintre, graveur et architecte italien (Bologne 1605 ou 1606  – Rome 1680).

Formé à l'école des Carrache et marqué par l'art de Titien, il vint à Rome en 1626, où il fut reçu en 1636 à l'Académie de Saint-Luc (il en devint " principe " en 1666). Après avoir peint à fresque la façade du palais Poli, il dirigea, en collaboration avec l'Algarde, la construction de la Villa Doria Pamphili (1644-1652), qui appartint au cardinal Camillo Pamphili, marquant de son classicisme l'agencement du parc et décorant les salles de paysages et de scènes mythologiques, dans la tradition bolonaise. Appelé en 1649 à Paris par le cardinal Mazarin, en tant que peintre du duc d'Orléans, il travailla au palais Mazarin (auj. B. N., gal. Mazarine : 8 niches opposées aux fenêtres et embrasures des fenêtres ; grandes perspectives avec paysages), au Louvre (appartements de la reine Anne d'Autriche [décoration disparue]) et pour l'église Saint-Paul – Saint-Louis. En 1651, il revint à Rome, où il resta jusqu'à sa mort, exerçant une intense activité : fresques au palais Borghèse, au Quirinal (1656-57), à Frascati (Villa Falconieri), à Tivoli (Dôme), à l'Académie de Saint-Luc (1670), à l'église S. Maria della Vittoria, à l'église S. Maria dell'Anima. Après Dughet, avec lequel il collabora, Grimaldi fut le principal peintre de paysages de la seconde génération carrachesque, propagateur du paysage " idéal " classique, de goût arcadique, utilisé comme un décor illusionniste d'intérieur ; il est surtout connu aujourd'hui pour ses gravures et ses peintures de paysages (Tobie et l'Ange, Glasgow, Hunterian Gallery ; Vénus et les amours, San Francisco, musée), où il montre une réelle habileté, mais sans grande originalité.

Grimmer (les)

Peintres flamands.

 
Jacob (Anvers v.  1525  – id.  1590). Il fut l'élève de Gabriel Bouwens, de Matthijs Cock et de Christiaen Van den Queeckborne et devint franc maître en 1547. Paysagiste typiquement brabançon, il sut concilier la simplification des motifs naturels à un sens inné de la réalité. Ses sujets, anecdotiques de préférence, sont exécutés avec une réserve qui s'étend même au coloris. Jacob se rapproche de P. Bruegel par la sincérité de son langage artistique sans pouvoir atteindre cependant la grandeur de ce dernier. Une de ses œuvres les plus importantes est le Paysage avec château de Bruxelles (M. R. B. A.). Ce tableau signé " Grimer ", sans prénom et daté de 1592, a trop de qualités pour être de la main de son fils Abel, mais la date et l'étude de la signature laissent supposer qu'il a été achevé par ce dernier après la mort de son père. Ce panneau, avec un château entouré d'eau, présente d'ailleurs d'étroites analogies avec la partie gauche d'une petite Vue sur l'Escaut signée " Iacop Grimer ", datée de 1587 et conservée au musée d'Anvers. Les personnages du tableau de Bruxelles ont probablement été exécutés par Gillis Mostaert, qui collabora également à un tableau assez semblable conservé à Vienne (K. M.) et daté de 1583.

 
Abel (Anvers apr. 1570 – id. 1618). Fils de Jacob, il fut aussi son élève et devint franc maître à Anvers en 1592. Il a si bien imité son père que leurs œuvres sont souvent confondues. Abel, cependant, pousse plus loin les naïvetés de son père dans la simplification de la nature, tandis que l'exécution, bien que soignée, devient systématique. La plupart du temps, il a peint des séries de tableaux consacrés aux Quatre Saisons et aux Douze Mois. Il s'est également inspiré de certaines gravures d'après P. Bruegel et Hans Bol : ainsi, le Patinage sur le fossé de la porte Saint-Georges à Anvers (1602, Bruxelles, M. R. B. A.) est la réplique d'une estampe d'après P. Bruegel. Dans la Vue de la ville d'Anvers et d'une partie de la Tête de Flandre du musée d'Anvers, il s'est appliqué surtout à rendre l'étendue de l'espace. Quelquefois, Abel Grimmer a abordé des compositions plus ambitieuses, comme la Montée au Calvaire (1593) du musée de Bruges et Jésus chez Marthe et Marie (1614) du M. R. B. A. de Bruxelles.

Grimou (Alexis)

Peintre français (Argenteuil 1678 – Paris 1733).

Il se souvient de Rembrandt dans ses portraits de fantaisie, brossés dans des tons chauds (Jeunes Pèlerins, Offices, musées d'Avignon, de Bordeaux) ; il est parfois sensible à l'art des Flamands (Marquis d'Artaguiette, en buveur, 1720, musée de Niort), tandis que ses figures d'acteurs (Mademoiselle Duclos, Paris, musée Carnavalet ; le Bain, musée de Bayeux) et ses nombreux autoportraits (Louvre ; Dijon, musée Magnin) sont influencés plus directement par le Caravagisme français : ses Quatre Âges de la vie (musée de Bordeaux) sont une interprétation d'un tableau de Valentin (Londres, N. G.). Ses " espagnoleries " apportent au portrait, dans la première moitié du siècle, une note d'originalité qui annonce certains aspects de l'art de Fragonard.

Grimshaw (Atkinson)

Peintre britannique (Leeds 1836  – id.  1896).

Peintre provincial, Grimshaw n'exposa que très rarement à Londres et il dépendit presque entièrement de ses commanditaires du nord de l'Angleterre. Il se spécialisa dans des vues nocturnes, le plus souvent urbaines, d'un réalisme méticuleux qui n'exclut pas une certaine poésie due aux effets de lumière (il semble qu'il ait donné quelques conseils à Whistler, son voisin à Chelsea, et que ce dernier s'en soit souvenu dans ses Nocturnes). Le monde de Grimshaw est ainsi celui de la ville victorienne, des quais embrumés, des rues étouffées par le brouillard qu'éclaire de façon diffuse la clarté des lampadaires ou des habitations. Grimshaw avait mis au point une technique mêlant peinture et photographie. Aussi fut-il tenu en suspicion par les peintres contemporains, qui ne reconnaissaient pas en lui un véritable artiste. La tradition du paysage au clair de lune, qu'il avait illustrée, disparut avec lui.

Gris (Juan)

Peintre espagnol (Madrid 1887-Boulogne-sur-Seine 1927).

De son véritable nom Victoriano González (nom qu'il porta presque jusqu'à son départ d'Espagne), il entre en 1902, sur le désir de ses parents, à la Escuela de Artes y Manufacturas de Madrid. Se sentant depuis longtemps une vocation artistique, il abandonna toutefois deux ans plus tard ses études scientifiques pour se consacrer entièrement à la peinture. Son premier professeur fut un vieux peintre académique qui ne put, comme il devait le dire plus tard, que le dégoûter de la " bonne " peinture (lettre de Gris citée par Kahnweiler, Juan Gris, Paris, 1946). Sous l'influence des revues allemandes Simplicissimus et Jugend (dont son ami Willy Geiger était le collaborateur), Gris se tourna un temps vers le Jugendstil, qui était alors fort prisé en Espagne et représentait, pour la plupart des artistes madrilènes d'alors, l'art le plus avancé. Cependant, cette esthétique ne put le satisfaire longtemps, et, ressentant le besoin d'une atmosphère de nouveauté et de recherche plus propre à le stimuler, il décida en 1906 de partir pour Paris, où plusieurs de ses compatriotes vivaient déjà et où l'attirait en particulier la renommée naissante de Picasso. Il trouva un atelier à l'endroit même où habitait celui-ci, au fameux Bateau-Lavoir. Mais, ayant vendu tout ce qu'il possédait pour payer son voyage, il dut d'abord travailler et, durant près de cinq ans, son temps se passa à composer des dessins humoristiques qu'il plaçait dans divers journaux illustrés, notamment l'Assiette au beurre, le Charivari et le Cri de Paris. Aussi, bien qu'il peignît un peu à ses moments de loisir, ne put-il se consacrer à son art que vers 1911.

   À peine âgé de vingt-quatre ans, sans formation technique véritable, il ne chercha pas à affirmer d'emblée une esthétique personnelle, mais résolut de suivre la voie ouverte par Picasso et Braque (ils séjournent tous trois en 1911 à Céret) dont il partageait les vues.

   Après avoir tenté en 1911 de résoudre le problème de la lumière venant frapper les objets (le Livre, Paris, M. N. A. M. ; Portrait de Maurice Raynal ; Natures mortes, New York, M.O.M.A., et Otterlo, Kröller-Müller), il exécuta, au début de 1912, des œuvres dans lesquelles il commença à appliquer certains procédés spécifiquement cubistes, tels que le renversement des plans ou la variation des angles de vue (Hommage à Picasso, Chicago, Art Inst. ; Guitare et fleurs, New York, M.O.M.A.), mais ce n'est qu'à partir de 1912 qu'il adopta entièrement le langage cubiste. Bien qu'on le cite pour avoir été le plus orthodoxe des cubistes, il ne se départit jamais de sa propre personnalité. Dès l'époque analytique, en effet, sa peinture se distingua de celle de ses initiateurs par un emploi assez différent de la couleur et par une construction plus affirmée du tableau. Refusant d'accorder une valeur exclusive au " ton local ", il se contentait de donner une sorte d'échantillon de la matière (sauf pour certains objets rebelles à l'analyse, tels que miroir, gravure ou reproduction de tableau, qu'il introduisait alors carrément dans son œuvre) et usait pour le reste de couleurs franches et vives, parfois même assez contrastées (le Fumeur, 1913, le Torero, 1913, les Trois Cartes, musée de Berne, fondation Rupf). S'il représentait lui aussi plusieurs aspects différents d'un même objet, il se refusait à séparer ceux-ci sur la toile et tâchait au contraire de les réunir en une image unique.

   Dès la fin de 1914 et en particulier dans ses admirables papiers collés (la Bouteille de banyuls, musée de Berne, fondation Rupf ; Nature morte aux roses, Paris, ancienne coll. Gertrude Stein ; Nature morte, Otterlo, Kröller-Müller ; Nature morte au verre de bière, on relève une désaffection de plus en plus grande à l'égard de la méthode " analytique " et le passage à une méthode plus " synthétique ", dans laquelle les objets sont le plus possible réduits à leurs attributs permanents. Cette nouvelle conception culmine dans l'admirable Nature morte au livre, à la pipe et aux verres (1915). Le passage d'une méthode à l'autre ne se fit pourtant pas en un jour. Nombreuses sont les toiles des années 1915-1917 qui trahissent une certaine hésitation de leur auteur sur le chemin à suivre. Tantôt Gris semble perdre l'objet de vue pour ne plus s'occuper que de l'architecture du tableau (la Place Ravignan, 1915 ; la Lampe, 1916, Philadelphie, Museum of Art, coll. Arensberg), tantôt il revient à cet objet, mais dans son désir d'échapper aux inconvénients de l'analyse, il en donne une représentation quelque peu schématique, frôle même parfois la stylisation (Nature morte au poème, 1915, le Violon, 1916, musée de Bâle ; Nature morte aux cartes à jouer, 1916, Saint Louis, Missouri, Washington University, Gal. of Art ; l'Échiquier, 1917, New York, M.O.M.A.). En fait, ce n'est qu'au début de 1918 que Juan Gris se sentira entièrement maître de sa nouvelle technique " synthétique ".

   Les années de guerre furent donc pour lui décisives et marquées par un travail acharné, en dépit d'embarras pécuniaires souvent tragiques (Kahnweiler, sujet allemand, n'ayant pu rentrer en France, Gris se trouvait en effet d'autant plus démuni que, se considérant lié par son contrat, il refusa longtemps de vendre à d'autres), mais ce labeur devait porter magnifiquement ses fruits.

   Si les œuvres que Gris exécuta entre 1918 et 1920 sont surtout remarquables par la rigueur de leur architecture plastique et par la pureté d'expression, d'une grandeur presque hautaine (Nature morte au compotier, 1918, musée de Berne, fondation Rupf), si celles des années 1921 à 1923 font, au contraire, preuve chez lui d'un lyrisme nouveau et d'un goût pour la couleur plus prononcé qu'auparavant (le Canigou, 1921, Buffalo, Albright-Knox Art Gal. ; Devant la baie, 1921, Cambridge, Mass., coll. Gustave Kahnweiler ; le Cahier de musiquerm ; Arlequin assis, 1923, il est permis de penser que ce sont les œuvres des trois dernières années de sa vie qui représentent en définitive le meilleur de sa production et aussi en quelque sorte le sommet de la pensée cubiste. La méthode que Gris y emploie marque en effet le point d'achèvement de la longue recherche épistémologique inaugurée par Picasso en 1907. Ce dernier, certes, fut là encore le créateur de la nouvelle méthode, qu'il utilisa dès 1913, mais, comme toujours, pressé de courir vers de nouvelles découvertes, il se contenta d'apporter la solution sans chercher à l'exploiter lui-même longuement. C'est donc Gris qui, l'ayant reprise à son compte, la précisa et l'enrichit au point d'en faire, si l'on ose dire, sa propriété. Cette méthode, volontairement fondée sur une démarche intellectuelle a priori, est — mutatis mutandis — assez comparable en son fond à celle des phénoménologues allemands, de Husserl en particulier. Au lieu de dénombrer les divers aspects d'un objet comme on le faisait à l'époque du Cubisme analytique, le peintre, en effet, s'élève désormais d'une façon purement intuitive jusqu'à l'essence de cet objet, c'est-à-dire jusqu'à la structure nécessaire qui fait de lui ce qu'il est, ce qui le rend possible. Effectivement, dans un objet, certains prédicats (la couleur d'un verre, la matière d'une pipe) peuvent varier ; d'autres, au contraire, les prédicats " essentiels ", conditionnent la possibilité même de l'objet.

   Mais ce problème de méthode se double d'un problème de " visualisation ". Durant la période analytique, Gris assemblait les différents éléments descriptifs que lui fournissait l'étude visuelle de l'objet. En d'autres termes, il partait de l'objet pour arriver à l'architecture. Maintenant, au contraire, il part de l'architecture pour arriver à l'objet, ce qu'il résumait dans une formule restée célèbre : " Cézanne d'une bouteille fait un cylindre, moi, je pars du cylindre pour créer un individu d'un type spécial, d'un cylindre, je fais une bouteille " (l'Esprit nouveau, Paris, n° 5, février 1921). De la même manière, un parallélogramme blanc deviendra une page de livre ou un feuillet de musique ; un rectangle, une table ; un ovale, une poire ou un citron ; une forme composée de deux trapèzes affrontés, une guitare. D'une ligne droite se courbant brusquement naîtra une pipe ; d'une ligne sinueuse, le feston d'un tapis de table. Ce que Gris appellera " qualifier les objets ". Nées d'un parfait équilibre entre la richesse du contenu spirituel et les nécessités architecturales, empreintes d'une poésie discrète et d'une émotion pleine de pudeur, les compositions de cette dernière période (la Table du peintre,rm 1925 ; le Tapis bleu, 1925, Paris, M.N.A.M. ; Guitare et feuillet de musique, 1926) comptent parmi les chefs-d'œuvre du Cubisme. La sérénité qui se dégage de ces œuvres ne peut manquer de frapper. Elles furent pourtant créées à une époque où l'état de santé du peintre, s'aggravant de jour en jour, lui rendait tout travail pénible. Épuisé par une vie de misère et de privations, il avait, en effet, été atteint d'une pleurésie en 1920 et, malgré de fréquents séjours dans le Midi, ne s'en était jamais complètement remis. Après des mois de souffrance, il s'éteignit le 11 mai 1927 à Boulogne-sur-Seine, où il habitait depuis 1922, ayant eu malgré tout la consolation de voir son renom grandir auprès des amateurs et des critiques. L'œuvre gravé, surtout des illustrations, comprend 34 lithos et eaux-fortes. La ville de Madrid lui a consacré une exposition rétrospective en 1985. Une autre rétrospective a été présentée (Londres et Stuttgart) en 1992-93. Il est représenté Centro de Arte Reina Sofia (Madrid) par ensemble de tableaux.