La Patellière (Amédée Dubois de)
Peintre français (Vallet, près de Nantes, 1890 – Paris 1932).
Après une enfance campagnarde à Bois-Benoît, dont le souvenir marquera toute son œuvre, et des études classiques, il se rend en 1910 à Paris et fréquente l'académie Julian. Il exécute avant la guerre quelques eaux-fortes (1913-14). Son service militaire, puis la guerre l'empêchent de se consacrer entièrement à la peinture (dessins et aquarelles à Vincennes, musée de la Guerre). Démobilisé en 1919, La Patellière fait un séjour en Tunisie, puis s'installe à Paris en 1920 ; il partage désormais son temps entre Paris, l'Île-de-France (Machery et Vaugrigneuse) et la Provence (Saint-Paul-de-Vence, 1930-31). La presque totalité de son œuvre fut exécutée entre 1921 et 1931. L'artiste sacrifia d'abord au regain réaliste, à peu près général après la guerre, dans de grandes compositions un peu lourdes, des tableaux de baigneuses monumentales assez maladroites (le Repos des paysans, 1923, musée de Nantes). Deux thèmes apparaissent de bonne heure, celui de la réalité rustique, celui de l'évocation irréelle (femmes endormies ou rêvant, masques, instruments de musique). La Patellière doit au premier ses tableaux peut-être les plus aboutis, dont l'atmosphère est le plus subtilement suggérée, au moyen d'une palette sobre, à dominante de terres et d'ocres (le Repos dans le cellier, 1926, Paris, M. N. A. M.). De vigoureux petits formats (le Banc de bois, 1926) et des paysages équilibrés et nourris appartiennent à la même veine, qui situe bien l'artiste dans l'Expressionnisme à composante sociale des années 20. La Patellière évolua vers un style plus allégorique et visionnaire (la Fin du monde, 1929, Paris, M. N. A. M.), servi par une lumière tamisée et verte. Il illustra de lithographies Colline de Giono (1930). En 1973, une importante exposition lui a été consacrée au musée Galliera à Paris.
La Touche (Gaston)
Peintre français (Saint-Cloud 1854 – Paris 1913).
Interprétant systématiquement l'impressionnisme en tons très chauds, il peignit des paysages assez poétiques (les Cygnes, 1898, Versailles) et des scènes de genre charmantes ou attendries (l'Accouchée, 1888, musée de Sydney). Certaines toiles assez prétentieuses évoquent les fêtes galantes à la Watteau (Fête de nuit, 1906, Limoges, hôtel de ville) et des singeries qui se souviennent trop du XVIIIe s. Il réalisa aussi des panneaux décoratifs pour la mairie de Saint-Cloud (Allégorie de la Paix, 1897), le ministère de la Justice à Paris (le Poète, le Peintre, le Sculpteur, 1910, auj. au Sénat) ou la villa Arnagua d'Edmond Rostand à Cambo-les-Bains (la Fête chez Thérèse, 1906). La Touche grava à la pointe sèche les illustrations de l'Assommoir de Zola (1879). Cinq de ses œuvres (dont Jalousie, Une loge) se trouvent aujourd'hui conservées au musée d'Orsay.
La Tour (Georges de)
Peintre français (Vic-sur-Seille, évêché de Metz, 1593 – Lunéville 1652).
Fameux en son temps, puis totalement oublié, redécouvert à partir de 1915 (Hermann Voss, s'appuyant sur les travaux d'Alexandre Joly, 1863), ce peintre a retrouvé une place éminente dans la peinture française depuis l'exposition des Peintres de la réalité (1934) et la thèse de François-Georges Pariset (1948) ainsi que dans la peinture internationale depuis l'achat retentissant de la Diseuse de bonne aventure par le Metropolitan Museum (1960) et l'exposition consacrée au peintre (Paris, Orangerie, 1972).
Né en 1593 dans le gros bourg lorrain de Vic-sur-Seille, alors dépendant de l'évêché de Metz, second fils d'un boulanger et d'une fille et sœur de boulanger, La Tour semble pourtant recevoir une éducation assez soignée et profiter, pour l'apprentissage de son art, du foyer brillant qui s'est développé en Lorraine (Bellange). Un séjour en Italie entre 1610 et 1616 a pu superposer à la formation maniériste probable une expérience caravagesque : mais nulle preuve matérielle n'en a pu être découverte jusqu'ici. Dès 1616, La Tour, qu'on retrouve à Vic, semble un peintre formé. En juillet 1617, il épouse Diane Le Nerf, fille de l'argentier du duc de Lorraine et de famille noble, et, après la mort de son père (1618), il va s'installer à Lunéville, pays de sa femme, où il se fait recevoir bourgeois de la ville (1620). Doté par le duc de lettres d'exemption (1620) qui lui octroient les franchises accordées aux personnes de qualité noble, bientôt riche, il y mène une vie de hobereau lorrain, aimant la chasse, entretenant une meute, brutal à l'occasion avec les paysans, préservant durement fortune et privilèges au milieu d'un pays qui, à partir de 1635, se verra cruellement ravagé par les guerres, les famines, les épidémies. La renommée dont il jouit promptement (achats du duc de Lorraine en 1623-24) se confirme sous l'occupation du duché par les troupes françaises : La Tour obtient le titre de peintre ordinaire du roi (av. déc. 1639) et l'estime particulière du gouverneur, le maréchal de La Ferté, pour qui il peint notamment une Nativité (1644), un Saint Alexis (1648), un Saint Sébastien (1649), un Reniement de saint Pierre (1650, sans doute le tableau du musée de Nantes). Ses œuvres atteignent des prix considérables (600, 700 francs et plus). C'est en pleine gloire, semble-t-il, qu'il est enlevé par une épidémie, le 30 janvier 1652, quelques jours après sa femme et son valet. Son fils Étienne, probablement son collaborateur depuis 1646, obtient à son tour le titre de peintre ordinaire du roi dès 1654 ; mais, riche, il cesse bientôt de se réclamer de ce métier roturier, devient lieutenant de bailliage, et sa rapide ascension sociale (lettres d'anoblissement en 1670) explique sans doute pour une bonne part l'oubli qui s'étend promptement sur l'œuvre de son père.
Reconstitué à partir de quelques toiles signées, cet œuvre ne comprend plus qu'un petit nombre de compositions (env. 75, dont 35 originaux retrouvés), toiles religieuses et scènes de genre exclusivement : ni tableaux mythologiques, ni portraits, ni dessins. Les multiples répliques anciennes (Saint Sébastien soigné par Irène, composition en largeur : 11 exemplaires connus, original non retrouvé) prouvent pourtant la célébrité qui s'attacha à plusieurs de ses inventions.
On distingue à l'ordinaire scènes diurnes et scènes nocturnes. Les premières sont traitées dans une lumière froide et claire, avec une écriture précise, rapide, impitoyable, fouillant à la pointe du pinceau les rides et les haillons (les Mangeurs de pois, Berlin, musées ; Saint Jérôme pénitent, 2 versions originales, Stockholm, Nm, et musée de Grenoble ; le Joueur de vielle, musée de Nantes). Les " nuits " utilisent au contraire la lumière artificielle pour exclure la couleur — une tache de rouge vif venant seule, d'ordinaire, animer la gamme des bruns — et pour réduire les volumes à quelques plans simples qui ont fait souvent prononcer le mot de " Cubisme " (Saint Sébastien soigné par Irène, composition en hauteur, Paris, Louvre). Le petit nombre de toiles clairement datées (Saint Pierre repentant, 1645, musée de Cleveland ; le Reniement de saint Pierre, 1650, musée de Nantes) n'a pas jusqu'ici permis l'accord complet des érudits sur une chronologie. Il semble pourtant possible de distinguer une première période (1620-1630), nettement marquée par le réalisme caravagesque et très proche de l'art d'un Baburen ou d'un Ter Brugghen (série du Christ et les douze apôtres ; Saint Thomas, Louvre ; 9 copies, musée d'Albi ; les Larmes de saint Pierre, perdues, gravées au XVIIIe s.). C'est seulement dans les années 1630 que La Tour évoluerait vers un réalisme plus personnel (le Joueur de vielle du musée de Nantes). La grande crise lorraine, avec ses désastres (1635-1642) et notamment l'incendie de Lunéville (30 sept. 1638), qui anéantit à coup sûr l'essentiel de cette première production, entraîne sans doute un séjour à Paris (v. 1638-1642 ?), où La Tour doit s'efforcer de s'imposer par des tableaux diurnes impressionnants (la Diseuse de bonne aventure du Metropolitan Museum, le Tricheur du Louvre) et surtout par ses " nuits " (le Saint Sébastien offert à Louis XIII). Le retour à Lunéville (1643) et la cinquantaine correspondent à la grande série des nocturnes : à une formule désormais tout originale correspond la plus haute méditation (Nouveau-né du musée de Rennes, Saint Sébastien soigné par Irène en hauteur du Louvre, sans doute 1649 ; Job raillé par sa femme, musée d'Épinal). Les années ultimes pourraient être marquées par la collaboration accrue d'Étienne et la reprise des compositions déjà anciennes (les Joueurs de dés, musée de Teesside).
Dans toutes ses œuvres, les thèmes, limités en nombre et volontiers répétés, sont presque toujours empruntés fidèlement au répertoire caravagesque des années 1610-1620 : la Diseuse de bonne aventure (Metropolitan Museum), l'Enfant prodigue ou le Tricheur (Louvre, et Fort Worth, Kimbell Art Museum), la Madeleine repentante (plusieurs versions : N. G. de Washington ; Louvre ; Metr. Mus. ; Los Angeles, County Museum ; et une autre gravée dès l'époque), le Reniement de saint Pierre (musée de Nantes). La Lorraine ne semble y ajouter que quelques sujets de dévotion particulière (la Découverte du corps de saint Alexis, un exemplaire peut-être original au musée de Nancy) ou quelques types spécifiques (le Joueur de vielle). Mais, au lieu de pousser ce répertoire vers le pittoresque comme la plupart de ses contemporains nordiques, La Tour renoue avec l'esprit des premiers caravagistes et ramène la peinture à l'étude exclusive de l'âme humaine. Il restreint le tableau à ses données essentielles, et son univers est sans doute le plus dépouillé qu'ait jamais créé un grand peintre. Il exclut anecdotes, décor, figurants, architectures (complètement absentes de l'œuvre connu), paysages (nulle place à la nature, aucune plante, deux ou trois bêtes seulement...), accessoires mêmes, réduits au minimum (ni auréoles aux saints, ni ailes aux anges), au point de rendre parfois ses sujets énigmatiques (Saint Joseph éveillé par l'ange, musée de Nantes). Il fige jusqu'aux gestes les plus violents en une sorte de schéma géométrique (la Rixe, Malibu, musée J. P. Getty) et préfère d'ordinaire l'immobilité, le silence, les regards baissés sur la méditation (la Femme à la puce, musée de Nancy). Il installe dans chacune de ses œuvres, qu'on devine lentement mûries, une nécessité plus rigoureuse encore que celle de son contemporain — et sur tant de points son contraire — Nicolas Poussin. De là cette présence insolite qu'acquiert le moindre détail et des compositions qui atteignent, avec des moyens en apparence très simples, mais souvent d'une audace surprenante (Job raillé par sa femme, musée d'Épinal), à une intensité exceptionnelle même chez les caravagistes. De là aussi — que La Tour souligne la faiblesse humaine et la déchéance des corps (le Joueur de vielle ; Saint Jérôme pénitent, Stockholm, Nm, et musée de Grenoble) ou qu'il lui oppose la dignité secrète et fragile de la vie intérieure (Saint Joseph charpentier, Louvre ; le Nouveau-né, musée de Rennes ; Saint Jean-Baptiste, Vie-sur-Seille, musée) — des œuvres qui s'apparentent à la fois au grand courant stoïcien diffus dans toute cette époque et à la mystique lorraine (saint Pierre Fourier, les Franciscains), et qui comptent sans conteste parmi les plus hautes méditations spirituelles du temps.