David (Gérard)
Peintre flamand (Oudewater v. 1460 – Bruges 1523).
Il est reçu maître à Bruges en 1484. On ignore les conditions de sa formation, mais il paraît certain qu'il connut l'art des maîtres de Haarlem et particulièrement de Gérard de Saint-Jean, dont on trouve l'influence des figures solennelles et puissantes dans ses premières œuvres. Il en reprend les éléments essentiels comme l'esprit dans plusieurs versions d'une Nativité (musée de Budapest ; Metropolitan Museum) et une Adoration des mages (Bruxelles, M. R. B. A.). Dans le triptyque de la Mise en croix (Londres, N. G. ; volets au musée d'Anvers), on décèle l'influence de Bouts et de Gérard de Saint-Jean. Bien accueilli à Bruges, David est chargé de fonctions dans le cadre de la confrérie des peintres et épouse, après 1496, Cornélie Cnoop, fille du doyen de la confrérie des orfèvres. En 1498, il achève, pour l'hôtel de ville de Bruges, 2 tableaux consacrés à des exemples de justice (Jugement de Cambyse, Châtiment de Sisamnès, musée de Bruges) : la concentration de l'intérêt sur les personnages dressés côte à côte en un rythme solennel est d'une force surprenante, qui se retrouve dans les tableaux d'autel : le Mariage mystique de sainte Catherine (Londres, N. G.) et la Vierge entre les vierges (musée de Rouen). Pourtant, son style s'assouplit pour traduire des visages féminins, encore imprégnés d'une grâce enfantine qui lui est propre. Dans 3 autres œuvres, le Chanoine Bernardin Salviati et trois saints (v. 1501-1502, Londres, N. G.), le Baptême du Christ (v. 1507 ?, musée de Bruges) et les volets extérieurs d'un triptyque de la Nativité (Mauritshuis), apparaissent de larges paysages : ils doivent à Gérard de Saint-Jean l'importance accordée au feuillé des arbres. En particulier, les volets du Mauritshuis sont consacrés uniquement au paysage qui, sans horizon lointain, s'ouvre sur une clairière. Les œuvres de la maturité de David, la Crucifixion (Berlin), les Noces de Cana (Louvre), sont caractérisées par un type humain bien reconnaissable aux corps râblés, aux visages ronds, surtout ceux des femmes, inscrits en volumes très fermes dans un espace nettement défini. Il emprunte souvent des schémas de composition à ses aînés : Van der Goes (Adoration des mages, Munich, Alte Pin.), Bouts (Déposition de croix, New York, Frick Coll.). Une commande destinée à l'abbaye de la Cervara, en Ligurie (1506), qui laisserait supposer un éventuel voyage du peintre en Italie, le conduit à réaliser un retable de type italien, construit autour de grandes figures plastiques (panneaux dispersés entre le Palazzo Bianco de Gênes, le Metropolitan Museum et le Louvre). Il travailla également pour le Portugal.
Dans la dernière période de son activité, David crée des compositions très populaires, un peu sentimentales, répétées en de nombreux exemplaires par lui-même et son atelier. La Vierge à la soupe au lait (meilleur exemplaire au Mauritshuis) s'inscrit dans la tradition familière hollandaise, ainsi que la Fuite en Égypte avec la Vierge allaitant (Metropolitan Museum) et des petits panneaux comme celui du Christ prenant congé de sa mère (id.). La tradition veut que Gérard David soit l'auteur d'enluminures : il en est très peu pourtant qui puissent lui être attribuées (Livre d'heures d'Isabelle d'Espagne, British Museum ; Livre d'heures à l'Escorial). Le musée de Bruges conserve un bel ensemble de ses œuvres.
David (Louis)
Peintre français (Paris 1748 – Bruxelles 1825).
En 1757, à la mort de son père, le marchand mercier Maurice David, Jacques Louis est élevé par son oncle Jacques Buron et orienté vers l'architecture. Mais, rêvant de devenir peintre, le jeune homme obtient finalement de son tuteur de suivre sa vocation, et, après avoir fréquenté l'académie de Saint-Luc, il suit à partir de 1766 les cours de Vien. Ayant présenté au concours du prix de Rome, en 1771, le Combat de Minerve et de Mars (Louvre), il ne remporte que le deuxième prix et devra attendre plusieurs années avant d'obtenir la mention tant convoitée. Après quelques échecs qui faillirent le pousser au suicide, c'est en 1774 que le premier prix lui revient enfin pour son tableau Érasistrate découvrant la cause de maladie d'Antiochus (Paris, E. N. B. A.). L'année suivante, l'artiste part pour Rome en compagnie de Vien, nouvellement nommé directeur de l'Académie de France. Les cinq années passées dans la Ville Éternelle vont être décisives pour l'évolution de sa carrière. Ayant quitté Paris avec la conviction que l'antique ne le séduirait pas, il est frappé sur place par la grandeur de cette civilisation et se trouve, en outre, plongé dans le grand mouvement néo-antique et initié, par l'intermédiaire de Peyron, Giraud, Quatremère de Quincy, aux théories nouvelles propagées par Mengs et l'archéologue Winckelmann. Abandonnant momentanément la peinture pour le dessin, David se met alors à étudier les monuments de l'ancienne Rome ainsi que les toiles des grands maîtres, et l'on peut suivre dans ses carnets de croquis (Louvre ; Cambridge, Mass., Fogg Art Museum ; Stockholm, Nm) l'évolution de ses idées esthétiques. Peu nombreuses sont les peintures que l'on connaît de cette période. La plus importante, réalisée au retour d'un voyage à Naples pour le Lazaret de Marseille, Saint Roch intercédant auprès de la Vierge pour la guérison des pestiférés (1780, musée de Marseille), illustre la rupture avec l'enseignement de Boucher, avec qui David était apparenté par sa mère, et même avec celui de Vien ; le réalisme des figures du premier plan, l'expression des visages annoncent les recherches de Gros dans les Pestiférés de Jaffa. La plus ambitieuse, sans doute, est l'œuvre récemment retrouvée illustrant un passage de l'Iliade, les Funérailles de Patrocle (1779, Dublin, N. G.), toile encore chargée de réminiscences baroques, mais construite selon des rythmes plus sages.
Lorsqu'il revient en France en 1780, l'artiste a acquis non seulement un répertoire inépuisable de formes et de sujets, mais une maturité et une expérience qui se révèlent dans le tableau exposé au Salon de 1781, Bélisaire reconnu par un soldat (musée de Lille), puis, deux ans plus tard, dans son morceau de réception à l'Académie, la Douleur et les regrets d'Andromaque sur le corps d'Hector (Louvre). Sa réputation allant en grandissant, il ouvre un atelier où très vite les élèves — et parmi ceux-ci Girodet, Fabre, Wicar, Drouais — se pressent. En 1784, ayant reçu du comte d'Angiviller la commande d'un tableau et choisissant de traiter le Serment des Horaces (Louvre), David repart pour Rome afin d'exécuter sa toile dans une atmosphère " antique ". Exposée à Rome avant d'être envoyée au Salon de 1785, la composition — dans laquelle s'affirment la primauté de la ligne et du statisme sur la couleur et le mouvement ainsi que le retour à un humanisme classique — remporte un triomphe éclatant et est acclamée comme le manifeste accompli de la nouvelle école. Fidèle à la formule des Horaces, un sujet antique à peu de personnages, David expose en 1787 la Mort de Socrate (Metropolitan Museum), puis en 1789 Les licteurs rapportent à Brutus le corps de ses fils (Louvre) et les Amours de Pâris et d'Hélène (id.).
La Révolution survient, qui le fait basculer directement de l'histoire dans l'actualité. Militant passionné, il met son art et sa personne au service de la nation. Successivement député à la Convention, membre du Comité de sûreté générale, grand ordonnateur des fêtes et des cérémonies révolutionnaires, son activité s'exerce dans tous les domaines. Lorsqu'il prend ses pinceaux, c'est pour illustrer certains épisodes de ce temps, tragiques (Marat assassiné, 1793, Bruxelles, M. R. B. A. ; Mort du jeune Bara, 1794, musée d'Avignon) ou héroïques (le Serment du Jeu de paume, tableau qui ne fut pas achevé ; Versailles), avec une force et une vérité que l'on retrouve dans ses portraits intenses et directs de parents, d'amis ou de personnalités admirées. La franchise d'observation, la sûreté de la facture qui caractérisaient déjà le Portrait du comte Potocki (1780, musée de Varsovie) et les premières effigies des familles Buron ou Sedaine révèlent que l'artiste, échappant aux contraintes esthétiques et à l'emprise de l'Antiquité, sait exalter pour le portrait le meilleur de ses dons. Et son incomparable technique triomphe dans les figures bien connues de Lavoisier et sa femme (1788, Metropolitan Museum), de la Comtesse de Sorcy-Thélusson (1790, Munich, Neue Pin.) et de sa sœur la Marquise d'Orvilliers (1790, Louvre), de Madame Trudaine (v. 1790-91, id.), de Madame de Pastoret (Chicago, Art Inst.) ou de Monsieur et Madame Sériziat (1795, Louvre), qui se détachent avec une simplicité monumentale sur un fond neutre. Accusé de haute trahison après la mort de Robespierre (1794), David est à deux reprises incarcéré au palais du Luxembourg, transformé en prison ; outre la Vue du Luxembourg, son seul paysage peint, il y conçoit les Sabines (Louvre), qu'il terminera en 1799 et qui témoigne de son désir d'atteindre à une perfection stylistique plus grande, à l'imitation des Grecs. L'année suivante, il entreprend, sans toutefois l'achever, le Portrait de Juliette Récamier (Louvre), à demi étendue sur un lit de repos de forme antique et dont la souple tunique blanche tranche délicatement sur les frottis gris et bruns du mur et du parquet.
La rencontre avec Bonaparte, dont il fixe les traits dans une brillante esquisse (v. 1797-98, Louvre) et l'image héroïque dans le Portrait équestre de Bonaparte au mont Saint-Bernard (1800, versions à Malmaison, Versailles et Berlin, Charlottenburg), devait arracher le peintre à la fiction antique, le restituer à l'histoire contemporaine. Nommé premier peintre de l'Empereur en décembre 1804, David est chargé de commémorer les scènes principales des fêtes du couronnement. Sur les quatre compositions prévues, deux seront exécutées : le Sacre (1805-1810, Louvre) et la Distribution des aigles (1810, Versailles) ; les deux autres, l'Intronisation et l'Arrivée à l'Hôtel de Ville, ne sont connues que par des dessins (Louvre ; musée de Lille). Époque glorieuse mais sans lendemain, car l'artiste, malgré une renommée désormais internationale, devant l'insuccès de ses démarches pour prendre la direction des Beaux-Arts et obtenir la place que Le Brun occupait deux siècles auparavant auprès de Louis XIV, abandonne les travaux et le monde officiels. Il reprend, dès 1813, le Léonidas (Louvre ; commencé en 1802, le tableau avait été interrompu par les commandes impériales) que l'Empereur ira admirer à son retour de l'île d'Elbe en mars 1815. Certains portraits officiels de cette époque comptent parmi les plus remarquables de son œuvre : le Comte Français de Nantes (1811, Paris, musée Jacquemart-André), Napoléon (1812, Washington, N. G.), Madame David (1813, id.).
À la Restauration, David, qui était resté fidèle à Napoléon, préfère s'exiler en Belgique plutôt que de solliciter sa grâce auprès de Louis XVIII. Accueilli avec enthousiasme par ses anciens élèves belges, il ouvre un atelier à Bruxelles et consacre les dernières années de sa vie à peindre, dans une facture qui révèle un alanguissement certain de ses théories, des sujets galants inspirés de la mythologie ou de la littérature antiques (l'Amour et Psyché, 1817, musée de Cleveland ; Télémaque et Eucharis, 1818, Los Angeles, Getty Museum ; la Colère d'Achille, 1819, Fort Worth, Kimbell Art Museum ; Mars désarmé par Vénus et les Grâces, 1824, Bruxelles, M. R. B. A.), ne s'interrompant que pour exécuter des portraits dont la sobriété et la franchise le placent dans la grande lignée des portraitistes français de Fouquet à Cézanne (le Général Gérard, 1816, Metropolitan Museum ; la Comtesse Vilain XIIII et sa fille, 1816, Londres, N. G. ; Sieyès, 1817, Cambridge, Mass., Fogg Art Museum ; Comte de Turenne, Copenhague, N. C. G. ; Comtesse Daru, 1820, New York, Frick Coll.) ainsi que la réplique du Sacre (1821, Versailles) avec l'aide de son élève Georges Rouget. Il meurt à Bruxelles le 2 décembre 1825, entouré de respect et de vénération.
Grand peintre d'histoire, remarquable portraitiste, David tient une place primordiale dans l'évolution de la peinture du XIXe s., qui ne s'expliquerait pas sans les résonances profondes de son art et les réactions qu'il provoqua. Tour à tour admiré et décrié, proclamé par son entourage le rénovateur de la peinture française, par Delacroix " le père de la peinture moderne ", mais aussi accusé d'avoir favorisé par ses idées le pire des académismes, il nous apparaît aujourd'hui comme un maître puissant. Son art, direct et volontaire, uni et divers, sa science du dessin et de la composition, sa puissance de vision exercèrent une influence profonde sur tous les artistes. S'il a transmis aux classiques (à Ingres et à ses élèves) des idées, un langage, un sens de la beauté formelle, il a communiqué aux romantiques, par l'intermédiaire de Gros, le souffle épique qui leur permettra de concevoir d'immenses toiles ou de vastes décorations. En ce sens, son œuvre continue de poser un problème non résolu. Car elle reflète bien ce " singulier mélange de réalisme et d'idéal " dont parlera plus tard Delacroix. Tout en considérant que l'Antiquité est " la grande école des peintres modernes ", David observe la nature avec une intensité rarement atteinte jusque-là. Ne voir en lui que le principal tenant d'un art fait de pillage est donc une injustice, de même que l'accuser de n'avoir créé que de grands dessins coloriés.
Bien au contraire, ses qualités picturales ont ouvert la voie à une nouvelle façon de traduire la pensée, en peinture. Et maints détails du Marat ou du Sacre (pour ne citer que les plus éclatants) révèlent une luminosité vibrante, une capacité de saisir les modifications colorées de la lumière sur les objets. " Peindre vrai et juste du premier coup ", ne pas " s'habituer à laisser aller sa main et s'abandonner aux couleurs en disant : je reprendrai cela plus tard ", tels sont les préceptes que David enseigna à ses élèves ; un amour du travail bien fait, une virtuosité technique qui se cache et ne laisse rien au hasard sont peut-être, avec un sentiment profond de la réalité, les qualités essentielles de ce peintre qui sut mettre ses dons au service d'une érudition patiemment acquise. Une rétrospective a été consacrée à l'artiste (Paris, Versailles, 1989).