Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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portrait (suite)

Le XIXe et le XXe siècle : le triomphe de l'individualisme, les grandes crises

Éclat du portrait jusqu'en 1850

Il n'y a plus de portraitistes professionnels comme Rigaud ou Van Loo, mais tous les peintres exécutent des portraits ; le genre connaît un grand essor pendant toute la première moitié du XIXe s., puis une crise, due autant à l'avènement de la photographie qu'au mouvement des idées qui accompagne dans les années 70 la naissance de l'Impressionnisme. Jusqu'en 1850 un grand nombre de portraits relève de deux esthétiques différentes : le portrait néo-classique, ou davidien, linéaire, aux couleurs acides, situant l'individu dans son cadre social, et le portrait romantique, qui met l'accent sur une atmosphère générale enveloppant la figure, peut-être sous l'influence anglaise, et qui montre l'individu isolé sur fond neutre ou dans un paysage plus ou moins en accord avec son état d'âme ; le modèle, dont le regard fait pressentir la fièvre intérieure, est ici représenté hors de la société. Mais que le portrait soit néo-classique ou romantique, il correspond dans les deux cas à une idéalisation ; pour Lessing, " le portrait ne devait être ni réaliste ni caricatural, mais voué à l'éternité ". Le thème du héros militaire ou romantique en est une manifestation soit allégorique, soit dramatique. David épure son style depuis le portrait équestre, aux riches empâtements, du Comte Potocki (musée de Varsovie) jusqu'aux Époux Pécoul (Louvre), figures claires et précises sur fond presque neutre, et surtout aux portraits de Madame Récamier (Louvre) ou de Madame Charles-Louis Trudaine (id.), détachées sur un fond de léger frottis. Le thème du héros inspire à David des effigies réalistes comme Marat (Bruxelles, M. R. B. A.), fougueuses comme Bonaparte franchissant les Alpes (Versailles) et le plus beau portrait de Bonaparte : le visage, esquissé à l'huile sur toile (Louvre), énergique et brûlé par une fièvre intérieure, du jeune général de l'armée d'Italie. Dans un style toujours linéaire et clair, mais davantage porté vers la vérité du détail, l'idéalisation du contour et la description d'un cadre social, Ingres peint ses portraits les plus séduisants avec ceux des Rivière (Louvre). Le Néo-Classicisme formel d'Ingres dégage un parfum quelque peu romantique dans certains portraits que l'artiste fit à Rome d'une société raffinée, sur un fond de paysage aux nuages de plomb (Portrait de Granet, musée d'Aix-en-Provence) ; en pleine maturité, il va peindre la bourgeoisie, dont la puissance nouvelle émane de portraits comme ceux, pesants, de Monsieur Bertin assis (Louvre) ou de Madame Moitessier (Londres, N. G.), dont la robe, de riche soierie, intéresse autant le peintre que le modèle. À côté de ces portraits de facture néo-classique, on trouve toute une série de figures raffinées et mélancoliques, souvent peintes par des élèves de David, mais touchées par une atmosphère sentimentale qu'ils doivent à l'influence anglaise : ainsi l'élégant Isabey et sa fille par Gérard (Louvre) et les portraits de l'Impératrice Joséphine à demi allongée sur une méridienne ou dans un paysage accordé à la grâce souple du modèle (Gérard, Prud'hon). D'une facture classique, mais d'un style énergique et sensible à l'insolite, signalons le Portrait d'une négresse (Louvre) par Mme Benoist et le Portrait de Belley (Versailles) par Girodet. Prud'hon prolonge par sa grâce le XVIIIe s., et son goût d'une atmosphère enveloppante fait le lien avec le Romantisme (Monsieur et Madame Anthony, musées de Dijon et de Lyon). D'esthétique pleinement romantique, Gros, Géricault ou Delacroix modèlent avec force leurs figures, tandis que Chassériau demeure ingriste dans son goût pour la perfection de la forme (les Sœurs de l'artiste, Louvre). Le portrait d'artiste dandy ou négligé reflète une vie d'émotions et de quêtes intellectuelles jamais satisfaites (Delacroix : Chopin, Louvre). Les portraits de fous de Géricault (Louvre, musées de Lyon et de Gand) introduisent enfin une dimension nouvelle par leur thème et l'objectivité supérieure dont ils témoignent.

Les crises : après 1850

Vers 1850, le grand développement de la photo, introduite vingt ans plus tôt, provoque des polémiques : au réalisme de Millet (portraits de jeunesse, officiers ou jeunes bourgeoises) et de Courbet (Madame Borreau [1863, musée de Cleveland], figure en buste sur fond neutre restituée dans une pâte épaisse), Daumier oppose un art d'expression dans la lignée de Lavater, Hogarth et Goya. La Cour a ses artistes (Winterhalter), la bourgeoisie, les siens : Couture puis Carrière en France, Feuerbach en Allemagne, Whistler et Sargent aux États-Unis.

   Déjà ébranlé par l'assaut d'une technique nouvelle, la photo, le portrait va subir celui de l'Impressionnisme. Pour les nouveaux peintres, il est souvent soit leur œuvre de jeunesse, soit l'aspect conventionnel de leur production. La référence au modèle étant contraignante en elle-même et riche d'une longue tradition, chaque artiste confère désormais au portrait un style dont il développera l'élément le plus singulier dans d'autres genres ou dans sa maturité. Corot baignait déjà ses figures dans une atmosphère sensible à la moindre variation de lumière ou d'humidité (Agostina, Washington, N. G.), Manet évolue d'un style dense vers des figures cernées à la manière de " cartes à jouer " (Clemenceau, musée d'Orsay), Degas saisit ses modèles à un instant donné (la Duchesse Morbilli, id.), Monet passe d'une figure pesante (Madame Gaudibert, id.) à un style léger proche de celui de Sisley et de Pissarro. Renoir est le portraitiste du Tout-Paris ; le monde du spectacle (Watner), des amateurs d'art (Choquet, Mademoiselle Charpentier) s'anime sous sa longue touche fluide et ses couleurs pures, que lui emprunteront B. Morisot et M. Cassatt. Les grands portraitistes prolongent les veines naturaliste avec les Nabis (Vuillard est le dernier peintre de la bourgeoisie) et caricaturale avec Toulouse-Lautrec, l'ironique et féroce peintre du monde du spectacle (la Goulue, Yvette Guilbert, musée d'Orsay). Le rôle de l'estampe japonaise est manifeste dans les deux cas, et l'introduction de cet orientalisme a pu retarder la dépréciation du portrait au profit du paysage et de la nature morte. D'autre part, la figure va passer dans la vie quotidienne grâce à l'affiche (Chéret), où elle subsistera.

   L'art des années 90 annexe le portrait à ses diverses recherches d'ordres technique, esthétique et psychologique, lui donnant ainsi des dimensions inédites, de Seurat, Signac (Félix Fénéon, 1890, New York, M. O. M. A.) à Redon, Van Gogh, Gauguin, Cézanne et Klimt (Adèle Bloch-Bauer, 1907, Vienne, Österr. Gal.). 

Le XXe siècle

Les fauves et les cubistes vont continuer dans la voie ouverte par leurs prédécesseurs : le portrait, désormais, importe moins que le tableau qu'il faut faire. La fonction de reproduction exacte de la physionomie du modèle est maintenant attribuée à la photographie. Le portrait fauve (Matisse, Van Dongen, Derain, Vlaminck) existe ainsi au même titre que le portrait cubiste (Picasso, Gris, Gleizes), et Picasso comme Matisse consacreront une partie de leur longue carrière au portrait, peint ou dessiné. Chez leurs contemporains, le portrait est traité avant 1914 surtout en Allemagne (Die Brücke) et en Autriche (Schiele, Kokoschka). L'école de Paris a de véritables portraitistes avec Modigliani et, secondairement, Chagall.

   Le retour au Réalisme classique des années 20 a redonné vie à un portrait plus conventionnel. Malgré leur soumission à la mode, Tamara de Lempicka et Boutet de Monvel ont su trouver un cachet original. Les interprétations les plus intéressantes sont celles de la Nouvelle Objectivité allemande (Dix, Schad, Beckmann), celles, plus rares, des surréalistes en France (Ernst, Valentine Hugo, Bellmer) et de leur compagnon Balthus (Derain, 1936, Miro, 1937-38, New York, M. O. M. A.) ou d'indépendants comme Soutine, Tal-Coat (Gertrude Stein, 1930). Après sa participation à Abstraction-Création, Villon a gravé des beaux portraits (le Savant, 1933 ; Miss Bea, 1934).

   La Libération eut surtout la révélation des portraits de Dubuffet (Fautrier, araignée au front), puis la vague de l'Abstraction a limité beaucoup plus que précédemment la production de portraits. Citons, expressionnistes et lyriques, les portraits d'Appel (1957), ceux de Bacon, un des maîtres de la Nouvelle Figuration, de Lucian Freud, de Kitaj et d'Arikha. Le pop art (Blake, Hockney, Lichtenstein, Warhol), le Néo-Réalisme (Raysse et Klein [Portrait-relief d'Arman, Paris, M. N. A. M.]), puis l'Hyperréalisme (Close, Hucleux) allaient s'approprier plus flegmatiquement la figure humaine, d'Andy Warhol et ses productions sérielles d'images-identités (Marilyn Monroe, 1967 ; Mao Tsétoung, 1974) à Chuck Close et ses copies énormément agrandies de portraits photographiques (Richard, 1969, Paris, M. N. A. M.).