Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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musées de peinture (suite)

Les nouveaux musées parisiens

Le musée Picasso créé pour accueillir les œuvres de l'artiste qui constituent la dation en paiement des droits de succession a ouvert en 1985 dans l'hôtel Salé (construit en 1656) dans le Marais. Il détient notamment plus de 200 peintures, 3 000 dessins et estampes, des céramiques, des sculptures, etc., et présente également la collection personnelle de l'artiste (donation Picasso).

   Le musée d'Orsay ouvert en 1986 dans l'ancienne gare d'Orsay (1898) présente de façon pluridisciplinaire un vaste ensemble d'œuvres de la seconde moitié du XIXe s. et des premières années du XXe s. Il assure ainsi le lien entre le Louvre et le M.N.A.M.

Les musées de province français

Leur origine est diverse et leur création s'échelonne dans le temps. Ils se multiplient au XVIIIe s. grâce à des initiatives locales, dans ces foyers artistiques vivants qu'étaient les anciennes capitales de province. C'est par exemple en 1796 qu'est créé le musée de Grenoble qui, outre ses collections prestigieuses (XVIe-XIXe s.), présente aujourd'hui l'un des plus importants ensembles d'art contemporain de France.

   Des abbés rassemblent les œuvres d'art dans les couvents ; puis des amateurs lèguent leurs collections à des académies de dessin : Antoine Ferrand de Monthelon lègue les meilleurs dessins de sa collection à l'Académie de Reims en 1742. L'existence officielle des grands musées de province date véritablement de la décision de Chaptal. À la Révolution, des œuvres d'art des églises et des monastères, les collections confisquées chez les émigrés et les suspects étaient rassemblées dans des dépôts de districts, où le Louvre puisa et dont beaucoup devinrent des musées quand l'intérêt local et les prescriptions du pouvoir central y trouvèrent encore ce que la négligence et la cupidité n'avaient pas fait disparaître.

   Le décret de Chaptal (14 fructidor an IX) décida la création de 15 grands musées provinciaux (Bordeaux, Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Nantes, Rennes, Rouen, Strasbourg, Toulouse, Caen, plus Bruxelles, Mayence et Genève, alors villes françaises), musées aptes à recevoir comme le Louvre une part du butin artistique de la grande armée et des envois des dépôts centraux parisiens, donc des tableaux de la Couronne et d'autres grandes collections

   La pensée dominante fut de présenter au public un ensemble le plus complet possible de toutes écoles et de toutes époques. Souvent peu cultivés, les répartiteurs, vivant sur les idées des vieux manuels imbus des catégories de Vasari, s'efforcèrent de montrer partout des échantillons de tous les maîtres et de tous les genres où le tableau d'école, sinon la copie, représentait le maître absent. Pas de souci d'illustrer les peintres régionaux : le chauvinisme local n'existait pas encore, et le patriotisme englobait toute la nation. L'intention sous-jacente était que cet ensemble, qui permettait de suivre l'histoire des œuvres en montrant leur importance dans la société, avait une valeur morale tout en servant d'indication aux artistes. La publication de catalogues traduit ce souci pédagogique : celui d'Angers date de 1800, celui de Rouen de 1809.

   Ces musées s'installent dans certaines salles des académies de dessins ou dans les abbayes vidées de leurs propriétaires. À la Restauration prolifèrent de nombreux petits musées dus à l'initiative privée d'un nouveau genre d'amateurs : ceux-ci sont connus à l'époque sous le nom d'antiquaires, car leurs recherches portent sur les antiquités et les aspects passés de leur région, plus ou moins appelés à disparaître et dont ils deviennent les dépositaires. Ils se constituent en sociétés savantes : sociétés académiques, sociétés de lettres, de sciences et d'arts. Le second Empire porte surtout son intérêt sur le Louvre et les musées parisiens ; cependant, une partie de la collection Campana, achetée en 1863, est répartie dans 17 musées de province.

   À partir de 1870, le gouvernement de la IIIe République reprend la politique d'envoi en province de tableaux de dimensions souvent encombrantes. D'abord, les tableaux munis de l'estampille officielle de l'État ou de la municipalité accèdent aux mairies, presque toujours à l'étage supérieur pour y jouir d'un éclairage zénithal favorable. Ils bénéficient du chauffage, d'un catalogue et des soins d'un conservateur, souvent peintre du cru capable de restaurer et de repeindre les toiles pour leur donner meilleur aspect.

   Le besoin de locaux se fit sentir d'une manière urgente ; les salles prêtées par les mairies se révélèrent insuffisantes. Rares sont les villes de quelque importance (Narbonne ou Poitiers) qui conservent aujourd'hui leur musée à l'hôtel de ville. Dans le second tiers du XIXe s., quelques municipalités prospères font construire des locaux spécialement destinés à abriter les collections. Conçus comme de véritables palais, ces musées portent le caractère de leur époque, et l'on tient généralement peu compte des conditions de visibilité et de présentation des œuvres. Le musée d'Amiens, construit tout de suite après le second Empire, s'inspire de l'Opéra de Garnier ; ses salons de façade sont de véritables foyers, dont le décor interdit presque la présentation d'œuvres d'art. Les musées de Lille, de Rouen, le musée de Longchamp à Marseille ou celui de Nantes, d'aspect massif, font partie de ce mouvement. On a aussi volontiers utilisé des bâtiments qui n'étaient pas nécessairement adaptés à cette fonction : des anciens archevêchés ou des palais de justice, par exemple ; le musée des Beaux-Arts de Lyon est installé dans l'ancienne abbaye bénédictine des Dames-de-Saint-Pierre.

   Le souci didactique d'évoquer un panorama complet de l'histoire de la peinture a cédé la place, depuis la dernière guerre mondiale, à celui de mettre en valeur le patrimoine local et la vie régionale, ou de constituer, grâce à des dépôts de l'État et à de nouvelles acquisitions, des ensembles cohérents (natures mortes à Strasbourg, peinture espagnole à Castres, par exemple). Par ailleurs, de nouveaux musées sont créés : Villeneuve-d'Ascq (1983), etc.

   Dans les années 1980-1990, la France connaît un puissant mouvement d'actualisation des équipements muséographiques, soit rénovations des musées existants réadaptés aux critères de la muséographie actuelle en respectant architecture et décors du XIXe s. (Amiens, Nantes, Rouen, Lyon, Lille, Quimper, Valenciennes), soit constructions nouvelles (Grenoble, Nîmes).

Les grands musées étrangers

La fin du XVIIIe s. n'a pas vu se produire dans les autres grands pays européens de mouvements révolutionnaires entraînant les confiscations qui ont permis à plus ou moins brève échéance la constitution de tant de musées en France. À l'exception de ceux qui virent le jour dans les pays occupés par les armées françaises, ces musées furent le fruit d'études délibérées pour offrir au public l'accès des collections princières, ou des créations réfléchies à partir de disponibilités existantes et des possibilités d'achat.

   Quelques princes allemands avaient déjà, pendant le XVIIIe s., permis l'accès de leurs galeries, devenues de vrais musées publics, comme en Saxe et en Hesse, où les collections des souverains furent pratiquement ouvertes au public en 1756 à Dresde et dès avant 1760 à Kassel, dont il fut même publié un catalogue en 1783. Les exemples les plus spectaculaires du passage de la responsabilité artistique assumée primitivement par les princes, exigée ensuite par la nation, sont ceux du musée des Offices et du Kunsthistorisches Museum de Vienne.

   Anna Maria Ludovica, dernière héritière des Médicis, lègue en 1737 à la ville de Florence toutes les collections de ses ancêtres, augmentées par ses propres achats, afin qu'elles deviennent publiques, avec l'obligation de ne pas quitter Florence (condition qui ne sera pas respectée complètement par la suite). Son successeur, Léopold II de Habsbourg, fera réorganiser la pinacothèque par le célèbre abbé Lanzi, auteur de la Storia pittorica dell'Italia, qui publiera un guide du musée en 1782.

   L'empereur d'Autriche Joseph II rend accessibles au public les riches collections rassemblées d'abord par Rodolphe II et augmentées de celles de l'archiduc Léopold Guillaume. Installées en 1778 au château du Belvédère, ces collections reçoivent une nouvelle présentation, qui regroupe chronologiquement écoles et œuvres d'un même maître dans un esprit tout à fait différent de la conception ancienne de la " miscellaneae ", où tous les tableaux et les écoles sont mélangés. Elles seront installées à la fin du XIXe s. dans l'actuel Kunsthistorisches Museum, construit de 1872 à 1891.

   Au XIXe s., conséquence des bouleversements de la Révolution et de l'Empire, l'expression grandissante du sentiment national s'incarne dans cette nouvelle institution officielle qu'est le musée. La nation prend possession du patrimoine qui lui revient légalement. Les héritiers monarchiques sont la plupart du temps les instigateurs de cette transformation. La mutation de galeries privées en établissements publics s'explique par l'exemple français. Le tsar Nicolas Ier fait construire fastueusement de 1840 à 1849 par l'architecte allemand Leo von Klenze le Nouvel Ermitage, ouvert au public à cette dernière date. À Berlin, Frédéric-Guillaume III demande en 1828 à l'architecte néo-classique Schinckel de construire, dans ce qui sera plus tard l'" île des musées ", un musée pour loger ses tableaux. En 1876, c'est la construction de la galerie consacrée à l'art contemporain allemand. Héritière des collections, entrées en 1827, des Wittelsbach et des frères Boisserée, l'Alte Pinakothek de Munich, construite de 1826 à 1836, et la Neue Pinakothek, construite de 1846 à 1853, gardent le même caractère palatial, dû à leur origine princière ; elles furent en effet commandées par Louis Ier de Bavière. La seule exception d'une création sans incitation royale est celle de la National Gallery de Londres, fondée en 1824 et ouverte en 1838 après l'achat de la collection Angerstein par la Royal Academy.

   Cependant, l'ouverture de la plupart des musées européens est liée plus directement encore à la Révolution et à Napoléon. Dans les pays occupés par l'armée française, les frères de Napoléon ou ses généraux s'occupent de regrouper les œuvres devenues disponibles par la saisie ou la sécularisation. À Amsterdam, Louis Napoléon signe en 1806 le décret de fondation du futur Rijksmuseum. À cet effet, des salles furent transformées dans l'hôtel de ville d'Amsterdam, et le premier catalogue fut rédigé en 1809. Formé à partir des collections de la ville d'Amsterdam et bénéficiant de nombreuses acquisitions dues à l'initiative de Louis de Hollande, le Rijksmuseum ne connaîtra cependant sa forme définitive que tard dans le XIXe s. Il sera installé dans le bâtiment actuel en 1885. À Madrid, Joseph Bonaparte organise sur le papier le futur musée du Prado, en 1809. Des événements contraires l'empêcheront d'aller jusqu'au bout de son projet ; le musée, héritier des collections royales espagnoles et d'une partie des collections de l'Académie San Fernando, verra le jour en 1819 dans un bâtiment destiné aux sciences naturelles. À Milan, la Brera reste avec les musées de Mayence, de Genève, de Bruxelles le principal témoin de l'activité muséologique napoléonienne. Le décret de 1806 rassemble dans la ville, capitale du vice-royaume d'Italie, les chefs-d'œuvre confisqués aux couvents ; en 1809, la galerie est ouverte dans un palais jésuite.

   En revanche, pour protéger les œuvres des réquisitions des armées françaises, quelques municipalités créent en hâte des musées, tels ceux de Bologne ou d'Anvers. Après 1815, certains tableaux furent restitués à leur ville d'origine, non à leurs propriétaires primitifs, mais à des musées créés pour les abriter, telle l'Accademia de Venise, inaugurée en 1817. Dès lors, au XIXe s. et au début de ce siècle, les musées de peinture vont se créer et se multiplier dans toute l'Europe. Les pays profitant de l'essor industriel (Grande-Bretagne, Allemagne, France) développent d'ambitieuses politiques d'acquisition et bénéficient d'importantes donations. Les musées servent souvent à l'affirmation des identités nationales (musée national de Budapest, musée Russe de Saint-Pétersbourg, galerie Tretiakov de Moscou) ou régionales (musée de Barcelone). À la suite du musée d'histoire de France de Louis-Philippe à Versailles se multiplient les galeries de peinture nationales à caractère historique (National Portrait Gallery de Londres, fondée en 1856). De grandes collections privées se transforment en musées : musée Condé de Chantilly, Wallace Collection de Londres, musée Jacquemart-André de Paris et, plus près de nous, musée Ludwig de Cologne et fondation Thyssen-Bornemisza de Madrid.