Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
V

Villeglé (Jacques Mahé de la Villeglé, dit)

Peintre français (Quimper 1926).

En 1944, élève de la section " peinture " de l'école des beaux-arts de Rennes, Villeglé se lie avec Raymond Hains : c'est le début d'une complicité artistique qui sera à l'origine des affiches lacérées. En 1947, il récolte des objets de petite taille, débris du mur de l'Atlantique, fils de fer formant des sculptures travaillées par des aléas divers. Après avoir étudié l'architecture à Nantes de 1947 à 1949, il réalise de nombreux travaux en collaboration avec Raymond Hains, en particulier divers films : Pénélope, juxtaposition de formes vagues au contour net, ondulantes, réalisées à l'aide d'un objectif de verre cannelé ; Loi du 29 juillet 1881 ou Défense d'afficher, à partir d'affiches lacérées. En 1952, les deux artistes publient Mépérile éclatée, où l'antisyntaxe du texte de Camille Bruyen est portée à son paroxysme au moyen des ultra-lettres, caractères d'imprimerie déformés par l'objectif en verre cannelé. À partir de 1949, avec Raymond Hains, Villeglé commence à récolter des affiches, leur première affiche arrachée, Ach Alma Métro, étant une œuvre commune. Cette action d'" appropriation objective et sélective sur l'affiche seule ", qui se substitue aux arts de transposition, doit donner à l'artiste une prise directe sur le monde objectif. À partir de l'activité anonyme des lacérateurs (l'homme de la rue), l'accent est mis sur les effets de juxtaposition et de superposition des affiches et des écrits, renforcé par l'action de la colle sur le bois, du salpêtre sur la pierre, et par l'éventuelle adjonction de graffiti. Cette appropriation du réel — dont les titres marquent généralement la provenance — peut prendre des formes multiples : lettres lacérées (l'Humour jaune, Marseille, musée Cantini), signes urbains sans lettres ni figures (Bleu d'août, 1961, musée de Nîmes), affiches de peintres, transparences, objets ou personnages lacérés, thèmes politiques (les Présidentielles de 1981 vues par Villeglé, 1981), drippings ou graffiti, placards de journaux tirés de kiosques, petits formats divers. Après avoir, en 1952, fréquenté les lettristes dissidents Bull Dog Brau, Guy Debord et Gil Wolman, qui viennent de fonder leur première internationale et, en 1954, rencontré François Dufrêne, Villeglé expose en 1957 avec Raymond Hains, chez Colette Allendy, à Paris, la première rétrospective d'affiches lacérées, sous le titre Loi du 29 juillet 1881 ; en 1959, il présente une exposition personnelle dans l'atelier de François Dufrêne à Paris, " le lacéré anonyme ". Présent à la première Biennale des jeunes en 1959, puis au Salon Comparaison en 1960, il signe, en octobre, la déclaration constitutive des Nouveaux Réalistes et participera dorénavant aux manifestations du groupe. De 1961 à 1968, chargé d'une salle au Salon Comparaison, il présente des artistes pop américains et européens, des membres de l'école de Nice, de l'Arte povera, du mec-art. Après des expositions galerie J. en 1963 et galerie Ad libitum à Anvers en 1964, il entreprend en 1965 une série thématique à partir d'une affiche de Georges Mathieu pour un bal à l'École polytechnique, présentée sous le titre " de Mathieu à Mahé ", galerie Jacqueline Ranson à Paris. En 1969, l'artiste entame un travail à partir d'idéogrammes politiques intitulé la " guérilla des écritures ", dont un travail sur feutre est présenté au théâtre du Vieux-Colombier à Paris, dans la manifestation Liberté de Parole. En 1971-72, une rétrospective de son œuvre est présentée à Stockholm (Moderna Museet) et à Krefeld (Museum aus Lange). En 1975, c'est une affiche de Jean Dubuffet qui est prétexte à constituer un ensemble, " le Retour de l'Hourloupe " (maison de la culture, Rennes) et, en 1977, le M. N. A. M. de Paris publie Lacéré anonyme, texte de l'artiste sur son œuvre. En 1982, des graphismes semblables sont exposés à Rennes et à Paris sur des panneaux publicitaires de 12 m² dans le cadre d'Art-Prospect. Un autre recueil de ses textes paraît en 1985, Urbi et Orbi. Son œuvre, qu'il poursuit dans le même esprit (Rue Vincent Van Gogh, 1988), est représentée dans de nombreux musées en France (Paris, M. N. A. M. : Tapis Maillot, 1959, Épinal, Nîmes, Nice, M.A.M. ; Boulevard Saint-Martin, 1959, Toulon) et à l'étranger (Mönchengladbach ; Stockholm, Moderna Museet).

Villon (Gaston Duchamp, dit Jacques)

Peintre français (Damville, Eure, 1875  – Puteaux 1963).

Il est l'aîné d'une famille de six enfants qui compte le sculpteur Raymond Duchamp-Villon, les peintres Marcel et Suzanne Duchamp. Il fut initié à la gravure (1891) par son grand-père Émile Nicolle, qui pratiquait la pointe sèche. En 1894, il vient à Paris, adopte pour pseudonyme le nom du poète et abandonne ses études de droit pour la carrière artistique. Il passe en 1895 dans l'atelier de Cormon à Montmartre, dont le milieu le marque alors beaucoup, et rencontre Lautrec. Ses dons exceptionnels de dessinateur, déjà révélés à Rouen, lui assurent dès 1897 une collaboration régulière au Chat noir, à l'Assiette au beurre, à Gil Blas et surtout au Courrier français (1897-1910) ; ses dessins (militaires, couples, femmes libres, scènes de café) reflètent l'influence de Forain, de Steinlen, de Lautrec ou des Nabis. À partir de 1899, il grave pour l'éditeur Edmond Sagot ; de cette période se détachent la série du Bain de Minne (1907) et les Nus de 1909-10. Villon expose au Salon d'automne à sa fondation (1903) et quitte en 1906 Montmartre pour s'installer à Puteaux. Il se consacre désormais davantage à la peinture (les Haleurs, 1908 ; Autoportrait, 1909) et connaît une phase d'un cubisme encore cézannien (Portrait de Raymond Duchamp-Villon, Paris, M. N. A. M.). C'est dans son atelier que se constitue en 1911 le premier noyau de la Section d'or. Redécouvrant les tracés régulateurs de la Renaissance et la structure pyramidale de Vinci, dont il lit le Traité de la peinture en 1912, Villon organise ses tableaux suivant une " ligne d'intention " qui synthétise le motif (la Table servie, 1912-13, New Haven, Yale University Art Gal. ; Puteaux, fumées et arbres en fleurs, 1912). Cette recherche culmine dans le Portrait de J. B., peintre (1912, musée de Colombus, Ohio) et la Femme assise (1914, coll. part.). À la suite des futuristes et de son frère Marcel Duchamp, Villon s'intéresse au mouvement, traduit d'une manière plus fluide et plus continue que celui des premiers et moins abstraite que celui du second (Soldats en marche, 1913, Paris, M. N. A. M.). Il donne également avec l'Équilibriste (1913) une des plus belles gravures inspirées par l'esthétique cubiste. Il participe en 1912 au décor de la " Maison cubiste " et expose l'année suivante à l'Armory Show, où tous ses tableaux sont vendus, symptôme de l'accueil favorable que les États-Unis réserveront à ses œuvres. Mobilisé, il fait la guerre dans le service du camouflage.

   En 1919, la Table d'échecs (eau-forte du même sujet en 1920) renoue avec le Cubisme synthétique, mais l'artiste adopte jusque vers 1924 une transposition beaucoup plus abstraite, où interviennent des plans superposés vivement colorés (thème du cheval de course, " galops " ; Figure-composition, 1921, Buffalo, Albright-Knox Art Gal. ; le Jockey, 1924, New Haven, Yale University Art Gal.) ; il illustre (1921) de 34 planches Architectures de Valéry et n'expose qu'une fois à Paris, en 1922, à la gal. Povolotzky. En effet, de 1923 à 1930, il doit pratiquer, pour subsister, la gravure de reproduction d'œuvres de Cézanne, de Van Gogh, de Renoir, de Matisse, de Picasso, notamment. Abstraction et figuration issue du Cubisme alternent au cours de cette période (le Chemineau, 1926, coll. part. ; Perspective colorée, 1929, New York, Guggenheim Museum). Participant d'Abstraction-Création de 1931 à 1933, Villon se réfère au cercle chromatique pour distribuer ses couleurs, tempérant la rigueur de ses mises en page par la subtilité des accords, et il donne à l'abstraction française quelques-uns de ses chefs-d'œuvre (Amro, 1931, Paris, M. N. A. M.). Vers 1935, le parti figuratif, enrichi par cette expérience, l'emporte (Homme dessinant, autoportrait, 1935) et s'attache de nouveau au mouvement (les Lutteurs, 1937, Paris, M. N. A. M. ; l'Arrivée des nageurs, 1939, coll. part.). Peu avant 1940 et durant la guerre, la diversité de ses investigations intellectuelles et techniques donne à l'œuvre de Villon une rare fécondité ; les vues gravées de Beaugency et les Trois Ordres (eau-forte, 1939) annoncent une longue suite de paysages exécutés dans le Sud-Ouest et le Sud-Est (Entre Toulouse et Albi, 1941, Paris M. N. A. M. ; série des Potagers, 1940-41), et Villon grave encore quelques très belles pièces (le Quartier de bœuf, 1941 ; le Globe céleste, 1944). Mieux connu aux États-Unis qu'en France, grâce en particulier au critique Walter Pach, il obtient en 1950 le premier prix Carnegie pour la Grande Faucheuse (Milwaukee Art Center). La notoriété internationale est enfin acquise par les expositions organisées à Paris et à New York par la galerie Louis Carré. Chargé en 1956 des cartons de cinq vitraux pour la cathédrale de Metz (chapelle du Sacré-Cœur), Villon a laissé jusqu'à sa mort des tableaux d'une parfaite maîtrise, paysages, scènes de la vie contemporaine (Grues près de Rouen, 1960, musée de Metz). " Cubiste impressionniste ", comme il se qualifiait lui-même, il a réalisé en effet la singulière synthèse d'une égale exigence à l'égard de la composition et de la couleur, scientifiquement étudiées, et d'un réel multiforme perçu avec une rare acuité. Il est bien représenté à Paris (M. N. A. M.), dans les musées américains de Los Angeles (Portrait de Mlle J. D., 1913), de Minneapolis, de New York (M. O. M. A., Guggenheim Museum), de New Haven et surtout dans des collections particulières.