Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
L

Léger (Fernand) (suite)

La période puriste (1924-1927)

En 1924, Léger ouvre avec Ozenfant, Laurencin et Exter un atelier libre, dont le rayonnement fut international. La même année, sous l'influence probable des séquences d'objets déjà exploitées dans la Roue d'Abel Gance (1921 ; il y a collaboré ainsi que Cendrars), il réalise le premier film sans scénario, le Ballet mécanique, dont le principe est la démultiplication rythmique de l'objet (photographies de Man Ray et de Dudley Murphy, musique de G. Antheil). À la suite de cette expérience décisive, Léger déclare : " Un lyrisme tout neuf de l'objet transformé vient au monde, une plastique va s'échafauder sur ces faits nouveaux, sur cette nouvelle vérité. " De 1924 à 1927, l'objet occupe en effet dans sa peinture une place prééminente. À l'effet d'une composition en gros plan (inspiré du cinéma) se conjugue celui du dépouillement et de la rigueur constructive, synthèse de sa connaissance des recherches du Stijl, de celle du Bauhaus, du constructivisme russe et de ses contacts avec les fondateurs du Purisme, bien que Léger ait contesté l'influence de ce dernier sur sa peinture (l'Accordéon, 1926, Eindhoven, Stedelijk Van Abbe Museum ; Nature morte au bras, 1927, Essen, Folkwang Museum).

Les objets dans l'espace et leurs prolongements

À partir de 1928, Léger se détache progressivement du Néo-Plasticisme et reste fidèle aux deux grandes constantes de son art, l'objet et le contraste. Les éléments naguère statiques s'animent, leur présentation frontale abandonnée, et flottent dans l'espace. L'artiste conçoit maintenant un espace dynamique (composition circulaire), renouvelle son iconographie (objets du monde végétal, animal et minéral) et établit de nouveaux rapports entre ces motifs (liaison par la corde ou le ruban enroulé). La Joconde aux clés (1930, Biot, musée Fernand Léger) est ainsi pour Léger " le tableau le plus risqué du point de vue des objets contrastés ". Parallèlement, des toiles comme la Feuille de houx (1930) ; Papillons et fleurs (1937) illustrent l'univers végétal et animal. La racine, d'abord motif privilégié de liaison, sera plus tard traitée pour elle-même (Racine noire, 1941, Paris, gal. Maeght ; Racine rouge et noire, céramique, Chicago, Art Inst.). À la Joconde aux clés peuvent se rattacher Marie l'acrobate (1933) et Adam et Ève (1935-1939, Düsseldorf, K. N. W.) : dans le même espace indifférencié, mais beaucoup plus vaste, s'opposent éléments abstraits et figures, parfaite démonstration de ce principe énoncé par Léger : " L'art majeur a toujours en contrepoint deux thèmes en opposition. "

   En 1935, Léger part pour la seconde fois aux États-Unis avec Le Corbusier (premier voyage en 1931, New York et Chicago) ; le M. O. M. A. et l'Art Inst. organisent sa première exposition américaine. L'expérience du Front populaire de 1936 le marque profondément et infléchira son orientation vers la grande scène réaliste.

   En 1936, il dessine pour l'Opéra les décors et les costumes de David triomphant (musique de Rieti, chorégraphie de Lifar), pour la fête des syndicats le décor du vélodrome d'Hiver et peint le Transport des forces, à la gloire de la science, pour le palais de la Découverte à l'Exposition internationale de Paris. Cette riche période est couronnée par la vaste Composition aux deux perroquets (1935-1939, Paris, M. N. A. M.) antithèse de la Ville de 1919 selon l'artiste et elle inaugure également le début de son évolution vers le thème des personnages dans l'espace.

La période américaine (1940-1945)

Après un troisième voyage à New York (sept. 1938 – mars 1939 ; décor de l'appartement de Nelson A. Rockefeller Jr.), Léger quitte la France en octobre 1940 pour un exil volontaire de cinq ans aux États-Unis, où il sera chargé de cours à l'université Yale. Avant son embarquement à Marseille, il assiste à la baignade de jeunes dockers dans le port : " Ces plongeurs, ça a déclenché tout le reste, les acrobates, les cyclistes, les musiciens. " Les Plongeurs sur fond jaune (1941-42, New York, M. O. M. A.) inaugurent en effet une suite de variations sur les " hommes dans l'espace " et bouleversent l'assise encore frontale de la Composition aux deux perroquets. La vie nocturne américaine et ses lumières enthousiasment le peintre, qui adopte la dissociation entre la couleur et le dessin, créant ainsi une " surface élastique ", dans les Plongeurs polychromes (1942-1946, Biot, musée Fernand Léger). Le procédé sera repris dans deux œuvres ultimes de 1954 : la Grande Parade (New York, Guggenheim Museum), sur le thème du cirque, " pays des cercles en action ", abordé en 1918 (le Cirque, Paris, M. N. A. M.) et dont la composition générale est empruntée aux Acrobates et musiciens de 1945 et la Partie de campagne (Saint-Paul-de-Vence, fondation Maeght).

   L'expérience de la vie américaine informe également le thème des cyclistes, d'une puissante saveur populaire (la Grande Julie, 1945, M. O. M. A.), ainsi que le conflit entre la nature et les déchets des grandes concentrations urbaines (Adieu New York, 1946, Paris, M. N. A. M.).

Dernière période française (1945-1955)

Ce goût pour la réalité contemporaine, Léger l'associe dès son retour en France à un besoin de signification politique et sociale (il s'inscrit au P. C.). Il se rallie à un art d'édification " compréhensif pour tous, sans subtilité ", soucieux de traiter de " grands sujets " où la figure humaine l'emporte. Les Loisirs, commencés aux États-Unis en 1943, se transforment en un Hommage à David (1948-49, Paris, M. N. A. M.), qui achève la série des cyclistes sur le mode d'un réalisme symbolique, heureux et populaire. Le Campeur (1954, Biot, musée Fernand Léger) comme la Partie de campagne, déjà citée, témoignent des réussites de cet art de communication directe, dont les signes simplifiés transposent les motifs tout en leur laissant une lisibilité immédiate. Les Constructeurs (1950, id.) illustrent l'autre aspect de la vie ouvrière, celui du travail ; préparés et suivis de maintes études d'ensemble et de détail, ils célèbrent l'épopée sociale du labeur humain sur un ton plus réaliste. En même temps, Léger expérimente à partir de 1949 à Biot, avec son ancien élève Roland Brice, les techniques de la céramique, de la mosaïque et du vitrail, pour en tirer une expression originale où règnent toujours ses préoccupations d'un art monumental, de la couleur et du contraste : mosaïque pour la façade de l'église d'Assy (1949) ; vitraux pour l'église d'Audincourt (1951), pour l'église de Courfaivre (Suisse) [1954] et pour l'université de Caracas (1954) ; sculptures, mosaïques et céramiques pour Gaz de France à Alfortville (1955). La céramique, par l'éclat de sa couleur et le brillant de sa matière, avait offert à Léger de nouvelles possibilités sur la création de sculptures et de reliefs polychromes. La Fleur qui marche (1950, Paris, M. N. A. M.), les Femmes au perroquet (1952, Biot, musée Fernand Léger) marquent pour leur auteur " une évolution très nette vers un but de coopération architecturale " : le dernier mot de cette féconde carrière évoque le souci majeur de l'artiste. En 1960 fut inauguré à Biot le musée Fernand Léger, fondé par Nadia Léger et Georges Bauquier. Construit sur les plans de l'architecte Svetchine, ce musée abrite un ensemble considérable de dessins, de gouaches, de peintures, de mosaïques et de céramiques (souvent réalisées après la mort de l'artiste à partir de ses dessins) retraçant l'itinéraire de l'artiste à travers ses moyens d'expression privilégiés. L'œuvre de Léger a fait l'objet de vastes rétrospectives dès 1953 (Chicago, San Francisco, N. Y.) et, plus récemment d'importantes compositions thématiques (sur la période 1918-1931 à Paris, Houston et Genève en 1982-1983 ; sur l'époque 1911-1924 à Wolfsburg et Bâle en 1994). Une rétrospective générale de Léger a lieu (Paris, Madrid, New York) en 1997-98.