laboratoire de musée (suite)
La couche picturale
L'étude radiographique de la couche picturale permet de résoudre d'autres problèmes de conservation. Les repeints dépassent souvent très largement la plage à restaurer. C'est ainsi que, pour masquer un manque de peinture originale de quelques millimètres carrés, il est fréquent de déceler des repeints de plusieurs centimètres. En comparant l'état de surface, c'est-à-dire le document obtenu grâce aux rayons ultraviolets montrant la dimension de la plage formée par les repeints superficiels, et la radiographie sur laquelle apparaît le manque de peinture, il est possible de déterminer si le repeint recouvre exactement les parties manquantes. Il est à noter que, sur le film radiographique, les manques de peinture peuvent apparaître tantôt en noir, tantôt en blanc. En effet, si ceux-ci ont été simplement recouverts d'une couleur de faible densité, ils apparaîtront en sombre, laissant nettement percevoir la trame de la toile ou le support de bois. Par contre, lorsque le manque de peinture est bouché par un mastic (d'un poids atomique élevé), celui-ci ne laisse pas passer les rayons et forme une plage blanche qui en délimite exactement l'ampleur. Les usures se manifestent également sous l'aspect de plages, où la toile apparaît avec une intensité exceptionnelle par rapport au reste de l'image.
Si nous avons insisté sur l'importance que présente la radiographie lors du contrôle de l'état de conservation du tableau, il est nécessaire de souligner également son intérêt dans l'étude des éléments essentiels du tableau, en fonction de l'histoire de l'art et des techniques. Pour que la peinture soit rendue visible, il faut que la préparation qui se trouve entre le support et la couche picturale elle-même soit perméable aux rayons X. Dans la majorité des cas, les supports se laissent pénétrer, qu'ils soient de bois ou de toile, à l'exception de ceux qui sont recouverts d'un revêtement au verso.
Le blanc, qui entre pour une large part dans la palette des peintres, est constitué le plus souvent par des sels de métaux lourds. le blanc de plomb (appelé aussi " blanc d'argent "), qui fut utilisé par les Anciens, offre aux rayons X une barrière. Les noirs, par contre, sont d'un poids atomique très léger. Entre ces deux extrêmes se situent des couleurs dont le degré d'absorption est variable et qui nous restituent de ce fait des images nuancées sur le film radiographique.
Lorsque l'esquisse est exécutée avec un camaïeu à base de blancs plus ou moins colorés avec des terres, ce qui est assez fréquent, il est possible d'obtenir des documents radiographiques intéressants. Les blancs, arrêtant les rayons X, nous montrent une image très différente de l'œuvre terminée avec des glacis de faible densité. Nous avons de l'esquisse du tableau une image précise et intéressante. La radiographie révèle l'écriture première du peintre ainsi que la touche de son pinceau : nous pouvons suivre ainsi l'évolution de sa technique.
Lorsque l'esquisse est exécutée avec des couleurs de faible densité, elle est imperceptible ; seule la construction générale de l'œuvre apparaît. Parfois, l'image, lorsqu'elle est visible, est assez peu contrastée, le tableau étant construit avec des glacis de faible densité : c'est le cas de certains tableaux de Léonard de Vinci.
De très nombreux maîtres ont utilisé une technique qui se situe entre ces extrêmes. Lorsqu'il apparaît que le peintre a transformé l'œuvre étudiée, qu'il en a repris certaines parties pour leur donner, une fois terminées, une forme toute différente de celle qui a été initialement révélée par les rayons X, il y a repentir. Les repentirs sont de types très divers. Certains ne sont que de simples reprises destinées à préciser une ligne, ce qui est le cas le plus fréquent. Les peinture du XIIIe au XVIe s. ont généralement exécuté leurs œuvres après avoir étudié d'une manière particulièrement précise le dessin : c'est pourquoi il y a peu de variantes entre l'esquisse et le tableau achevé. D'autre part, ces peintres ont travaillé avec des couleurs d'assez faible densité : les radiographies sont le plus souvent faiblement contrastées.
C'est à l'étude du style, de l'écriture d'un peintre que les rayons X sont appelés à rendre le plus de services. Si l'ensemble des images radiographiques obtenues d'après les tableaux d'un même artiste révèle une constance dans l'emploi de certains pigments, dans l'utilisation des brosses, dans la forme de la touche, il sera possible, après une étude conduite sur l'ensemble de l'œuvre, de rectifier bien des attributions erronées, d'améliorer le classement chronologique et de découvrir les faux.
Nous n'entendons par tableau faux que le tableau fait par le peintre avec le désir de tromper. Le faux ne doit pas être confondu avec la copie ou la réplique ancienne, pour lesquelles ne peuvent exister que des problèmes d'attribution. Mais les éléments de falsification que le tableau porte en lui-même, fausses craquelures, fausses signatures, peuvent être découverts par l'examen radiographique, le copiste, le faussaire ne s'étant attaché à reproduire que l'aspect superficiel des œuvres du maître qu'il imite. En utilisant la méthode comparative et à condition de posséder un grand nombre de documents obtenus d'après des tableaux incontestables, on pourra conduire une étude valable à condition, toutefois, de ne pas oublier que l'image radiographique est une image sélective indépendante de la volonté de l'observateur, fournie par les rayons X en fonction de leurs capacités d'absorption.
Analyse microchimique et physico-chimique
Aux techniques évoquées dans les lignes précédentes et quotidiennement utilisées dans les laboratoires de musée, parce qu'elles ont le mérite d'être non destructives, il faut adjoindre les méthodes microchimiques, qui permettent d'identifier les composants de la peinture à partir d'un microprélèvement.
On sait que la peinture est essentiellement constituée par la dispersion d'un pigment au sein d'un liant, ou véhicule. Les méthodes d'analyse portent sur divers pigments, qui peuvent être minéraux ou organiques. L'analyse ressortit à la microchimique classique lorsqu'il s'agit de substances minérales. Elle utilise par ailleurs la spectrographie infrarouge et la chromatographie en couche mince ou en phase gazeuse pour l'identification de certains pigments organiques.
L'identification des liants procède de méthodes analogues. La spectrographie infrarouge est mise à contribution pour l'analyse des résines naturelles (liants oléo-résineux ou vernis anciens), tandis que la chromatographie en couche, mince est employée pour distinguer les véhicules aqueux (gomme, colle, caséine). La chromatographie en phase gazeuse devrait intervenir également dans la séparation des constituants des différents acides gras (huile ou œuf).
Parmi les techniques en usage dans les laboratoires de musée, il faut citer la diffraction et la fluorescence X, qui permettent d'obtenir des renseignements plus précis que par les méthodes précédentes quant à la nature et à la structure des différents constituants minéraux des peintures de chevalet et des peintures murales.
La fluorescence de rayons X est une technique physique fondée sur l'étude du spectre d'émission dans le domaine des rayons X. Les sources d'excitation sont soit un flux d'électrons, soit une source radioactive, soit un tube de rayons X.
La spectrométrie des rayons X est une technique d'observation utilisée depuis longtemps tant sur le plan physique sur sur le plan chimique. Mais les appareils couramment utilisés jusqu'à présent n'étaient pas conçus pour effectuer l'analyse, directe des objets volumineux ou de très petite dimension. De surcroît, la plupart d'entre eux avaient une très mauvaise sensibilité pour des éléments tels que le cuivre, le zinc, le nickel et le fer en raison du " bruit de fond " émis par l'appareillage lui-même.
La microfluorescence X de rayons X, mise au point au Laboratoire de recherche des musées de France, a été conçue en fonction des caractéristiques propres aux recherches muséologiques. Ses performances se situent entre celles de la microsonde électronique et celles du septromètre classique de fluorescence X. Son intérêt réside dans le fait qu'elle permet d'opérer directement sur une peinture. D'autre part, cette microfluorescence est non destructive. L'échantillon peut être récupéré après l'analyse et son étude poursuivie par d'autres procédés. Enfin, elle ne nécessite aucune préparation de l'échantillon ; elle est extrêmement fiable, très sensible, et son fonctionnement est relativement simple. À ces méthodes désormais classiques, il faut adjoindre la microsonde moléculaire — dite Mole — qui permet d'identifier les liants et les pigments à partir du spectre de diffusion Raman. " L'analyse par activation " en bombardant les éléments naturels avec des neutrons, des protons ou des ions d'énergie suffisante, on produit des radios-isotopes artificiels ; ces derniers émettent des rayonnements et des particules et se désintègrent en d'autres noyaux radioactifs ou stables. La période de la décroissance radioactive et les énergies du rayonnement d'un radio-isotope donné sont connues et permettent l'identification et la mesure quantitative de l'élément à partir duquel il est formé.
Depuis 1989, une nouvelle méthode, " PIXE PIGME ", émission de rayons X induits par protons, permet d'effectuer des analyses ponctuelles et non destructives sur les peintures, lié à un système informatique basé sur BUS.VME. Cet équipement, d'une grande sensibilité spectrale et d'une dimension et d'un coût qui en limitent l'usage, est en fait " un accélérateur de particules ".
L'exploitation de ces méthodes nécessite un équipement et un personnel très spécialisé. Il n'existe que quelques musées dans le monde et que quelques services nationaux susceptibles de promouvoir des recherches de ce type ; il est certain, que, dans les années à venir, les critères traditionnels d'examen de peintures seront transformés par la recherche scientifique, qui doit conduire vers une connaissance plus profonde de la peinture et de son comportement dans le milieu ambiant.