Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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symbolisme (suite)

Pont-Aven

Gauguin et Émile Bernard, qui, dès 1885, travaillaient en Bretagne, réunirent autour d'eux Sérusier, Charles Laval, Meyer de Haan, Filiger, Verkade et Armand Seguin. Ce groupe de Pont-Aven, augmenté de Schuffenecker et d'Anquetin, exposa en 1889 au café Volpini des œuvres synthétiques dont la simplification trahit une intense subjectivité. Le Cloisonnisme et les couleurs en aplats contribuent à entourer ces simples sujets bretons d'un climat silencieux et archaïque (Gauguin, Ramasseuses de goémon, 1889, Essen, Folkwang Museum) et suggèrent le primitivisme obscur des populations celtiques (Gauguin, la Lutte de Jacob avec l'ange, 1889, Édimbourg, N. G.). Fasciné par le retour aux sources barbares, par l'énigme des incantations et le règne des sorciers, Gauguin peint à Tahiti ses évocations océaniennes où des femmes d'ambre, impassibles parmi des fleurs étranges, contemplent leur âme d'un regard perdu (Nevermore, 1897, Londres, Courtauld Inst.). Dans sa grande composition D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? (1897, Boston, M. F. A.), il exprime magistralement son inquiétude " devant le mystère de notre origine et de notre avenir ". Sa quête angoissée du mystère et l'évolution de sa démarche plastique, si personnelle, ont été largement étudiées dans le catalogue de l'exposition Gauguin (Paris, 1989).

Les Nabis

Le cénacle des Nabis, dont le nom hébraïque, signifiant " prophètes ", se veut déjà symbole et profession de foi, réunissait de nombreux artistes, certes très différents, mais tous soucieux de vie intellectuelle et désireux de traduire en beauté matérielle, par la stylisation et la synthèse, l'" Idée ", considérée comme primordiale. Cet Idéisme, prôné par Albert Aurier, fut exalté par le porte-parole des Nabis, Maurice Denis, dans le " Manifeste " qu'il publia en 1890 dans la revue Art et critique sous le pseudonyme de Pierre Louis : l'œuvre d'art véritable, au service de la pensée, doit être décorative, subjective et arbitraire. Fréquentant la Revue blanche, les Nabis s'intéressèrent non seulement à la littérature, mais aussi à la philosophie religieuse et à la musique, qui influenceront leur art. Celui-ci s'inspire aussi des raffinements du graphisme japonais et des formes frustes de la sculpture primitive. Sérusier, qui transmit aux Nabis la leçon de Gauguin, resta toujours tributaire du Cloisonnisme et de l'angoisse métaphysique du groupe de Pont-Aven (Solitude, 1892). Il en fut de même de Piot ou d'Armand Seguin. Ranson, de nature plus traditionnelle, fut cependant écartelé entre l'influence de Sérusier (Christ et Bouddha, 1895) et son goût pour un art purement ornemental, où seule compte l'arabesque et qui se rapproche du Modern Style (le Tigre, lithographie, 1898). Il rejoint alors le style décoratif de Bonnard, le " Nabi très japonard ", et certaines recherches graphiques de Maurice Denis (Portrait de Mme Ranson, 1892, Saint-Germain-en-Laye, musée Maurice-Denis). Mais ces jeux de lignes ont une résonance plus profonde lorsqu'ils illustrent des poésies idéalistes ou lorsque, soulignés de teintes plates, ils transmettent le message spirituel de l'artiste (les Muses ou le Bois sacré, 1893, Paris, musée d'Orsay. Maurice Denis, auteur des Théories, exprime son rêve esthétique dans des œuvres simples, aux scènes familières (Portrait de la famille Mellerio, 1897, id.). Dans ses toiles chrétiennes intimistes, dans ses décorations monumentales, il cherche à concrétiser par des couleurs claires et des rythmes dépouillés la présence de Dieu (la Vierge à l'école, 1903, Bruxelles, M. R. B. A.). Il se consacrera totalement à l'art religieux et fondera en 1919 les Ateliers d'art sacré. Filiger exploitera la poésie paisible des scènes évangéliques, dont il cernera les personnages d'un épais trait noir, issu des techniques du vitrail (Jésus enfant debout, 1892). Il imitera aussi l'hermétisme des manuscrits irlandais et utilisera l'étude scientifique de la lumière à des fins pseudo-symbolistes (Notations chromatiques). Le Néerlandais Dom Wilibrod Verkade, sans renier son expérience bretonne, entre au couvent de Beuron, où il adhère à la théorie des " saintes mesures ".

Les Rose-Croix

Il n'y a pas eu en France d'expositions symbolistes importantes, à part les Salons de la Rose-Croix, organisés de 1892 à 1897 par le sâr Peladan. La geste esthétique rosicrucienne eut une influence mystique certaine, entachée cependant par la personnalité extravagante du mage créateur. Bien des artistes idéistes ou chrétiens ont participé à ce rassemblement très éclectique, comme Aman-Jean, Osbert, Henri Martin, Séon, Anquetin, Filiger, Louis Welden Hawkins, Charles Maurin, les Belges Delville ou Fabry et Carlos Schwabe, qui s'y révéla comme un disciple fervent de Botticelli, un exalté plein d'harmonie (la Madone aux lys, 1899). Et ce furent Armand Point, fondateur du groupe Hauteclaire de Marlotte, et le Néerlandais Léonard Sarluis qui exécutèrent pour le Salon de la Rose-Croix de 1896 la fameuse affiche-manifeste représentant Persée brandissant la tête d'Émile Zola.

L'école symboliste belge

La Belgique a, par contre, assisté successivement à la naissance, à Bruxelles, de deux Salons symbolistes très importants : le Salon des XX (1884-1893) et celui de la Libre Esthétique (1894-1914). Ce fut l'œuvre d'Octave Maus, épaulé par les grands écrivains spiritualistes de l'école belge, Maurice Maeterlinck (la Princesse Maleine, 1889), Charles Van Lerberghe (Entrevisions, 1895), Georges Rodenbach (les Vies encloses, 1896) et Émile Verhaeren (les Forces tumultueuses, 1902), qui fut aussi critique d'art militant. Ceux-ci étaient étroitement liés avec les poètes français, et les interférences littéraires furent nombreuses. La communion entre Paris et Bruxelles fut aussi profonde sur le plan plastique, et plusieurs artistes français participèrent aux expositions belges. Quelques revues, comme la Jeune Belgique, l'Art moderne et la Société nouvelle, appuyèrent ce mouvement idéaliste, et la Wallonie, fondée par Albert Mockel, proposa même la création d'une école picturale " instrumentiste " qui transposerait les sons en couleurs.

   Déjà, au milieu du XIXe s., certains artistes comme le baron Leys ou les Nazaréens avaient souligné leur dépendance vis-à-vis de l'esprit et des traditions médiévales. Leurs recherches se rapprochaient alors de celles des préraphaélites anglais mais d'une façon plus littéraire que spiritualiste. Le même climat germanique se retrouve, plus tard, dans les compositions surnaturalistes de Léon Frédéric (la Nuit, 1891, Paris, Orsay), qui pose sans cesse, comme Gauguin, l'interrogation muette et angoissée du sens de la vie, ou dans les illustrations de Georges de Feure, évocateur délicat et mélancolique de contes de fées et de poèmes ambigus (la Porte des rêves de Marcel Schwob, 1899), mais aussi l'un des plus grands affichistes de l'Art nouveau. Ce goût de la légende poétique habite encore les gravures de Charles Doudelet pour les Douze Chansons de Maeterlinck. Une curieuse émotion, un peu oppressive, se dégage des aquarelles désertiques de Léon Spilliaert (Jeunes Filles sur la dune, musée d'Anvers), auquel Paris a consacré en 1981 une large rétrospective, et des jardins mystérieux de Degouve de Nuncques (les Anges dans la nuit, 1894, Otterlo, Kröller-Müller), tandis qu'une atmosphère ouatée et maladive baigne quelques œuvres de Théo Van Rysselberghe. Mais il existe un autre Symbolisme belge, plus cruel et plus désespéré : déjà Antoine Wiertz, solitaire et farouche, réalisait des toiles inquiétantes pleines de fantasmes énigmatiques (la Belle Rosine, 1847, Bruxelles, musée Wiertz). Il s'y enivre de sang, d'évocations baroques ou macabres, encore teintées de romantisme. Félicien Rops dessina et grava des femmes vénéneuses ou lubriques, des sorcières ricanantes et d'atroces succubes (les Diaboliques de Barbey d'Aurevilly, 1879). La même anxiété sardonique et morbide apparaît chez James Ensor, dont les foules hébétées, les squelettes quotidiens, les masques ironiques et les étranges fillettes aux fœtus-fétiches sont à la fois expressionnistes et d'un symbolisme freudien au seuil du Surréalisme (Petite Fille à la poupée, 1884, Cologne, W. R. M.). Si les dessins de George Minne atteignent une vraie grandeur pathétique (les Serres chaudes de Maeterlinck, 1889), les allégories d'Henry De Groux puisent leur force dans un mysticisme religieux torturé.

   Jean Delville, fondateur du cercle " Pour l'art " (1892), fut un fidèle défenseur de la Rose-Croix et un artiste vibrant dans le sillage de Gustave Moreau (la Fin d'un règne, 1893). Il a su renouveler une fois encore les thèmes chers aux symbolistes : la mort d'Orphée (1893), le philtre de Tristan et Yseult (1887, Bruxelles, M. R. B. A.) et la fascination des Trésors de Satan (1895, id.), avec une morbidesse raffinée. À ses côtés, Émile Fabry, qui a participé aussi à " Pour l'art " et à la geste rosicrucienne, expose des œuvres plus ambitieuses, wagnériennes, débouchant parfois sur l'Expressionnisme (les Parques, 1898). Mellery, dont les dessins sont pleins d'un charme mystérieux et discret, peint par contre des personnages sculpturaux, aux envols étranges sur des fonds primitifs d'or ou d'argent (la Chute des dernières feuilles d'automne, Bruxelles, M. R. B. A.). Fernand Khnopff, enfin, violemment attiré par le Préraphaélisme et l'ambiance de la Sécession, se grisa d'évocations poétiques, de paysages muets et de visages exsangues (I look my door upon myself, 1891, Munich, Neue Pin. ; le Sphinx, 1896, Bruxelles, M. R. B. A.). Se rapprochant de Mucha, il réalisa de très belles gravures, des illustrations pour Pelléas et Mélisande de Maeterlinck et des affiches frappantes pour le Salon des XX. On a découvert toute l'ambiguïté de son inspiration, en 1979, lors de la rétrospective de son œuvre au musée des Arts décoratifs.