Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Michel-Ange (Michelangelo Buonarroti, dit en français) (suite)

Michel-Ange à Rome : la chapelle Sixtine

La réalisation des travaux florentins est interrompue au début de 1505 par le pape Jules II, qui appelle Michel-Ange à Rome. L'entente entre ces deux protagonistes du premier Cinquecento romain est, au premier abord, difficile, et presque aussitôt Michel-Ange, indigné par des discussions que l'on oppose à son projet pour le tombeau du pape, quitte Rome pour revenir à Florence ; la réconciliation se fait toutefois rapidement, et, le 10 mai 1508, Michel-Ange commence les travaux pour la décoration à fresque de la chapelle Sixtine au Vatican. Le projet initial prévoyait uniquement la réfection de l'ancienne voûte étoilée, mais, par la suite, Michel-Ange fut autorisé à décorer aussi les lunettes terminales des parois et les 4 grands pendentifs d'angle. Quelques dessins du premier projet michélangelesque nous sont parvenus (British Museum ; Detroit, Inst. of Arts) : ils prévoyaient la répartition de la voûte en des espaces carrés réguliers enfermés entre des corniches et des cartouches ; la solution définitive est par contre bien plus complexe, car elle vise à remanier aussi d'un point de vue spatial la surface à peindre. Sur les 12 corbeaux (5 sur chaque mur, 1 à chaque extrémité) qui scandent les 4 parois de la salle sont posés les trônes des Prophètes et des Sibylles, encadrés par des pilastres saillants. Au-dessus d'eux sont assis des Ignudi (nus) qui tiennent des boucliers en bronze et occupent l'espace central de la voûte. Les pilastres des deux parois longues sont reliés par des arcs transversaux qui délimitent des espaces occupés par des compositions rectangulaires figurant des Scènes bibliques (plus grands ou plus petits selon qu'elles correspondent ou non aux sections comportant des Ignudi). En partant de l'autel se succèdent ainsi la Séparation de la lumière des ténèbres, la Création des astres, la Séparation des eaux, la Création d'Adam, la Création d'Ève, le Péché originel, le Sacrifice de Noé, le Déluge, l'Ivresse de Noé. Les quatre pendentifs d'angle sont occupés par 4 épisodes relatifs aux interventions divines en faveur du peuple d'Israël (Mort de Goliath, Mort d'Holopherne, Punition d'Amman et Histoire du serpent en bronze). Dans les triangles entre les trônes et dans les lunettes sur les parois sont représentés les Ancêtres du Christ. Les espaces restés vides sont remplis par des Ignudi de bronze. Les athlètes surhumains du Tondo Doni se sont ici multipliés et envahissent la grande voûte de la Sixtine en la dominant de leur présence physique péremptoire. Seules les scènes exécutées en premier lieu (celles de Noé) montrent encore un équilibre de goût classique ; avec celles qui sont relatives à l'histoire des ancêtres, c'est par contre une race surhumaine et colossale qui prévaut, dominée par un Éternel créateur semblable à un dieu fluvial. Les Prophètes et les Sibylles tantôt consultent anxieusement des livres et des cartouches gigantesques, tantôt suspendent leur lecture surpris et troublés par une pensée soudaine, tantôt se rétractent en arrière, terrifiés, comme Jonas, devant la révélation de la divinité. Dans les triangles de la voûte et dans les lunettes des parois se sont réfugiées, comme dans des limbes, les familles des ancêtres, condamnées à une vie sombre et mélancolique. La gamme chromatique, aigre et stridente dans les scènes centrales, qui joue sur des tons clairs et métalliques, se fait obscure et changeante, comme éclairée par de soudaines et sinistres lueurs. Les dessins de Michel-Ange qui peuvent se rattacher à la Sixtine sont très rares, et, dans certains cas, il reste possible qu'il s'agisse de dessins exécutés bien plus tôt et utilisés en partie pour la nouvelle entreprise. Aux feuilles déjà mentionnées de Londres et de Detroit, on peut ajouter deux magnifiques dessins à la sanguine pour la Sibylle Libyque (Oxford, Ashmolean Museum, et Metropolitan Museum), l'étude à la sanguine pour la tête du prophète Jonas conservée dans la Casa Buonarroti à Florence, le profil à la pierre noire de Zacharie, aux Offices, et enfin l'étude pour la figure de la mère d'Ozias, dans une des lunettes (Florence, Casa Buonarroti).

   La chapelle Sixtine fut réouverte officiellement au public en 1512, la veille de la Toussaint.

   La restauration spectaculaire (et source de polémiques) des fresques de la chapelle Sixtine, terminée en 1990, a redonné aux couleurs des compositions de Michel-Ange une vivacité et une franchise qui ont surpris. L'audace et la nouveauté de ces inventions chromatiques annoncent directement celles de la palette maniériste.

Le retour à Florence et les dessins pour Tommaso Cavalieri

Ayant terminé cette tâche, Michel-Ange reprend les travaux pour le tombeau de Jules II et se consacre à d'autres ouvrages de sculpture. Le nouveau pape, Léon X, lui impose toutefois de travailler à Florence pour la façade de l'église S. Lorenzo (1516) et pour les tombeaux médicéens destinés à la nouvelle sacristie de cette même église (1520). Michel-Ange sera chargé plus tard (1523) du projet pour la bibliothèque Laurentienne. Les commissions venant de la famille Médicis vont le retenir à Florence jusqu'en 1534, année de la mort de Clément VII. Dans une si grande prédominance d'activités sculpturales et architecturales, les mentions d'œuvres de peinture se font très rares, et même les dessins de figures se réduisent à un très petit nombre. Les feuilles les plus connues de ces années sont celles qui sont destinées au jeune ami Tommaso Cavalieri, connu en 1532 ; ce sont des dessins finement achevés, qui devaient servir au jeune homme comme modèles pour apprendre la technique graphique. Les thèmes choisis sont à caractère allégorique ou mythologique : la Chute de Phaéton, le Rapt de Ganymède, la Punition de Tityos, une Bacchanale de putti, un Groupe d'archers. La Royal Library de Windsor conserve les originaux à la pierre noire de la Punition de Tityos et de la Chute de Phaéton ainsi que les copies des trois autres modèles, dont les originaux sont perdus. À l'Accademia de Venise et au British Museum subsistent aussi deux études préparatoires, toujours à la pierre noire, pour la Chute de Phaéton. Le trait de Michel-Ange est devenu plus lourd et plus dense, et le modèle physique d'athlète préféré jusqu'à la Sixtine est remplacé par des figures plus charnues qui préludent au Jugement dernier.

Le " Jugement dernier "

De retour à Rome, Michel-Ange reprend, sur la demande du pape Paul III, un projet dont il a sans doute été déjà question avec le pape Clément VII, c'est-à-dire la décoration de la paroi située au-dessus de l'autel de la chapelle Sixtine. La préparation du mur dura plusieurs mois, et ce n'est qu'au printemps de 1536 que Michel-Ange put commencer les travaux, qui se terminèrent le 18 novembre 1541. Aucun encadrement architectural ne règle la disposition des figures sur cette immense paroi : l'assemblage et la décomposition des groupes semblent obéir à des lois inéluctables. Les squelettes déterrés au son des trompettes angéliques reprennent leur aspect humain et montent lentement au ciel, poussés par la foi absolue qui les attire vers Dieu. En haut, les rangs des élus s'épaississent autour de la figure du Christ, juge au geste d'irrémédiable malédiction. Les damnés, situés en bas à droite, sont tragiquement frappés et précipités vers la barque noire de Caron et la gueule de l'Hadès. Les couleurs sont plus uniformes que celles de la voûte, même depuis que la restauration en a révélé les nuances ; le brun des chairs domine et se détache sur le bleu cobalt du fond. Le Jugement dernier est vu par Michel-Ange comme un orage qui s'abat sur une population de géants et menace de l'anéantir. Pour cette œuvre aussi, il n'est resté que très peu de dessins, parmi lesquels une importance particulière doit être donnée à une esquisse à la pierre noire (Florence, Casa Buonarroti), qui a conservé le souvenir du projet initial, agrandi successivement. Un autre dessin d'ensemble pour le groupe des damnés se trouve au British Museum, mais il présente de lourdes reprises sur le tracé original à la pierre noire ; moins intéressants paraissent les dessins de la Bibliothèque vaticane, de la Huntington Library de San Marino (Cal.), et de la Casa Buonarroti à Florence.

   À la crise religieuse qui tourmente Michel-Ange, et dont témoignent aussi bien la vision apocalyptique du Jugement que la production littéraire de l'artiste, n'est pas étranger le lien étroit qu'il entretient avec Vittoria Colonna, connue en 1536 ou en 1538 et fréquentée jusqu'en 1547, date de sa mort. Pour elle, Michel-Ange exécuta des dessins à sujet religieux dont on a conservé de très rares exemples. Le Christ vivant sur la croix est perdu, mais il est connu à travers des copies au British Museum et à Windsor Castle ; on conserve, par contre, une sanguine très minutieusement finie représentant la Madone dite " du silence " (Londres, coll. du duc de Portland). Michel-Ange dessina aussi pour Vittoria Colonna un Christ et la Samaritaine actuellement connu par des gravures.