Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
D

dessin (suite)

Le fusain

Il est sans doute l'un des procédés les plus anciens du dessin. Jusqu'au XVe s., le dessin a été considéré avant tout comme une étape préparatoire de la création artistique. Le fusain (charbon de saule ou de tilleul), s'effaçant facilement et permettant les corrections, fut employé dès l'Antiquité par les artistes soit pour réaliser l'esquisse de compositions murales à la détrempe ou à la fresque — " Quand l'enduit est sec, prends ton charbon et commence à dessiner, compose et prends bien toutes tes mesures pour diviser l'espace " (Cennino Cennini) —, soit comme procédé d'étude sur des panneaux de buis ou de figuier recouverts d'une préparation (craie ou poudre d'os mêlées de colle de peau). Ce n'est que vers le milieu du XVIe s. qu'on entreprit des recherches pour fixer le fusain sur son support — celui-ci étant le plus souvent du papier — en le trempant dans l'huile avant usage. On en vint par la suite à immerger le dessin lui-même dans un bain d'eau additionnée de gomme arabique et, enfin, à pulvériser une solution de gomme sur le dessin ; certains dessins de l'école bolonaise du XVIIe s., fixés selon ces méthodes, se sont bien conservés.

   Mais ce n'est qu'au XIXe s. que le fusain devient une technique de dessin définitif grâce à des artistes comme Delacroix, Corot, Millet et plus tard Seurat et Odilon Redon.

Les pointes de métal

Les pointes en or, en cuivre, en argent ou en plomb, déjà connues des Romains, ont été le seul procédé en usage jusqu'au début du XVIe s. pour des dessins précis et achevés. Cette technique, qui utilise la propriété d'oxydation au contact de l'air de la trace laissée par la pointe de métal, nécessite une préparation préalable du support, papier ou parchemin, à base de colle et de poudre d'os. Le trait fin, de couleur brune (argent et or) ou grise (plomb), était généralement associé à des rehauts blancs, souvent sur du papier de couleur vive. Ce procédé, qui exigeait une grande sûreté de main (le trait indélébile ne permettant pas les corrections), fut illustré tant par les artistes florentins (Vinci, Verrocchio) que par de grands maîtres allemands (Dürer), mais abandonné dès le début du XVIe s. au profit de procédés moins astreignants, comme la pierre d'Italie et la sanguine (tous deux d'origine minérale).

La pierre d'Italie, ou pierre noire

Apparue dans les dessins de Pollaiolo, Ghirlandaio et Signorelli, la pierre d'Italie (schiste argileux à grain serré) fut largement employée par tous les grands artistes du XVIe s. en Italie (Raphaël, Vinci, Michel-Ange, Titien, Tintoret). Les artistes du Nord — Néerlandais et Flamands — ne l'utilisèrent qu'au XVIIe s. (Ruisdael, Hobbema, Rubens, Van Dyck).

La sanguine

Connue dès l'Antiquité, elle permettait d'introduire une notation colorée dans le dessin, en particulier pour rehausser les chairs, et c'est en ce sens qu'elle fut employée par Fouquet au XVe s. dans ses portraits et, au XVIIIe s., dans la technique dite " des trois crayons ".

   Ce fut en fait à Florence qu'apparut le dessin à la sanguine proprement dit, c'est-à-dire le dessin utilisant seul ce matériau à la fois pour délimiter les contours et noter les volumes et les ombres ; les dessins de Léonard de Vinci datant des années 1470-1480 en sont un prestigieux exemple. Ce procédé eut un immense succès durant les XVIe, XVIIe et XVIIIe s., tant en Italie qu'en France et dans les pays du Nord, avec sans doute une faveur particulière en France au XVIIIe s., au temps de Watteau et de Boucher. À l'exception de Renoir, les artistes du XIXe s. l'employèrent peu.

L'encre

Parallèlement à tous ces procédés, le dessin à l'encre et à la plume (instrument de prédilection des Orientaux), ou au pinceau, n'a cessé d'être employé depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours. Au Moyen Âge, des dessins à la plume accompagnaient souvent des textes calligraphiés (Psautier d'Utrecht, IXe s., Utrecht, bibl. de l'Université) ou permettaient de fixer des modèles (Album de Villard de Honnecourt, Paris, B. N.). Rapidement, on associa, au contour purement linéaire obtenu à l'aide de la plume d'oie (ou du pinceau fin), les lavis, exécutés au pinceau, lavis de bistre (brun), d'encre de Chine (noir) et, au XIXe s., de sépia (ton brun plus froid que le bistre), qui permettaient le rendu des ombres et, en jouant sur le ton du papier laissé en réserve, de la lumière. De plus, l'artiste avait la possibilité d'utiliser des rehauts blancs (gouache le plus souvent). Tous les grands artistes, de Vinci, Raphaël, Michel-Ange à Matisse et Picasso, en passant par Rembrandt, Poussin et Delacroix, employèrent ces techniques.

   Pastel, craie, crayon graphite ou mine de plomb sont d'origine plus récente.

Le pastel

Il fut employé tôt en France par Fouquet, Jean et François Clouet, les Dumonstier, puis au XVIe s. en Italie (Baroche), mais sa faveur la plus grande date du XVIIIe s. avec des portraitistes comme Rosalba Carriera, La Tour et Perronneau ; pour le XIXe s., il faut citer Degas, Toulouse-Lautrec, Odilon Redon.

Le graphite

L'utilisation du graphite anglais, d'origine minérale et qui doit son nom au reflet métallique du trait qu'il laisse sur le papier, fut popularisée au XVIIe s. par les Flamands et les Néerlandais (D. Teniers, Cuyp).

   Ce graphite fut remplacé au XIXe s. par le graphite artificiel, inventé par le chimiste français Nicolas Jacques Conté (1755-1805) et employé par David, puis Ingres, et devint dès lors la technique la plus répandue utilisée pour les études et les croquis par Delacroix, Corot, Degas.

dessous

Couches d'impression que le peintre applique sur la préparation pour mettre en valeur les couches ultérieures et les faire jouer par transparence. Depuis le XVIIe s., les préparations sont le plus souvent teintées, en Italie, en terre d'ombre, en France (depuis Poussin), en brun-rouge.

dessus-de-porte

On peut nommer dessus-de-porte tout décor qui occupe le sommet d'une porte (portail d'église ou de palais, porte de la ville, arc de triomphe, porte d'appartement) et qui, même lié au décor mural, forme une composition complète. Les premiers dessus-de-porte sont des tympans, tel le Christ en gloire, la Vierge et l'Enfant que Simone Martini a peints à fresque av. 1343 au-dessus du portail de Notre-Dame-des-Doms, en Avignon. Ces décors extérieurs peints semblent une spécialité de l'Italie, et l'on citera encore la " lunette " montrant Saint Antoine et saint Bernardin portant le saint chrême, que Mantegna a représentés au-dessus de la porte du cloître du Santo de Padoue selon les règles de la perspective " da sotto ", qu'impose désormais cet emplacement et dont le plus bel exemple, qui atteint à la perfection dans l'équilibre et dans l'harmonie, est la Madonna del Sacco qu'Andrea del Sarto a peinte au-dessus de la porte du cloître de l'Annunziata de Florence.

   Les Italiens, d'ailleurs, seront toujours les maîtres du rendu de l'espace, du trompe-l'œil et des raccourcis. Ainsi voit-on, dans les salles de la villa Barbaro à Maser, des figures en grisaille, par Véronèse et son atelier, couchées sur les rampants des frontons, vrais ou simulés, qui surmontent les baies et, au château Saint-Ange à Rome, de grandes figures nues assises sur les chambranles des portes, encadrant des médaillons qui imitent des reliefs de bronze doré.

   Aux XVIIe et XVIIIe s., l'usage des fresques reste constant en Italie, et un décor particulier, parfois d'une délicieuse extravagance, orne le dessus des portes et leur encadrement. Des frontons découpés et onduleux semblent creuser ou renfler le mur, des médaillons peints de scènes mythologiques s'y inscrivent, des ouvertures simulées laissent apercevoir le ciel ou quelque paysage (Lombardie, villa Rusca-Raimondi).

   Les revêtements de lambris peints forment un autre type de décor mural, qu'on rencontre surtout en France. Ainsi peut-on voir, dans la galerie du château de Beauregard, les panneaux de lambris qui dominent les portes ornées, sous Louis XIII, de trophées d'armes peints par l'atelier des Mosnier.

   À la même époque, les élégants " cabinets " de boiseries " à la française " ont des portes à un seul vantail surmontées de peintures, le plus souvent sur toile, qui appartiennent aussi à la frise de portraits, de bouquets de fleurs, de natures mortes, de scènes religieuses ou profanes qui forment l'" attique " du décor (à Paris, cabinet de l'Amour à l'hôtel Lambert, cabinet du rez-de-chaussée à l'hôtel Lauzun). Le sujet illustré par le dessus-de-porte s'inscrit d'ailleurs dans le programme iconographique de la salle. La galerie des hommes illustres du Palais-Cardinal, à Paris, comportait une suite de grands portraits en pied, peints sur toile et, au-dessus de la porte d'entrée, celui de La Trémoille, que Philippe de Champaigne avait assis sur le chambranle, les jambes à demi allongées, faute de hauteur. Celui d'Anne d'Autriche par Juste d'Egmont était également perché au-dessus d'une porte. Quatre peintures de S. Vouet, provenant du Palais-Cardinal, furent placées sous Louis XIV à Versailles, en dessus de portes.

   Les dessus-de-porte conçus comme tels devraient, en principe, obéir à certaines règles : échelle assez grande, sujets assez simples pour être aisément lus du sol, couleurs fraîches puisque, placés sous la corniche, ils sont rarement bien éclairés ; ils devraient être " ombrés selon le jour ", comme beaucoup de marchés le spécifient, et mis en perspective en fonction de leur place. L'Autoportrait de Jean Jouvenet (musée de Rouen) montre, en une composition allongée, l'artiste, en buste, palette et pinceaux dans une main, de l'autre désignant les caissons d'un plafond que sans doute il vient de peindre. C'est évidemment un dessus-de-porte, car il est fait pour être vu d'en dessous, comme le sont 4 trophées militaires de Madeleine de Boullogne, dans les grands appartements de Versailles.

   Au Grand Trianon, demeure prétendue champêtre, Monnoyer et Belin de Fontenay surmontèrent les portes de tableaux de fleurs, parfois de forme ronde, bien mis en perspective, comme d'ailleurs les compositions mythologiques voisines de Charles de La Fosse.

   Mais beaucoup de dessus-de-porte des XVIIe et XVIIIe s. ne méritent pas ce nom, s'ils en jouent le rôle. Ce sont des toiles de genres divers, souvent recoupées ou agrandies. Ainsi, dans la chambre de Louis XIV à Versailles, a-t-on employé 4 toiles ovales, dont 2 portraits d'hommes par Van Dyck, encastrées à cette place dans le lambris. Les palais vénitiens montrent des portraits de doges, du XVIe s., dans les encadrements de stucs rococo qui surmontent les portes. Souvent, les toiles choisies s'adaptent aisément à ce rôle décoratif. De tels exemples seraient innombrables. En revanche, beaucoup de dessus-de-porte ont été déposés et présentés comme tableaux de chevalet. C'est le cas des deux magnifiques peintures de Chardin, les Attributs des Arts et les Attributs des Sciences (Paris, musée Jacquemart-André).

   L'âge d'or des dessus-de-porte peints est le XVIIIe s., et la France en a donné les modèles. Les lambris sculptés et les hautes glaces constituent trèstôt le seul décor mural, et Natoire, en 1747, écrit que la peinture d'histoire en est désormais réduite " à se hucher sur les portes ". Elle continue pourtant d'obéir à un programme iconographique. Si le nombre courant de 4 dessus-de-porte dans une salle suggère les Éléments, les Saisons, les Parties du monde, la mythologie fournit des sujets moins banals, tirés souvent des Métamorphoses, et ceux où l'Amour ou les amours peuvent s'ébattre. À l'hôtel de Rohan-Soubise (Paris), en 1737, les dessus-de-porte de la chambre du prince montrent Hercule et Hébé, Mars et Vénus, Neptune et Amphitrite, Aurore et Céphale sous les pinceaux de Trémollières, Carle Van Loo, Jean Restout et Boucher. Mais, au premier étage, dans le salon de compagnie, J.-B. Pierre a choisi 4 scènes de l'Énéide. Cochin souhaite que la peinture, dans les demeures royales, ait valeur d'enseignement moral et, pour les dessus-de-porte de la galerie de Choisy, trouve dans l'histoire romaine des sujets glorifiant les vertus. Louis XV voulut que, au moins, elles eussent des formes féminines. Quant aux dessus-de-porte du Petit Trianon, tous devront évoquer la campagne et les fleurs.

   Le goût français se répand alors en Europe et, à côté des décors à fresque, venus d'Italie en Allemagne et en Autriche, la mode des lambris sculptés s'accompagne de celle des dessus-de-porte sur toile. Ainsi Beaumont peint-il, au Palais royal de Turin, les Parties du monde, et Stefano Pozzi, au palais Pamphili, à Rome, v. 1755, 4 groupes d'amours. Partout, à Gênes, à Milan, à Lucques, à Turin, à Stupinigi, on trouve des dessus-de-porte peints, dans les salons de boiseries, à la française. On les rencontre également dans beaucoup de châteaux d'Europe centrale. À Brühl, par exemple, ce sont, dans les appartements d'été, des chiens de chasse et des faucons dans le style d'Oudry ; à Wilhelmstal (Westphalie), des Jeux d'amours dans le goût de Boucher, dus à Tischbein l'Aîné.

   Tous ces artistes ont su, sans pour autant abdiquer leur personnalité, accorder leurs œuvres à l'éclat des lambris peints et dorés, afin qu'elles concourent à un effet d'ensemble. Celui-ci s'étend souvent à tout un " appartement ", dont l'enfilade des portes ouvertes laisse apparaître la suite des dessus-de-porte comme superposés les uns aux autres : ainsi, les vues des capitales d'Europe peintes par Van Blarenberghe dans les 7 salles de l'hôtel des Affaires étrangères (auj. bibl.), à Versailles. Bien que conçues pour ces emplacements, ces toiles ont une échelle qui les rend peu lisibles à cette hauteur. On citerait bien des cas où les règles de la logique n'ont pas été mieux observées.

   Le Néo-Classicisme allait rendre à l'architecture un rôle essentiel dans le décor intérieur, en Angleterre surtout, au point de ne laisser aucune place aux dessus-de-porte peints. En France, certes, frontons, rondes-bosses et bas-reliefs conquirent beaucoup de ces emplacements, mais la peinture y joua aussi son rôle, simulant les reliefs de bronze, de pierre ou de marbre et les frises à l'antique. Les dessus-de-porte mythologiques et les vases de fleurs polychromes ne furent pas pour autant abandonnés, et certains artistes s'en firent une spécialité. Ce type de décor persiste sous l'Empire, et Prud'hon peint les Saisons en grisaille dans le salon de l'hôtel de Lanois. Les derniers dessus-de-porte ne sont plus que des pastiches du XVIIIe s., tels les portraits des beautés de la cour, que Winterhalter peint pour les appartements de l'impératrice Eugénie aux Tuileries.