Le Sueur (Eustache)
Peintre français (Paris 1616 id. 1655).
En dépit des légendes qui circulèrent à son sujet, au siècle dernier surtout, Eustache Le Sueur, peintre d'histoire et décorateur, mena une vie paisible. Les limites géographiques de sa carrière s'inscrivent dans le centre de Paris et l'île Saint-Louis, et il ne se rendit jamais en Italie. Fils d'un tourneur sur bois, Cathelin Le Sueur, il fait son apprentissage v. 1632 dans l'atelier de Vouet, où il rencontre Le Brun et Mignard. L'étude des œuvres de Raphaël et des dessins des collections royales, des estampes de Marcantonio Raimondi, des décorations du château de Fontainebleau complète sa formation.
L'influence de Vouet
Ses débuts furent facilités par Vouet, qui lui confia en 1637 une commande de 8 tableaux illustrant le Songe de Poliphile de F. Colonna, lesquels furent ultérieurement reproduits en tapisserie. De cet ensemble, terminé v. 1644, 4 tableaux subsistent (musées du Mans, de Rouen, de Dijon [Magnin] ; Vienne, coll. Czernin). Il commence en 1644 des travaux de décoration pour le président de la Chambre des comptes, Lambert de Thorigny, dont l'hôtel a été bâti par Le Vau dans l'île Saint-Louis. De ces travaux subsistent plusieurs éléments, en particulier les panneaux ornementaux (auj. coll. part., château de La Grange) et le plafond du Cabinet de l'Amour (5 panneaux et leurs modelli au Louvre). Ces œuvres indiquent une certaine soumission au dynamisme de Vouet, mais le dessin est plus léger et plus retenu et la couleur riche, fraîche et raffinée. Les portraits de cette époque ont un ton plus personnel (Réunion d'amateurs, Louvre ; Portrait de M. Albert, 1641, musée de Guéret).
De ce moment inspiré par l'exemple et les leçons de Vouet datent plusieurs toiles (souvent attribuées naguère à Vouet) : Diane et Callisto (Dijon, musée Magnin), la Résurrection du fils de la veuve de Naïm (Paris, église Saint-Roch), l'Ange Raphaël quittant Tobie (musée de Grenoble, provenant, comme un autre tableau du Louvre illustrant la vie de Tobie, de l'hôtel de Fieubet), la Présentation de la Vierge au Temple (Ermitage) et même encore la Résurrection de Tabitha (musée de Toronto). Cependant, une toile comme Vénus surprise par l'Amour (v.1636-1640 ; San Francisco, The Fine Arts Museum), d'une rare sensualité, souligne l'originalité de l'artiste et sa virtuosité de coloriste.
La maturité
Cette période débute avec l'importante commande de 22 tableaux pour la décoration du cloître des Chartreux ; exécutées de 1645 à 1648, ces peintures, auj. au Louvre, relatent les principaux épisodes de la Vie de saint Bruno. Le Sueur y affirme un style personnel, fruit d'une réflexion soutenue de l'exemple classique offert par Poussin présent à Paris entre 1640 et 1642. Il illustre la Mort de saint Bruno le 6 octobre 1101 avec une sobriété qu'anime l'observation psychologique et réaliste. La sévérité de l'inspiration, la discrétion dans l'harmonie ne sont pas sans évoquer Zurbarán. La connaissance de la perspective, l'usage noble qu'on peut en tirer font la grandeur de Saint Bruno assiste au sermon de Raymond Diocrès. La même solidité régit le Saint Paul à Éphèse (Louvre), commandé par la corporation des orfèvres pour le may de Notre-Dame en 1649.
La Chambre des Muses, à l'hôtel Lambert, exécutée sans doute à partir de 1650-51, confirme, par le traitement ample des personnages et des draperies, cette évolution de l'art de Le Sueur. Cinq panneaux figurant les Muses et la toile du plafond (Phaéton) sont conservés au Louvre ; celui des trois Muses Clio, Euterpe et Thalie est l'exemple type de ce moment de transition, caractérisé par le rythme souple des lignes et la fraîche harmonie des tons et constitue l'une des plus belles réussites du peintre. Sa réputation alors établie, l'artiste est en 1648 un des membres fondateurs de l'Académie de peinture.
Parlementaires et financiers, mais aussi des nobles lui demandent des sujets religieux ou profanes pour leurs hôtels mais presque rien ne subsiste de cette abondante production. Au Louvre, Le Sueur décore l'appartement des bains de la reine mère en 1653, puis exécute l'année suivante, pour la chambre du roi, une Allégorie de la Monarchie française et traite le thème de l'Autorité du roi ; cet ensemble a disparu à la fin du XVIIIe s. Réapparue récemment, l'Allégorie d'un ministre parfait (musée de Dunkerque), peinte à cette époque, est un chef-d'œuvre d'harmonie grave et méditative caractéristique de l'artiste.
L'influence de Raphaël
À partir de 1650, une orientation quelque peu différente marque l'art du peintre dans les toiles religieuses et les tableaux de chevalet, dont il emprunte les sujets à l'Ancien et au Nouveau Testament ou à l'histoire grecque. Très impressionné par les dessins des tapisseries de Raphaël et la composition des Loges, il élabore un art très épuré, remarquable dans l'Annonciation (1652, Louvre), dans Jésus chez Marthe et Marie (Munich, Alte Pin.) et dans la Présentation au Temple (1652, musée de Marseille), qu'éclairent toutefois des éclats colorés. Dans la grande Adoration des bergers (1653, musée de La Rochelle), la ligne noblement modulée unit les personnages, dont les expressions et les attitudes restent cependant précises et véridiques. La nostalgie de la Renaissance a sans doute inspiré le tondo de la Descente de croix du Louvre où des emprunts formels à Titien n'altèrent en rien la pureté idéale qui marque cette période ; il fait partie du même ensemble que l'admirable Christ portant sa croix (id.), d'un dépouillement absolu.
Cette inspiration savante marque les 4 dernières œuvres, exécutées en 1654 pour l'abbaye de Marmoutiers, dont l'Apparition de la Vierge à saint Martin et la Messe de saint Martin (Louvre) ; les 2 autres tableaux sont au musée de Tours. L'artiste, ayant peint pour l'église Saint-Gervais à Paris, en vue d'une suite de tapisseries, le Saints Gervais et Protais amenés devant Astasius (Louvre), laissa inachevé le Martyre des saints Gervais et Protais (musée de Lyon), qui sera terminé, après sa mort, par son beau-frère Thomas Goussey.
L'œuvre de Le Sueur comporte aussi un ensemble abondant et remarquable de dessins (outre le Louvre, la plupart des grands cabinets de dessins en conservent des exemples) préparatoires à ces tableaux, exécutés à la sanguine ou souvent, à l'exemple de Vouet, à la pierre noire, avec rehauts de blanc, sur papier gris. Très imité, Le Sueur n'a pas laissé d'élève connu. Appelé le " Raphaël français ", apprécié au XVIIIe s. à l'égal de Poussin pour la " tendresse ", goûtée à l'époque, qui émane de ses œuvres, il demeure l'un des plus sensibles représentants et l'une des figures majeures de cette équipe de peintres travaillant à Paris sous la régence d'Anne d'Autriche, qu'un sentiment très pur de l'harmonie des formes et une solide culture conduisirent à l'élaboration d'un classicisme français, avant l'arrivée de Le Brun.